Dans Les clochards célestes de Jack Kerouac (1958), il apparaissait sous le nom de Japhy Ryder, un poète solitaire et traducteur de Han Shan, versé dans le bouddhisme zen. Figure centrale de la Beat Generation, Gary Snyder (né en 1930) est l’auteur de plus de vingt-cinq livres – de la poésie aux récits de voyage en passant par des essais -, dont Turtle Island couronné par le Prix Pulitzer en 1975. C’est un penseur américain de premier plan, auteur d’une œuvre bâtie à la croisée de la poésie, de la politique, de l’écologie et de la spiritualité.
En 1956, Gary Snyder quitte les États-Unis pour le Japon, où il résidera une dizaine d’années, dans des temples bouddhistes zen de l’école Rinzai, s’employant à traduire d’anciens textes religieux pour le compte du First Zen Institute of America. Travail et temps de méditation rythment ses journées dans cette communauté qui prône une « libération personnelle et universelle ». À son retour aux États-Unis, l’écrivain sera l’un des plus fervents acteurs de la diffusion du bouddhisme zen dans son pays.
Publié à l’automne 2018 par les éditions Wildproject, le Sens des lieux est un recueil d’une vingtaine d’essais qui donnent un aperçu de quarante ans de pensées et d’écrits de l’auteur. La première partie de l’ouvrage (« Éthique ») réunit des textes engagés visant à définir une politique écologique pour sortir des dogmes de la croissance illimitée – qu’il compare au « symptôme du cancer » – et du développement qui risquent de nous conduire à un « holocauste biologique ». Héritier de la pensée de Henry David Thoreau, il en appelle à revenir à une forme de « simplicité légère, insouciante et élégante » et à réenchâsser l’économie dans l’écologie. Pour ce faire, il prend appui sur la sagesse des Amérindiens, les préceptes du bouddhisme et la poésie chinoise.
« Le cœur du problème ? Transformer, comme dans le Jujitsu, la magnifique énergie de croissance que déploie la civilisation moderne en une recherche désintéressée d’une connaissance profonde de soi et de la nature », écrit-il en insistant sur le fait « qu’il existe de nombreuses façons immatérielles et non destructrices de croître ».
Vivre régionalement en contribuant à une société planétaire
La seconde partie du livre (« Esthétique ») s’intéresse à l’écriture, et plus particulièrement à la poésie, qui « favorise l’intégration, renforce la communauté et honore la vie de l’esprit ». Mais aussi aux pouvoirs de la méditation qui « rend humble » et « favorise la connaissance de soi, la sérénité, l’attention et la confiance en soi ».
Dans la troisième partie (« Bassins-versants »), à l’écoute des Indiens d’Amérique qui connaissent de manière intime les terres « sacrées » qu’ils habitent, il se fait l’apôtre du biorégionalisme, approche visant à créer une harmonie entre la culture humaine et l’environnement naturel. Militant d’une écologie radicale, il a fondé dans les années 1970 une communauté rurale dans la Sierra Nevada, où il vit toujours. « Le défi, pour chaque individu, est de réapprendre à habiter les lieux – ce qui veut dire apprendre à vivre et à penser comme si nous étions totalement engagés dans un lieu et sur le long terme (…) Cela implique une recherche de pratiques économiques qui soient à la fois sophistiquées et durables, et qui permettraient aux gens de vivre régionalement, tout en contribuant à une société planétaire et en apprenant d’elle ».