Sœur Chân Không : une rebelle en kesa

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Première disciple du maître zen Thich Nhat Hanh à avoir reçu la pleine ordination, sœur Chân Không est aussi la directrice de ses projets humanitaires depuis les années 1960. Itinéraire d’une rebelle, des bidonvilles de Saïgon au Village des Pruniers.

Souriante et mutine, enveloppée dans son kesa marron, elle récite des poèmes et fredonne des chansons en vietnamien et en français entre deux réponses à nos questions. Début avril, nous l’avons interviewée par visioconférence alors qu’elle séjournait à Hué (Vietnam) aux côtés de son maître. Un tableau figurant Thich Nhat Hanh, corps sec et regard perçant, est accroché derrière elle, au-dessus d’un buffet campagnard. De temps à autre, elle hausse le ton et répète deux fois de suite un même mot pour être sûre que le message est bien passé.

À 82 ans, sœur Chân Không n’a rien perdu de sa « force, sa gaîté et son aptitude au bonheur » louées par Thich Nhat Hanh dans la préface de son autobiographie, La force de l’amour, qu’elle a publiée dans les années 1990.

Derrière sa douceur apparente se dissimulent une énergie indomptable et un tempérament de rebelle. Née en 1938, l’année du Tigre, très jeune elle s’oppose à toute forme d’autorité. Adolescente, elle donne des cours de maths à des jeunes de familles aisées de manière à financer des bourses à des lycéens nécessiteux. À vingt ans, après avoir intégré la faculté des sciences de l’université de Saïgon, sitôt les cours terminés, elle rejoint le bidonville le plus proche pour venir en aide aux enfants déshérités. Elle leur fournit des rations de riz, crée un centre de soins qui leur est dédié et aide des adultes sans emploi à mettre sur pied leur petit commerce. En 1961, elle prend la tête du Mouvement social de l’Union des étudiants bouddhistes fondé par Thich Nhat Hanh, qu’elle rencontre deux ans plus tôt. En 1965, elle devient la « commandante en chef » de l’École de la jeunesse pour le service social (EJSS) que vient de créer son maître, tout en militant pour trouver une solution pacifique à la guerre qui a pris un nouveau cours plus dramatique depuis l’intervention massive des troupes américaines. Son carburant ? Vie simple, nourriture frugale et pleine conscience. Quand, en 1966, deux étudiantes de l’EJSS sont tuées par un groupe d’hommes qui ont jeté des grenades dans des dortoirs, c’est elle qui se charge d’écrire l’oraison qui sera lue lors des funérailles. « Nous n’avons aucune haine pour vous, vous qui avez jeté ces grenades et tué nos amies, parce que nous savons que les hommes ne sont pas nos ennemis. Nos seuls ennemis sont le manque de compréhension, la haine, la jalousie, le malentendu et l’ignorance qui conduisent à de pareils actes de violence. »

Vraie Vacuité

En 1968, elle quitte le Vietnam et rejoint Thich Nhat Hanh en Europe pour plaider, à ses côtés, auprès des dirigeants occidentaux et des opinions publiques en faveur de la paix au Vietnam. Tous deux multiplient les conférences à travers le monde. « Je m’adressais à autant de gens que possible et je parlais à chacun de tout mon cœur. Parfois, je donnais sept ou huit conférences dans la même journée. Alors que je parlais, le sang et les larmes continuaient de couler au Vietnam », se souvient-elle. En 1975, à la fin de la guerre, les bombardements à peine arrêtés, des milliers de Vietnamiens, les boat people, cherchent à fuir le régime communiste. Ils quittent le pays, au péril de leur vie, sur des embarcations de fortune. Sœur Chân Không assiste alors Thich Nhat Hanh dans l’organisation d’un programme de sauvetage des boat people qui « contribue à faire arriver les cris des boat people aux oreilles du monde ». Entre 1977 et 1979, les États-Unis portent ainsi leur quota d’accueil de réfugiés vietnamiens de 7 000 à 100 000 par an. La France en accueille, elle, plus de 100 000 en 1979.

« Nous n’avons aucune haine pour vous, vous qui avez jeté ces grenades et tué nos amies, parce que nous savons que les hommes ne sont pas nos ennemis. Nos seuls ennemis sont le manque de compréhension, la haine, la jalousie, le malentendu et l’ignorance qui conduisent à de pareils actes de violence. »

Depuis 1982, sœur Chân Không vit au Village des Pruniers, qu’elle a cofondé avec Thich Nhat Hanh, à Thénac en Dordogne. La communauté de moines et de moniales y accueille chaque année plus d’un millier de visiteurs. Là, elle anime des sessions de relaxation totale et dirige la pratique du renouveau. Cet outil, insiste-t-elle, peut permettre à des personnes de se réconcilier, à des couples notamment sur le point de divorcer, ou à des parents avec leurs enfants. « Au Village des Pruniers, nous nous sommes rendu compte qu’il est préférable d’exprimer ce qui nous a blessés non pas immédiatement, mais quelques jours plus tard, une fois que les choses se sont calmées en nous », glisse-t-elle. Ce n’est qu’en 1988 qu’elle a été ordonnée nonne. « Cela a été comme rentrer chez moi », souligne-t-elle. Son nom de Dharma ? Vraie Vacuité. Dans le bouddhisme, explique-t-elle, « le mot vacuité est la traduction du mot sanskrit sunyata. Il signifie « vide d’un soi séparé ». Cela veut dire que rien n’existe par soi-même, que tout est inextricablement interdépendant ».

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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