Jean-Marc Tenryu Bazy : « Que les pratiques d’attention et de méditation rentrent dans le champ du banal, voilà une des petites pierres que j’aimerais apporter. »

Publié le

Avocat honoraire et titulaire d’un diplôme universitaire Médecine Neurosciences et Méditation, ce moine zen, ayant reçu le sceau de la transmission de Gudo Wafu Nishijima, est le fondateur du temple Gudo-Ji à Villeurbanne. Il livre sa vision de la transmission du Dharma.

Votre temple à Villeurbanne s’appelle le Gudo-Ji, est-ce un hommage à votre maître Gudo Wafu Nishijima ?

Complètement. J’ai repris ce nom, car c’est un homme qui m’a beaucoup marqué et qui a été comme un père spirituel pour moi. Je suis allé à Tokyo au moins une fois par an au Japon entre 2003 et 2010 pour rejoindre sa sangha. À l’époque, Nishijima était encore de plain-pied dans l’école Sôtô, dont il s’est un peu éloigné plus tard. J’ai donc été ordonné moine de la Sôtô-Shu dans les « règles » en 2004 après avoir reçu la transmission du Dharma en 2003. Par la suite, Nishijima a pris ses distances avec le courant Sôtô, dont il critiquait le ritualisme, l’aspect « grand-messe » et le côté business. Mais l’esprit et la pratique restent les mêmes. Il y a toujours des courants rénovateurs dans les écoles du bouddhisme et de la méditation, surtout au Japon où le contexte est un peu lourd. Selon moi, Nishijima avait surtout l’idée de diffuser au-delà du Japon, ce qui impliquait de se détacher des querelles de clercs nationales. Il m’avait dédicacé un livre avec le message suivant : « Pour Jean-Marc Bazy, pour qu’il transmette le vrai bouddhisme en France et dans le monde ». Tout un programme, n’est-ce pas ?

En quoi consiste ce bouddhisme que vous essayez de transmettre ?

Le bouddhisme c’est être au contact de ce qui n’est pas l’illusion. La porte d’accès à ce qui n’est pas l’illusion, c’est la pratique du zazen, cet exercice un peu étrange de prime abord qui permet de se détacher de nos vidéos mentales et des brumes dont elles entourent sans cesse notre esprit.

Pendant le confinement, période durant laquelle la communication par Internet a augmenté significativement, il était important de ne pas confondre l’instrument, utile, avec la réalité. Une conversation par webcam interposée ne remplacera jamais un dialogue en face à face, où l’on peut vraiment rencontrer l’autre. Souvent à cause des limites inhérentes à cette communication, on accumule une charge mentale, une frustration nerveuse qui finissent immanquablement par perturber, voire interrompre le vrai dialogue, celui d’esprit à esprit (« ishin denshin »), cher à la tradition Zen. Le monde de YouTube a l’air si beau qu’on en oublie le vrai.

Pensez-vous comme Taisen Deshimaru que « le Zen, c’est zazen » et uniquement zazen ?

J’ai une certitude intuitive là-dessus : la source de la sagesse, et même des sagesses, c’est la méditation. C’est-à-dire l’observation tranquille du réel. Tous les grands sages du monde l’ont pratiquée. Cela peut, bien sûr, se faire sans s’asseoir, mais la posture, c’est la clé commode d’entrée. Plutôt que Deshimaru, je vais répondre avec Dôgen. Bien sûr que la pratique est essentielle, mais il faut aussi transmettre. Cela fait partie de la pratique d’enseigner et d’expliquer, car nous sommes aussi des êtres de communication verbale, une communication qui peut aider chacun à atteindre sa propre illumination. Les enseignements font ainsi partie de la pratique qui, au passage, a des effets bénéfiques évidents sur le corps et l’esprit en dehors de toute implication bouddhique. 

C’est-à-dire ?

Maintenant que nous avons la preuve avec les neurosciences (et Mind & Life, Matthieu Ricard, etc.) des effets positifs de la méditation sur les capacités d’empathie, qu’attend-on pour en faire une matière scolaire au même titre que l’éducation civique ?

