Que faire pour la génération montante ? Comment lui transmettre le message humaniste et universel dont le bouddhisme est porteur, pour en faire celle d’un monde meilleur ? Ces questions poursuivent bien des pratiquants du Dharma, observant la difficile prise en charge des enfants dans les centres bouddhistes, lors des enseignements, des rituels, des sessions de méditation, où ils peinent parfois à trouver leur place. Des parents, simplement en quête de sagesse, pouvant être éloignés de toute tradition religieuse, se les posent également. Et face aux besoins existentiels autant que spirituels des jeunes en général, un accompagnement sur mesure a pu sembler nécessaire. Pourquoi pas en s’appuyant sur les valeurs et le savoir-faire du scoutisme ?
Genèse du mouvement
« L’idée a germé en 2007, lors d’une rencontre islam-bouddhisme au centre de Karma Ling en Savoie, se souvient Pierre Lançon, alors résident au sein de la structure. Nous réfléchissions aux attentes des jeunes et le Cheikh Bentounès nous a fait cette suggestion. Il avait lui-même été fondateur des Scouts Musulmans de France 1990 et en avait mesuré les grands bénéfices. » La proposition a résonné comme une évidence. Toutes les valeurs du scoutisme peuvent être en adéquation avec l’esprit du Dharma, et le projet n’a pas tardé à voir le jour, en tâtonnant un temps sur la forme et l’ancrage spirituel qu’il fallait lui donner.
Devait-on inscrire le mouvement naissant dans la tradition, mais alors, en le rattachant à quelle lignée, quel courant ? « Il a rapidement été décidé de déconnecter les scouts bouddhistes de toute dimension culturelle et même religieuse au sens strict du terme », précise Pierre, devenu responsable de la commission spirituelle. Que devait-il alors rester de bouddhiste à ces nouveaux scouts ? « L’essentiel ! assure-t-il : la méditation, l’éthique et la compassion ». De quoi toucher aussi bien les jeunes et les familles familiarisés avec le bouddhisme que des personnes de tous horizons, même athées, dans un esprit très libre et indépendamment de leur orientation politique. « L’éducation à la pleine conscience peut répondre aux besoins d’enfants 100% bouddhistes ou 100% laïques, poursuit-il. Notre démarche repose sur sont trois objectifs universels : éveiller à la présence par l’attention au corps et aux sens d’une part ; développer l’intelligence émotionnelle en favorisant la conscience et la formulation des émotions d’autre part, et accroître enfin les qualités de cœur en encourageant la bienveillance, la non-violence et l’émerveillement. »
« Nous insistons particulièrement sur l’approche d’une nature habitée au sens sacré du terme, et que l’on peut aussi habiter autrement, plus harmonieusement et respectueusement, de façon moins humano-centrée. »
Leur véritable nom contient en germe ce programme à la fois minimaliste et immense, car les scouts bouddhistes sont plus exactement enregistrés en tant qu’Éclaireuses et Éclaireurs de la Nature (EDLN). Celle de l’esprit, bien sûr, mais aussi d’une nature bien concrète, tout en chair et en chlorophylle. C’est ce qui a attiré Martin, quand il avait neuf ans. Devenir scout, cela ne devait pas faire de doute pour Marine, sa maman, qui garde un souvenir fort de cette expérience vécue enfant. « Pour répondre à la fois au côté très nature et à l’athéisme déjà affirmé de mon fils, nous lui avons proposé les scouts bouddhistes. C’était un bon compromis offrant une dimension spirituelle, mais très libérale et respectueuse des autres traditions », explique-t-elle. Bien choisi, de l’avis de Martin : « J’ai aimé bâtir les campements dans la nature lors des séjours d’été et les « temps spi » d’un quart d’heure chaque jour passé à méditer me convenaient. On n’avait pas vraiment d’autres liens avec le bouddhisme, en dehors d’une visite chez un moine qui nous a parlé de l’existence. C’était intéressant ». Faute de temps, il a quitté le mouvement. Il avoue ne pas savoir ce qu’il en gardera plus tard, du haut de ses treize ans, mais il se dit qu’il pourra peut-être revenir à la méditation, découvrir le yoga et pourquoi pas s’intéresser à l’hindouisme.
De l’ADN scout aux spécificités des EDLN
L’association des Éclaireuses et Éclaireurs de la Nature est aussi 100% scout, en tant que membre de la Fédération du Scoutisme Français qui comprend aussi les Scouts Musulmans de France, les Scouts et Guides de France, les Éclaireuses-Éclaireurs de France, les Éclaireuses-Éclaireurs Israélites de France, les Éclaireuses et Éclaireurs Unionistes de France. Elle reprend donc strictement les sept piliers de la pédagogie du mouvement lancé par Baden Powell, voici plus d’un siècle au Royaume-Uni : la loi du cœur et la promesse, l’éducation par l’action, le système d’équipe, le cadre symbolique, la progression personnelle, la relation éducation et la vie dans la nature. Logiquement, les accompagnants reçoivent aussi la même formation que ceux des autres mouvements. Et parce que ces structures partagent les mêmes fondamentaux, des rencontres et des camps jumelés sont proposés. De quoi ouvrir plus encore les esprits, croiser les pratiques en restant toujours scouts.
Bien sûr, chaque courant a ses particularités. « Aux Éclaireuses et Éclaireurs de la Nature, nous insistons particulièrement sur l’approche d’une nature habitée au sens sacré du terme, et que l’on peut aussi habiter autrement, plus harmonieusement et respectueusement, de façon moins humano-centrée, explique Emmanuel Buu, Président du mouvement. D’où le choix de manger essentiellement végétarien, par exemple, afin d’être cohérent avec un respect strict de la vie animale et de l’écologie en général ». Par temps de bouleversement climatique et de crise de la biodiversité, le message a de quoi porter, indépendamment de l’origine culturelle et religieuse. « Les scouts bouddhistes comptent environ 1200 adhérents aujourd’hui, c’est peu, sur plus de 120 000 membres du scoutisme en France, tous courants confondus, reconnaît-il, et nous sommes à la recherche de chefs pour l’encadrement. Mais le mouvement est jeune et doit prendre doucement ses marques pour grandir en cohérence. »