« Je me sens chez moi. » Voilà ce que Philippe Boniface se dit lors de sa retraite, en 2004, à la Gendronnière, plus grand temple d’Europe du bouddhisme Zen Soto, situé dans le centre de la France. C’est la première fois qu’il met les pieds dans un dojo. Il vit un déclic. Comme de nombreux pratiquants, il se montre impressionné par l’atmosphère du dojo et la posture du zazen (jambes croisées, dos droit, mains ramenées contre l’abdomen, ndlr). Son choix est fait : il pratiquera le Zen Soto. Or, sur l’île de la Martinique, où il réside, il n’y a pas de sangha. Spontanément, il demande à son maître Jean-Marc Tenryu Bazy de constituer un groupe de pratiquants. « Dans le Zen et de manière plus globale dans le bouddhisme, on ne peut pas rester isolé à long terme. Si pour chaque retraite, vous devez vous rendre en métropole et dépenser 1200 euros en billets d’avion et en frais de séjour, la pratique devient chère et sélective. »
Des temps de pause collectifs
C’est ainsi que naît en 2008 l’Association cultuelle bouddhiste Zen Soto de Martinique-Godaï-Ji. Celle-ci réunit aujourd’hui une trentaine de personnes. La Martinique étant une terre de métissage, leurs origines sont plurielles : Argentine, Brésil, Vietnam et France. Pour autant, c’est en Martinique que les deux tiers d’entre eux ont grandi. Le mardi et un dimanche sur deux, le groupe se retrouve pour pratiquer dans une salle située dans la ville de Schoelcher et dans une habitation créole familiale aménagée en temple, à proximité de Fort-de-France. Depuis deux ans, chaque année, en mai et en décembre, deux sesshins (nom donné aux retraites de méditation, ndlr) permettent à une vingtaine de pratiquants d’avancer dans la compréhension du dharma. Au programme : quatre séances journalières d’1h30 de méditation, des temps d’enseignement, des repas préparés et pris en commun dans la quiétude du silence, etc. Le groupe organise également le reste de l’année des conférences conçues pour le grand public, des ateliers de couture du késa, la tenue traditionnelle, et des initiations aux instruments de musique utilisés pendant les séances de méditation : la clochette ou le « mokugyo », le tambour en bois. Enfin, des maîtres mahayana tels que Jean-Marc Tenryu Bazy, abbé du temple zen gudo-ji de Lyon, ou Christain Reiyu Payen, ancien président du dojo zen de Paris et Président de l’association zen Nuage et eaux, viennent régulièrement de l’hexagone pour leur permettre d’approfondir les enseignements dans leur vie quotidienne, loin de tout vagabondage mental.
Méditation au coucher du soleil
Au fil du temps, des liens forts se sont construits, au sein du groupe. « De l’amitié et de l’amour se dégagent entre nous », confie avec le sourire Maria Rosa Mattioli, 65 ans, membre du sangha depuis 2012. Elle a vécu avec le groupe « beaucoup de beaux souvenirs ». Le plus fort ? « Peut-être une méditation en plein air au coucher du soleil. »
« Notre pratique se rapproche des arbres qui poussent au beau milieu des rochers, explique-t-il. Ils peinent à grandir, mais sont plus solides. L’idée, ce n’est pas de vivre dans un environnement protégé, mais d’être en permanence obligé de se réajuster. » Vénérable Philippe Eison Boniface
Né dans une petite commune alsacienne, Fabrice Betti, 48 ans, qualifie sa rencontre avec le sangha de « tournant majeur dans sa vie ». « La pratique quotidienne de zazen est une vraie ressource pour rééquilibrer mon corps et mon esprit », précise-t-il. Une vision que partage le fondateur de la petite communauté et 92e patriarche dans la succession du Bouddha Shakyamuni, le Vénérable Philippe Eison Boniface, à l’agenda bien rempli. À 58 ans, le Martiniquais travaille en tant que directeur de la formation dans une chambre consulaire et enseigne les sciences de l’éducation au sein de la faculté de l’Université des Antilles de Schoelcher. Avec ses responsabilités managériales et sa vie de famille, il dit qu’il aurait toutes les raisons d’alimenter les trois poisons – la colère, l’ignorance, l’avidité. Mais à l’égal de ses maîtres, s’inscrivant dans la lignée de Gudo Wafu Nishijima, il s’ancre dans le monde et apprend à vivre sa spiritualité dans la réalité du quotidien. « Notre pratique se rapproche des arbres qui poussent au beau milieu des rochers, explique-t-il. Ils peinent à grandir, mais sont plus solides. L’idée, ce n’est pas de vivre dans un environnement protégé, mais d’être en permanence obligé de se réajuster. »
L’Association cultuelle bouddhiste Zen Soto souhaite maintenant achever l’aménagement des dortoirs du temple et du Bonsho (cloche du temple), mais aussi compter de nouveaux membres qui allient pratique et doctrine, vie quotidienne et esprit. Un programme enraciné dans l’époque.