« Le bouddhisme c’est être au contact de ce qui n’est pas l’illusion. La porte d’accès à ce qui n’est pas l’illusion, c’est la pratique du zazen, cet exercice un peu étrange de prime abord qui permet de se détacher de nos vidéos mentales et des brumes dont elles entourent sans cesse notre esprit. »

Au-delà même de cela, j’aimerais que la méditation rentre dans le champ de l’ordinaire. Tout ce qui fera en sorte qu’on la banalise, qu’on la sorte de cette espèce de carcan de représentations qui vont, au mieux, du « truc pittoresque pas de chez nous » au pire, la « secte », me paraît bon à prendre. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’avais demandé à avoir la double étiquette « avocat et moine Zen » lorsque j’avais accepté de me joindre à une liste pour les élections municipales. Que les pratiques d’attention et de méditation rentrent dans le champ du banal, voilà une des petites pierres que je voudrais apporter.

Une question qui se pose particulièrement dans le bouddhisme « à l’Occidental » est celle de l’engagement. Si « le vrai bouddhisme, c’est la réalité », faut-il renoncer à l’action au profit de la contemplation ?

Non, au contraire, il ne faut pas rester les bras croisés. La voie du bodhisattva n’est pas une voie de Ponce Pilate. Nishijima tenait beaucoup à faire une distinction que je m’efforce de transmettre dans mes enseignements, car il y a beaucoup de confusion chez les Occidentaux à ce sujet. Être un bodhisattva, c’est tout faire pour arrêter l’injustice si elle se présente. C’est ce qu’incarnent très bien Éric Rommeluère en France et Bernie Glassman à New York dans leur bouddhisme engagé.

Y a-t-il des aspects du Zen qu’il faudrait adapter aux mentalités locales ?

Tout ce qui pourra faciliter l’acception et la banalisation de notre pratique est intéressant. Personnellement, j’aime beaucoup le kimono, mais je conçois très bien que l’on pratique en jean et en t-shirt. « Le miracle absolu, c’est de se mettre à la place de l’Autre », disait Nagarjuna. Il ne faut pas oublier que les cultures sont incroyablement différentes et essayer, autant que faire se peut, de comprendre les autres et leur cheminement, y compris dans la voie du Zen. Je crois qu’il faut aborder ces questions avec humilité : parfois, il se trouve dans mes enseignements que le dialogue reste bloqué ou que je n’arrive pas à transmettre ce que je voulais.

La page d’accueil de votre site affiche cette phrase « la question de la vie et de la mort est la seule question importante ». Qu’est-ce qui vous a incité à la choisir ?

C’est une phrase de Dôgen que mon maître Nishijima a calligraphié pour moi la première fois que je suis allé au Japon. Qu’est-ce que la vie et la mort ? C’est le temps d’une conscience plus vive. À un homme en plein désespoir qui maudit la vie, où l’on « arrive seul et repart seul », le moine Zen répond : « Es-tu bien sûr qu’il y ait quelque chose qui arrive et quelque chose qui reparte ? ».

Au fond, « il n’y a ni mort ni peur », comme l’a écrit Thich Nhat Hanh dans un livre au titre éponyme dont je recommande la lecture (1). En même temps, je pense que le fait de recevoir un corps humain qui permet une conscience possiblement élevée des enjeux comme l’histoire, le rapport aux autres et au monde est une chance incroyable. Cette chance, il ne faut pas la gaspiller : d’où le sens des mots « Aussi ne passez pas votre vie en vain », qui viennent après la phrase que vous avez citée.

Un kôan ou une parole de maître à méditer ?

J’adore les textes de Shantideva et ne peux résister au plaisir de vous en citer un passage fort à propos : « Si la maladie a un remède, pourquoi t’affliges-tu ? Si la maladie n’a pas de remède, pourquoi t’affliges-tu ? ».

Photo of author

Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

Laisser un commentaire