Yann Arthus-Bertrand Un humaniste engagé qui met le vivant au cœur du quotidien

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Photographe, réalisateur, président de la Fondation GoodPlanet, depuis la conférence de Rio de 1996 qui l’a profondément marqué, Yann Arthus-Bertrand agit pour sensibiliser l’opinion publique et « placer l’écologie au cœur des consciences ». Covid-19, Greta Thunberg, éco-gestes, éducation et intelligence collective contre religion de la croissance, il pose un regard à la fois acéré et éclairé sur les combats à mener.

Au sujet des zoonoses comme la Covid-19, qui se transmettent des animaux aux humains, l’anthropologue Jane Goodall (1) affirme que « nous sommes arrivés à un tournant décisif dans notre relation avec le monde naturel. » Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

Je crois que cette pandémie est surtout née de la folie des hommes de détruire la planète et de consommer des animaux sauvages. J’avoue être en colère contre les Chinois : ils ne respectent pas les traités internationaux sur la non-exploitation des espèces protégées qu’ils ont pourtant signés. Ils organisent de grandes conférences sur ce sujet, ils protègent les pandas, etc., mais dans les faits, ils font l’inverse. On le voit avec le commerce de l’ivoire, dont la Chine et le Vietnam sont deux des plus gros acheteurs. Il en va de même avec la corne de rhinocéros, les ailerons de requin, etc. On a l’impression que tout ce qui est interdit à la consommation se retrouve dans la marmite des Chinois ! L’exploitation animale est parfois justifiée par le poids des traditions, notamment dans la médecine chinoise, mais c’est un faux argument. Certaines traditions sont bonnes, d’autres mauvaises, mais rien ne justifie qu’on exploite les animaux de cette manière. Voyez les marchés aux chiens en Asie, c’est d’une rare violence ! Nous ne faisons pas mieux en Occident avec nos élevages industriels de cochons et autres vertébrés. Ce sont des nids à virus !

Je suis en train de lire Fautil manger les animaux ?, le formidable plaidoyer végétarien de Jonathan Safran Foer (2), qui rappelle que l’élevage industriel génère 50% des gaz à effet de serre ! Le point positif, c’est que nous pouvons tous limiter notre consommation de viande, c’est un geste simple et rapide à faire. Avant de vouloir agir pour sauver la planète, il faut déjà penser à soi, être bienveillant envers nous-mêmes, et cela passe par arrêter de consommer de la viande industrielle.

Malgré les appels à la transformation de la société, la relance économique semble repartir sur les mêmes bases que l’avant Covid-19 pour « sauver les meubles ». Qu’en pensez-vous ?

Je suis inquiet, les six prochains mois vont être déterminants : serons-nous capables de parler de bienveillance, d’empathie, malgré la crise économique qui se profile et le fait que nos sociétés sont accros à la croissance ?

Aujourd’hui, ne pas être pessimiste avec les chiffres concernant la planète, c’est être aveugle ! On a perdu 60% de la vie sur Terre en l’espace de quarante ans ! En matière de CO2, on marche à l’envers : selon l’accord de Paris (3), il faudrait arriver au seuil de deux tonnes émises par habitant en 2050, alors que nous en sommes à douze ! On vit dans un monde inconscient, mais je reste optimiste quant à la mobilisation des nouvelles générations. J’admire Greta Thunberg ; j’ai même arrêté de prendre l’avion il y a six mois grâce à elle !

Que vous inspire cette demoiselle de 17 ans, qui a marqué un véritable tournant dans la cause environnementale ?

Il ne faut pas demander aux jeunes de se charger de ce que nous n’avons pas eu envie de faire. C’est à nous de changer les choses, maintenant. Greta a un côté radical très intéressant et nécessaire pour faire bouger les lignes. Elle souffre du syndrome d’Asperger ; pour les enfants qui présentent cette forme d’autisme, rien n’est gris, c’est noir ou blanc. Elle a réussi à créer un mouvement jamais vu auparavant. Il y a une forme de colère chez Greta, elle souffre véritablement de cette situation, ce qui la rend touchante, même si elle est parfois maladroite. Comment ne pas comprendre cette révolte, partagée par des milliers de jeunes ? N’oublions pas que les scientifiques évoquent la 6e extinction ! Contrairement à ce que certains avancent, Greta n’est ni fanatique ni extrémiste, elle a simplement raison : vu la situation de la planète, il faut se battre, prendre des risques, sortir de sa zone de confort, comme l’ont fait Gandhi ou Mandela à d’autres époques et sur d’autres fronts.

