De tout temps et dans toutes les sociétés, la méditation, quelle qu’en soit la forme, a été au cœur de la spiritualité. En Inde, des gravures trouvées parmi les vestiges de la civilisation de l’Indus, au IIIe-IIe millénaire avant notre ère, représentent par exemple des yogis en posture de méditation. Et, les textes du taoïsme, du judaïsme (la Kabbale), du christianisme (les Pères du désert), de l’islam (le soufisme), relatent également l’importance de s’y exercer dans le cadre d’un travail intérieur. La particularité du bouddhisme est d’avoir, à l’initiative du Bouddha, codifié la méditation pour en faire une méthode permettant aux pratiquants, religieux et laïques, de se libérer des causes de la souffrance (1).
Aujourd’hui, la méditation est à la mode en Occident, la forme la plus connue étant la méditation dite de pleine conscience (mindfulness). Les premières personnes à utiliser ce terme furent le maître vietnamien Thich Nhât Hanh, du village des Pruniers, et Jon Kabat-Zinn, professeur de biologie à l’Université du Massachusetts, qui développa, dans les années 1970, une méthode de réduction du stress basée sur la pleine conscience ou MBSR. Ce programme destiné aux patients atteints de maladies liées au stress, affections cardio-vasculaires, digestives, cutanées, douleurs chroniques, insomnie, anxiété, etc. (consistant en une pratique quotidienne durant huit semaines), permet aux malades de développer un nouvel état de conscience qui favorise la réduction du stress et de l’anxiété. Depuis plus de quarante ans, des milliers de personnes ont été traitées par la MBSR avec des résultats validés scientifiquement. Suite à ce succès, des méthodes inspirées par la MBSR ont vu le jour. Appliquées aux rechutes dépressives, aux addictions aux drogues, aux troubles du comportement alimentaire, elles sont regroupées sous le terme de MBI, intervention basée sur la pleine conscience, et sont désormais enseignées dans de nombreux centres universitaires médicaux et pratiquées dans des hôpitaux dans le monde entier, dont la France.
Dans le viseur des neurosciences
Mais, pour comprendre ce phénomène, examinons ce qu’en disent les neurosciences et pourquoi ces applications médicales fédèrent autant. Les neuroscientifiques distinguent trois types de méditation. « L’attention focalisée » sur un point, proche de samatha, où l’attention est portée sur un objet, la respiration, un son ou une image de Bouddha. La « surveillance ouverte » proche de vipassana, la pratique de la « vue profonde », où l’attention remarque tout ce qui passe dans l’esprit, sans s’y fixer, et la « méditation sur la compassion » pratiquée surtout dans le bouddhisme tibétain. Les études scientifiques découvrent peu à peu l’incroyable potentiel de la méditation. Le chantier est immense, mais la passion des scientifiques pour ce sujet, avec plus de cinq cents publications scientifiques par an, n’est plus à démontrer. Quels sont, à ce jour, les faits établis ?
La méditation diminue l’activité des amygdales cérébrales, point de départ des émotions négatives, et ralentit le vieillissement du cerveau.
La pratique de la méditation de la pleine conscience améliore l’attention du méditant, tout en agissant sur ses fonctions affectives. Elle augmente par exemple sa sensibilité aux émotions d’autrui, d’où le développement de l’amour altruiste et de la compassion ; sa capacité à ressentir des émotions positives, bien-être, joie, sérénité ; et diminue la formation d’émotions négatives, la peur, la colère, la tristesse. Ce qui se traduit sur le long terme par une importante diminution de l’activité des amygdales cérébrales, point de départ des émotions négatives. D’autres modifications des structures cérébrales ont été mises en évidence par l’IRM, résonance magnétique nucléaire : une augmentation de l’épaisseur du cortex cérébral dans certaines zones cérébrales, et une augmentation du nombre de connexions entre elles, ce qui pourrait signifier que la méditation ralentit le vieillissement du cerveau.
La mindfulness agit également sur les données biologiques des méditants en diminuant par exemple le taux de cortisone dans le sang en cas de stress chronique, en améliorant leurs défenses immunitaires, et en ralentissant le vieillissement des cellules.
Les neuroscientifiques notent que ces modifications fonctionnelles et structurelles peuvent apparaître en quelques semaines, mais qu’elles sont plus nettes et durables chez les méditants expérimentés. Les études montrent également que des séances régulières et courtes de trente minutes de méditation sont préférables à de longues et rares séances.
La pleine conscience et le bouddhisme
Les expériences neuroscientifiques corroborent les intuitions bouddhiques millénaires sur la méditation. La mindfulness est bien un état mental spécifique du moment présent qui résulte d’une action – développer et poser une juste attention sur la respiration, un objet ou le mental -, sans juger ce qui se passe dans le moment. Il n’y a rien d’autre à faire comme l’a dit le Bouddha à une vieille femme venue apprendre à méditer, mais qui ne pouvait s’asseoir en raison de ses rhumatismes : « Rentrez chez vous, grand-mère, mais à chaque fois que vous faites quelque chose, gardez bien votre attention sur ce que vous faites. Lorsque vous tirez l’eau du puits, regardez vos mains, ressentez-les qui tirent sur la corde. Lorsque vous faites la cuisine, le ménage ou que vous nettoyez le linge, faites attention à chacun de vos gestes ».
La mindfulness répétée quotidiennement met fin au vagabondage mental.
La mindfulness répétée quotidiennement met fin au vagabondage mental. Les émotions négatives (stress, anxiété, colère ou tristesse) deviennent, petit à petit, moins fréquentes et sont remplacées par des émotions positives, le calme, la joie, l’amour bienveillant, la sérénité. Contrairement aux neuroscientifiques qui se préoccupent de ces résultats surtout dans un cadre thérapeutique, pour le bouddhiste, la méditation est une discipline mentale qui ne se résume pas à une technique. Pour le pratiquant, elle est indissociable de l’éthique (sila), de la concentration (samadhi) et de la sagesse profonde (prajña). « Il n’y a pas de sagesse sans concentration, pas de concentration sans sagesse. Qui possède à la fois concentration et sagesse, est déjà proche du Nirvana (2) a dit le Bouddha dans le Dhammapada (3). Le bouddhisme ne peut donc être réduit à la pratique de la méditation.
Quoi qu’il en soit, la mindfulness, de plus en plus pratiquée en Occident, pourrait favoriser à grande échelle la mise en place d’une « spiritualité laïque » comme l’appelle de ses vœux le Dalaï-Lama. Une spiritualité libre de dogme et de toute forme d’idéologie, qui conduirait ceux qui pratiquent la mindfulness à acquérir une conscience plus aiguë de leurs responsabilités d’humains envers les autres et la planète. Cette méthode, un entraînement quotidien de l’esprit à l’attention et à la pleine conscience de l’instant, permettrait à chacun d’agir sur son mental, son bien-être, son bonheur et celui des autres.