Paroles du Dalaï-Lama : « Demain sera l’âge de la femme ! »

- par Henry Oudin

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Lors de sa visite en France en août 2008, le Dalaï-Lama s’est adressé à plusieurs reprises de manière ciblée et précise aux femmes venues l’écouter. Et donc indirectement aux hommes qui les accompagnaient. Jamais auparavant, depuis 1959, date du début de l’exil du Dalaï-Lama en Inde, Tenzin Gyatso ne s’était exprimé ainsi en direction des femmes. Il leur a délivré ce message qu’il juge capital : « L’âge à venir sera celui de LA Femme ! Le monde a besoin pour survivre des valeurs qu’elle incarne. »

Ce type de déclaration en forme de slogan, venant d’un chef religieux, entouré essentiellement d’hommes, peut surprendre. Mais cela serait ignorer la dimension humaine et singulière de ce moine, profondément libre intérieurement, totalement engagé pour la paix dans le monde et déterminé à tout faire pour la faire progresser. Ce qu’il fait en parlant ainsi aux femmes. Il suffit pour s’en convaincre de l’écouter encore, un instant : « La violence est démodée. Laissons les valeurs féminines s’épanouir dans nos sociétés afin de changer les mentalités. Les dirigeants politiques doivent donner des rôles plus importants aux femmes. C’est essentiel pour construire une paix durable et le futur de l’humanité. »

Loin d’être un doux rêveur comme certains préféreraient le croire, ne faisant appel ni à des clichés ni à la facilité malgré les apparences, le Prix Nobel de la Paix affirme ici, avec force, son point de vue : que les femmes sont, selon lui, les garantes de la pérennité de l’humanité ; et, qu’il est urgent de propager les valeurs qu’elles incarnent naturellement, la compassion, la générosité, la tendresse. Avant qu’il ne soit trop tard et que la violence et les guerres de tous ordres, y compris économiques et environnementales, ne conduisent à des catastrophes irréversibles.

Ce constat, Tenzin Gyatso le pose aujourd’hui encore, après avoir sillonné pendant plus de trente ans inlassablement le globe pour participer à établir la paix au plan international avec les grands de ce monde, politiques, religieux, économistes, philosophes. Et cela en vain. Rien n’a fondamentalement changé ces dernières années. De nombreux conflits existent un peu partout sur la planète, les extrémismes se renforcent, les droits des enfants et des femmes demeurent bafoués dans certains pays, l’inégalité économique entre le Nord et le Sud se creuse, et le Sida, les guerres, la pauvreté et la famine comptent toujours parmi les fléaux majeurs de ce début de XXIe siècle. Sans être alarmiste ou pessimiste, il est difficile de nier que le monde va mal et que ses dysfonctionnements sont de plus en plus fréquents et nombreux. Cette accélération et cette aggravation des symptômes pourraient conduire aux changements qu’espère le Dalaï-Lama. La crise internationale qui a débuté en septembre 2008 en témoigne. Particulièrement grave, remettant en cause l’ensemble du système économique, elle amène à « repenser » l’éthique des systèmes financiers et à une refonte profonde des valeurs de nos sociétés. Dans ce contexte difficile, de rupture, entre un monde qui s’achève et un nouveau en formation, les femmes sont-elles pour le Dalaï-Lama, plus que jamais, l’un des derniers espoirs de faire changer les choses pour apporter plus de conscience et de générosité dans nos sociétés ? L’appel fait en France le laisse supposer.

La proclamation de « Kundun »

Mais sera-t-il écouté, lui qui se situe dans le « top ten » des personnalités internationales les plus influentes ? Pour qu’il le soit, il faudrait qu’un vrai dialogue et une réelle parité entre les hommes et les femmes soient établis ; et, que nos « vieilles » mentalités et habitudes changent, en profondeur.

Les femmes pourraient jouer un rôle essentiel et changer en profondeur nos sociétés. « Tout est déjà écrit dans le grand livre des humains », disent les indiens Apaches. « Mais nous sommes libres d’écrire les détails de cet ouvrage avec courage et en respectant nos frères les humains, les plantes et les animaux de la nature », ajoutent-ils. Cette élection est leur revanche sur la barbarie des hommes qui les exterminèrent.

C’est de la France, terre d’accueil privilégiée du bouddhisme dans le monde depuis les années soixante, que le Dalaï-Lama avait choisi de délivrer le message qu’il adressa alors aux femmes, en ce mois d’août 2008. J’étais là. Femme, bouddhiste, Française, j’ai entendu les propos du chef religieux et spirituel des Tibétains et je me suis sentie concernée. Peut-être que dans quelques décennies, en nous retournant sur le passé, nous qualifierons ce jour d’historique. Car, si cette proclamation de « Kundun », « La Présence », devient effective, notre futur en sera différent.