À l’image du Dalaï-Lama, certains sages laïcs prônent la simplicité, la responsabilité et la notion d’interdépendance pour faire face à la pandémie. Partagez-vous cette piste ?

Le Dalaï-Lama a une espèce de super intelligence, comme le pape François et certains grands leaders qui, malheureusement, ne sont pas toujours écoutés, car leur niveau est trop élevé pour la moyenne des gens. J’aime cette notion de bienveillance, chère au bouddhisme, ainsi que les messages du Dalaï-Lama, qui a raison sur tout, mais qui n’a malheureusement pas de pouvoir de décision. Je l’avais croisé lors de l’exposition La Terre vue du ciel ; je me rappelle de son étrange façon de prendre le pouls lorsqu’il te serre la main. Il avait beaucoup aimé la photo du Cœur de Voh en Nouvelle-Calédonie. Il m’avait dit qu’il s’agissait d’un message d’amour que nous envoyait la planète.

« Les six prochains mois vont être déterminants : serons-nous capables de parler de bienveillance, d’empathie, malgré la crise économique qui se profile et le fait que nos sociétés sont accros à la croissance ? »

Il y a beaucoup de penseurs, Edgar Morin, Gaël Giraud, ces « futurologues » qui développent des idées formidables, mais qui sont un peu en décalage avec la réalité. Aujourd’hui, nous avons besoin d’exemples concrets : arrêter de manger de la viande, acheter au juste prix les produits des paysans… Par exemple, nous payons 30 centimes le litre de lait, alors qu’il leur revient à 45 centimes ! Les éleveurs et agriculteurs travaillent soixante-dix heures par semaine, sept jours sur sept, en perdant de l’argent tous les jours… C’est scandaleux !

Quelles sont les mesures prioritaires à prendre pour préserver l’environnement ?

De manière générale, et on le voit à travers les éco-gestes, je pense que nous vivons dans la banalité du mal, pour reprendre Hannah Arendt. On mange de la viande, ce n’est pas grave ; on prend la voiture, ce n’est pas grave ; on achète un produit pas cher, en ne cherchant pas à savoir qui l’a fabriqué ou, comme dans les cas des paysans, en payant des prix qui ne leur permettent pas d’en vivre, et nous faisons à nouveau comme si ce n’était pas grave… Nous ne sommes pas mauvais, mais nous acceptons cette banalité du mal pour faire des économies, avoir plus de confort… On devrait apprendre aux enfants, dans les écoles et en famille, à travailler autour de la banalité du bien : l’éthique, la moralité, l’honnêteté… Cette banalité du bien, ce sont aussi les éco-gestes. Cela ne consiste pas simplement à fermer son robinet quand on se lave les dents, trier ses déchets ou acheter bio – oui, c’est bien de manger bio, car, aujourd’hui, en France, nous avons perdu 80% des insectes volants et 30% des oiseaux à cause des pesticides -, c’est bien plus compliqué que ça. Éduquer les jeunes au développement durable est fondamental. C’est ce que nous faisons par exemple avec les posters GoodPlanet « Objectifs de Développement Durable », lancés par la fondation et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse grâce au soutien de la MAIF, du réseau Canopé, de Geodis et des photographes. (4)

Arrêtons les déclarations d’intention et de tout attendre des politiques. Nous nous heurtons à un manque de courage politique et à l’absence d’union sacrée. Idéalement, nous devrions être gérés par de belles personnes, comme le Dalaï-Lama, Gandhi ou Mandela, que nous pourrions suivre en toute confiance. Mais chacun dans sa zone d’influence peut changer le monde : le politique, le cinéaste-réalisateur à travers son œuvre, le journaliste, le boulanger… La solution est là : ne pas toujours dépendre de l’État ; ne faut pas trop attendre des autres pour agir.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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