Yann Arthus-Bertrand : S’accomplir et s’engager avec bienveillance

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Pour cet humaniste, il n’y aura pas de transition écologique sans que nous opérions une révolution dans notre façon de penser le monde. De la spiritualité à la place des femmes dans cet univers managé par les hommes (thème de son film, Woman), en passant par notre rapport à la vie et à la mort, Yann Arthus-Bertrand œuvre pour nous aider à changer de focale et appliquer au quotidien les notions d’engagement et de bienveillance. « Agis en ton lieu, pense avec le monde » écrivit le poète Édouard Glissant. « Agir rend heureux », lui répond le président de GoodPlanet.

Face à la pandémie, les pays se sont repliés sur eux-mêmes. La notion d’interdépendance permettrait-elle de créer une vision commune pour l’avenir, notamment en matière d’écologie ?

Il faut composer avec l’égoïsme des nations. L’ONU n’est qu’une réunion de copropriétaires : tout le monde s’écharpe, personne n’est d’accord sur la couleur des murs. Nous nous enrichissons tout en pillant les réserves de la planète, c’est insensé ! On ne peut pas avancer dans un monde où chacun tire la couverture à soi. Il y a un manque profond d’humanisme. Face à la pandémie, tous les pays se sont en effet refermés sur eux-mêmes. Je n’ai pas la solution, mais je reste optimiste, car je pense que nous sommes une espèce intelligente. Peut-être finirons-nous par comprendre qu’il faut arrêter de coloniser la planète si nous prenons en compte des données objectives comme celle qui concerne la biomasse des vertébrés sur Terre. Elle est constituée à 98% par l’homme et ses animaux domestiques ! Les oiseaux, les renards, les éléphants, les rats, les hérissons, bref tous les animaux sauvages ne représentent que 2% !

La Covid-19 a mis en exergue notre crainte de la mort, voire son refus. Le bouddhisme invite à rester en lien au quotidien avec cette réalité. Qu’en pensez-vous ?

Le Dalaï-Lama a cette phrase que je trouve très juste : « Si tu ne penses pas tous les jours à la mort, tu n’as pas vraiment vécu ». Nous allons tous mourir, c’est une certitude, il faut donc s’y préparer pour ne pas craindre l’inconnu.

En ce moment, je pense beaucoup à la mort, mais je ne la crains pas. Je me souviens d’un témoignage que j’avais tourné pour mon film Six milliards d’autres. Il s’agissait d’une femme de Madagascar, qui parlait mal français, ne savait ni lire ni écrire, qui survivait au quotidien, et à qui j’avais demandé : « Quel est votre plus grand rêve ? » Elle m’avait répondu : « J’aimerais mourir avec le sourire ». Accepter la mort est bien plus enrichissant que de passer sa vie à la combattre. Donner, partager, tout cela donne du sens à l’existence et permet de la magnifier.

« Accepter la mort est bien plus facile et enrichissant que de passer sa vie à la combattre. »

Dans mon studio photo, j’ai un cercueil en carton que l’on m’a offert, sur lequel mes petits-enfants ont dessiné. C’est le cercueil qui accueillera ma dépouille, et ça ne me gêne pas du tout de l’avoir sous les yeux ; ça n’a rien de morbide, comme je l’explique à certains visiteurs qui semblent circonspects.

Existe-t-il un lien entre écologie et spiritualité ?

Oui. Nous avons besoin d’opérer une véritable révolution intérieure pour changer notre façon de considérer la planète. Elle ne sera pas politique, il est illusoire de tout attendre de nos élus. Elle ne sera pas non plus scientifique : il ne suffit pas de créer des machines pour solutionner les problèmes. Par exemple, il n’existera jamais assez de panneaux solaires ni d’éoliennes pour remplacer les 110 millions de barils de pétrole consommés chaque jour ! Et elle ne sera pas économique puisque nous voyons bien que la plupart de nos dirigeants et capitaines d’industrie ne jurent que par la croissance… Pour moi, ce n’est donc qu’en agissant avec bienveillance vis-à-vis de la planète comme de nous-mêmes que nous pourrons changer durablement les choses et devenir plus responsables et solidaires.

Et bienveillance vis-à-vis des femmes qui subissent nombre d’atrocités et d’injustices. Début mars, vous avez sorti Woman, un film poignant coréalisé avec Anastasia Mikova.

Dans mes films précédents, notamment Human, nous n’avions pas assez approfondi cette question : qu’est-ce qu’être une femme dans un monde d’hommes au XXIe siècle ? J’étais intéressé par les nombreuses injustices dont elles sont victimes – pourquoi 80% des personnes illettrées sont des femmes ? Pourquoi, alors qu’elles fournissent 50% du travail, ne possèdent-elles que 2% des propriétés au monde ? Anastasia a voulu élargir le sujet en évoquant les épreuves qu’elles traversent dans leur vie, la sexualité, les règles, leur rapport à la beauté, etc. Au total, nous avons réalisé 2000 interviews ! Ce sont des témoignages très forts que nous n’avons pas pu assez partager avec le public, car le film est sorti en pleine pandémie. Nous allons donc le ressortir en VOD. (1)

Qu’avez-vous appris d’elles durant ce tournage ?

Mon regard sur les femmes a évolué au fil des ans. Je fais partie d’une génération assez machiste, élevé dans une famille de sept enfants, avec un père qui dirigeait tout et une mère effacée… Il est plus difficile d’être une femme qu’un homme dans nos sociétés modernes. Car, au-delà de la lutte pour l’égalité salariale, elles mènent des combats de tout ordre. De ce fait, elles ont plus d’ambition que les hommes et surtout, elles n’abandonnent pas. On remarquera que nombre de grandes figures de l’environnement sont des femmes, comme la biologiste Rachel Carson qui a fait interdire le DDT (2), Jane Goodall et Dian Fossey (3), et que les pays qui ont des dirigeantes à leur tête (Islande, Nouvelle-Zélande, Allemagne, Belgique, etc.) proposent les politiques les plus humanistes.

Quelles sont les femmes qui vous ont le plus marqué ?

Il y a cette femme qui ouvre le film, une Mexicaine qui a vécu les pires horreurs : violée par son grand-père, elle s’enfuit de son pays et se réfugie au Japon, où elle tombe dans les filets de la mafia nippone qui fait d’elle une esclave sexuelle pendant cinq ans. Elle s’en sort grâce à l’un de ses « clients » qui l’épouse et l’amène au Canada où elle donne naissance à un enfant qui souffre d’une forme de cécité. A ce moment-là, elle sombre, se met à boire et finit par sortir de ce cycle pour s’occuper de son fils. Elle se met alors à courir et devient l’une des meilleures marathoniennes du monde ! Pendant des années, elle refusa de témoigner. Mais un jour, lors d’une conférence au Mexique, elle raconte son histoire, et ce qu’elle dit alors est incroyable. Pour elle, le plus dur n’a pas été de se confronter à toutes ces épreuves, mais de se livrer sur scène, d’oser raconter ses viols ! Elle m’a fait comprendre qu’en plus de subir des atrocités, les femmes doivent aussi surmonter la douleur et la honte de briser le silence. Certains témoignages, comme ceux des femmes violées au Congo ou des yézidies vendues contre un paquet de cigarettes, sont insoutenables… Mais c’est aussi un film plein d’espoir, car les femmes sont courageuses et surtout incapables d’autant de violence que les hommes.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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