Quel rapport entretenez-vous avec le bouddhisme ?
Je ne prétends pas bien le connaître, mais cela fait partie des propositions humaines qui me paraissent nécessaires à l’évolution. J’en ai observé les pratiques et je l’ai aussi rencontré par des lectures. J’ai lu beaucoup de philosophie, j’ai pris élément par élément pour essayer de comprendre le sens de la vie. C’est Socrate qui m’a le plus marqué, parce que c’est lui qui dit : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Il le dit consciemment, il ne dit pas « J’ignore » : il est simplement réaliste, il sait que nous ne savons pas grand-chose. Et ça pour moi, c’est la vérité : nous ne savons rien. Pourquoi suis-je né ? Chacun fait ses supputations et essaye d’organiser une logique dans tout cela, mais la réalité, c’est qu’on ne sait pas.
Votre parcours de vie s’est aussi construit sur un discours interreligieux très fort.
Je suis né musulman, puis mon itinéraire de vie – orphelin confié à des Français en Algérie au milieu du XXe siècle – m’a fait passer à la religion chrétienne. Et j’y ai adhéré au point d’en demander le baptême. J’ai fait mon chemin d’initiation à travers ces deux religions, et puis, chemin faisant, je me suis dit que le message était tellement surchargé qu’on en oubliait un peu sa finalité… Dans son essence profonde, le christianisme est complètement admirable, tout comme l’islam, qui touche à une forme de grande vérité à travers le soufisme, par exemple. Pareil pour le judaïsme. Tout ce qui est, dans son essence, rattaché à l’intelligence suprême est tout à fait louable.
« La solution n’est pas la conformité, c’est de s’éclairer soi-même, sans autorité. Avec sa propre responsabilité. »
Mais au fur et à mesure que le secteur métaphysique s’est constitué, chaque courant spirituel et religieux s’est formé une logique, chacun créant ses préceptes, ses dogmes, ses pratiques, etc. Cela a plus contribué à créer du chaos que de la vérité. En témoignent les guerres de religion avec les prétentions à affirmer que chacun possédait la vérité. On aboutit à un monothéisme qui, à partir d’une même racine dont découle des interprétations différentes – le judaïsme, le christianisme et l’islam – finit par produire de la violence : les dissensions entre sunnites et chiites, ou entre catholiques et protestants, les guerres de religion, etc. L’Histoire s’est « chaotisée » à partir des religions.
Où en êtes-vous aujourd’hui, où vous situez-vous ?
Je suis dans le message « christique », c’est-à-dire la proclamation absolue qu’il n’y a que l’amour qui peut changer l’Histoire de l’humanité. C’est ma conviction profonde. Mais je fais abstraction de tout ce que l’on a mis autour de ce message, on l’a tellement enrobé qu’on l’a rendu complexe, alors qu’il est très simple : c’est l’énergie d’amour, « Aimez même vos ennemis ». Je ne suis pas dans l’Eglise, seulement dans les messages. Et notamment ce message important : l’énergie d’amour est la seule qui puisse résoudre tous les problèmes. Pour arrêter toute violence, c’est l’amour.
Vous dénoncez pourtant régulièrement le fait que la Bible consacre en priorité le masculin sur le féminin…
Les religions sont fondées sur le masculin, qui prime partout. Dans l’Ancien Testament, il y a un accablement du féminin, qui est coupable dès le départ et produit tous les dégâts, avec Eve qui croque la pomme… Le grand patron, c’est le Dieu masculin ; le féminin est subordonné au masculin, ce qui est une anomalie terrible. Et tout cela a été entretenu dans la doctrine fondamentale des monothéismes. Cela a structuré et architecturé nos modes de pensée et faussé les données réelles de l’existence, puisqu’il faut qu’il y ait les deux, du masculin et du féminin, pour qu’il y ait vie. Il y a peu de religions qui exaltent le féminin, au fond.
Est-ce que vous méditez ?
Je médite en permanence – là par exemple, je suis en train de méditer. Mais cela ne consiste pas à me mettre dans une posture favorable, non, la méditation est quelque chose de totalement ouvert. Ce ne doit pas être une parenthèse dans le temps, même si cela peut avoir une fonction psychologique. Pour moi, méditer, c’est regarder autour de nous. Quand je sème une graine, je médite, je me demande quel est ce miracle qui fait exploser la vie à partir d’une petite graine insignifiante dans la terre. C’est magique, c’est ça la méditation. Ce n’est pas l’abstraction qui donne au cerveau un espace de fantasme. La méditation, c’est une connexion à ma réalité que j’ignore à force de vivre comme un zombie, replié sur moi-même. Méditer, c’est être présent à la vie, ce n’est pas s’en abstraire.
Peut-on dire que vous défendez une certaine forme de « spiritualité concrète », en somme ?
Absolument, il faut mettre de l’esprit dans la matière. Il y en a déjà, en fait, mais il faut le reconnaître. Je dis toujours : « On peut manger bio, recycler ses déchets et exploiter son voisin ». C’est l’être humain qui doit changer, et ce n’est pas le bio qui va le changer. Et ça, c’est une réalité absolue. Il faut que nous, êtres humains, nous prenions en compte dans la mutation : comment vais-je participer à la mutation par ma propre mutation ? Comment vais-je apprendre à mieux aimer, à mieux comprendre ? Là, je suis dans la mutation. Ce n’est pas simplement manger bio ou s’éclairer à l’énergie solaire. Si l’homme reste toujours dans ce caractère d’ambition, de compétition et de méchanceté qu’il a en lui, ce n’est pas ça qui changera l’humanité. C’est là où la spiritualité interne peut jouer.
Là où j’ai trouvé une réflexion, hors des religions dites « officielles », qui contribue énormément à l’évolution de la société par la connaissance de soi, c’est dans Krishnamurti. Pourquoi ? Parce qu’il a fait de la maïeutique, comme Socrate. C’est le « Connais-toi toi-même », ce n’est pas « Conforme-toi à quelque chose », et tout ira bien. C’est « Refuse tout ce que tu n’as saisi par toi-même, en profondeur ». La solution n’est pas la conformité, c’est de s’éclairer soi-même, sans autorité. Avec sa propre responsabilité.