« Renaître en femme me permettrait par exemple de promouvoir l’égalité des droits entre les êtres humains et de faire évoluer la situation des femmes qui vivent dans des cultures traditionnelles qui sont discriminantes à leur égard. »

Journaliste, consciente de la portée politique et sociale des déclarations du Dalaï-Lama, j’ai donc questionné et écouté ses interventions et ses enseignements avec un intérêt tout particulier en ce mois d’été 2008 dès qu’il abordait le sujet des femmes. De plus, ayant eu le privilège de le rencontrer à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, j’ai repris mes interviews et notes pour y rechercher des indications qui éclaireraient davantage encore ses propos notamment sur le statut des femmes dans les renaissances. Voilà ce qu’il en dit :

« De son vivant, le Bouddha a enseigné qu’hommes et femmes étaient égaux. Et que réaliser le but ultime, l’état de Bouddha, était possible aussi bien pour les hommes que pour les femmes. On trouve des enseignements qui paraissent en apparences contradictoires, si on ne les replace pas dans le contexte dans lequel il les a donnés. C’est le cas en ce qui concerne l’égalité entre les hommes et les femmes. De plus, selon les pays, les paroles du Bouddha furent parfois interprétées au cours des siècles en fonction des cultures locales.

Très souvent les Occidentaux me questionnent sur mes vies antérieures. Ils souhaitent savoir par exemple si je me souviens de certaines d’entre elles et si j’ai vécu en tant que femme. À cela, je réponds en riant que, ne me rappelant pas toujours de ce que j’ai fait la veille, je peux difficilement me souvenir de manière générale de ce que j’ai fait ou de ce que j’ai été il y a plusieurs existences. En tant que bouddhiste, j’accepte et je crois en la théorie de la réincarnation. J’ai donc sans doute été une femme dans certaines de mes vies précédentes. Comme tout le monde ! Je n’ai pas toujours été un « Dalaï-Lama » !

En ce qui concerne le futur, je ne sais pas si je renaîtrais dans le corps d’une femme ou dans celui d’un homme. Rien ne s’oppose ni à l’un ni à l’autre. Ce qui me paraît important est de refuser toute discrimination en la matière.

C’est en France que l’on me demanda la première fois si je pouvais me réincarner en femme. Le but de la réincarnation dans le bouddhisme tibétain est de réaliser notre nature de Bouddha et d’aider les autres êtres à se libérer de la souffrance. Ce qui suppose de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à trouver le bonheur et les conditions qui y conduisent. Si pour cela, je dois renaître en femme en tant que Dalaï-Lama, parce que j’aurais plus de possibilités d’être utile ainsi dans la société, alors, pourquoi pas ! Dans la tradition tibétaine, de nombreuses femmes furent de grands maîtres. En ce qui concerne les maîtres spirituels, il n’y a pas de grandes différences entre les femmes et les hommes. Ce qui compte, c’est d’avoir un haut degré de réalisation spirituelle afin de pouvoir transmettre au mieux les principes et la pratique bouddhiste.

Ainsi, renaître en femme me permettrait par exemple de promouvoir l’égalité des droits entre les êtres humains et de faire évoluer la situation des femmes qui vivent dans des cultures traditionnelles qui sont discriminantes à leur égard. C’est ce qui existait autrefois au Tibet. Il existait peu de femmes Tulku également. Mais des femmes laïques comme Yeshe Tsogyal (1) jouèrent autrefois au « Pays des Neiges » un rôle politique et spirituel important. Pourtant, aux yeux de la philosophie bouddhique, il n’existe fondamentalement aucune différence entre hommes et femmes en ce qui concerne nos capacités à réaliser l’Éveil. Je prends souvent pour illustrer cela l’exemple du bodhisattva (2) féminin de la compassion Tara. Elle est la première féministe de l’histoire. En observant la situation des êtres qui s’efforçaient d’atteindre l’Éveil, elle remarqua que rares étaient les personnes qui y parvenaient en tant que femme. Elle décida donc de renaître en tant que femme jusqu’à ce qu’elle atteigne elle-même le stade de la réalisation parfaite. Pour cela, elle fit le vœu suivant : « J’ai développé l’esprit d’Éveil en tant que femme. Je fais le vœu de renaître en femme tout au long de mes renaissances et de réaliser l’état de Bouddha, en tant que femme ». Ce qu’elle fit.

Les femmes possèdent les mêmes droits que les hommes et sont leurs égales sur le plan spirituel. Pour moi, cela ne fait aucun doute que dans l’avenir, leurs droits seront rigoureusement établis partout dans le monde. Nous aurons alors, à cette occasion, une conscience renouvelée de ce que signifie « égalité entre hommes et femmes ». Nous devons nous y employer. Et de manière générale, remettre en cause toute idée dont la science prouve qu’elle est obsolète. La science, tout comme le bouddhisme, cherche à comprendre la nature de la réalité au moyen d’une investigation critique. Si l’analyse scientifique devait démontrer que certaines affirmations du bouddhisme sont fausses, il nous faudrait alors accepter les conclusions de la première et abandonner les affirmations du second. C’est ainsi que nous devons procéder de manière générale. »

Extrait de Paroles du Dalaï-Lama aux femmes du monde (Éditions du Rocher, 2010)

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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