La méditation selon une simple nonne Gelugpa

Publié le

La méditation, ou comment troquer de vieilles et mauvaises habitudes contre de nouvelles bonnes habitudes.

À en croire les termes jadis choisis en tibétain par les grands traducteurs, méditer consiste à habituer l’esprit. À quoi ? À regarder l’objet de manière appropriée.

La méditation, qui est largement antérieure au bouddhisme, se décline de multiples manières. Aujourd’hui, en Occident, elle se sécularise à grande vitesse dans les hôpitaux, les écoles ou les entreprises. Pourquoi pas ? Après tout, elle est un outil. Pas un but en soi. Si elle peut s’avérer utile et bénéfique à de nouvelles catégories d’utilisateurs, on ne peut que s’en réjouir, mais ici aussi, il faudrait raison garder ! Depuis des millénaires, l’exercice est réputé comme efficace, ce qui signifie qu’il donne des résultats et implique donc qu’il faut veiller à établir les causes idoines pour obtenir le résultat escompté. Et pas son contraire.

Outre la perte de temps, se lancer dans l’aventure de la méditation à l’aveuglette risque de provoquer des effets regrettables, allant d’un simple abêtissement à la folie furieuse.

En clair, méditer, c’est bien. À condition de savoir comment s’y prendre. Et donc d’apprendre auprès d’un instructeur qualifié. Outre la perte de temps, se lancer dans l’aventure à l’aveuglette risque de provoquer des effets regrettables, plus ou moins marqués, allant d’un simple abêtissement à la folie furieuse.

En se référant aux sutras, c’est-à-dire aux discours du Bouddha, ainsi qu’à des traités tels que ceux du pandit Kamalashila (713-763), Jé Tsongkhapa (1357-1419), le fondateur de l’école tibétaine gelugpa (1), explique que la méditation se présente sous deux formes : la concentration et la méditation analytique. Toutes deux sont nécessaires, leurs effets différents sur l’esprit. La concentration améliore sa stabilité et s’épanouit en calme mental (samatha), tandis que la méditation analytique renforce sa limpidité et son acuité, d’où la vue profonde, ou si vous préférez, la vision pénétrante (vipassana).

Êtes-vous colérique ? Méditez sur l’amour envers tous les autres êtres

Jé Tsongkhapa invite ses disciples à combiner les deux, en alternant méditation analytique et concentration. C’est là l’une des spécificités de son enseignement. L’objet choisi doit être un objet intérieur, c’est-à-dire mental, et en aucun cas un objet extérieur. Par exemple, si on décide de faire porter la méditation sur le Bouddha Shakyamouni, dans un premier temps, il faut certes regarder attentivement une représentation – dessin ou statue, peu importe. On passe ensuite à la méditation, d’abord analytique : on fait l’effort de se rappeler l’objet qu’on vient de regarder de manière à faire apparaître une représentation mentale correcte de lui, sans se tromper de couleur, de posture, etc. C’est plus facile à dire qu’à faire. Par conséquent, au début, il ne fait pas se montrer trop exigeant. Une fois parvenu à visualiser la silhouette du Bouddha, le moment est venu de passer à une concentration sur cette image mentale. Bientôt des idées parasites se lèvent, et dès qu’on s’en aperçoit, on reprend une méditation analytique, et ainsi de suite.

Pour un bouddhiste, s’entraîner à la méditation en choisissant pour objet le Bouddha permet de faire d’une pierre deux coups, et même plus, car cela enrichit d’autres pratiques à commencer par la prise de refuge, et prépare à des méditations plus avancées, y compris tantriques. Néanmoins, il est conseillé aux débutants de méditer au préalable sur les objets susceptibles d’affaiblir leur défaut principal.

Êtes-vous colérique ? Méditez donc sur l’amour envers tous les autres êtres.

L’attachement vous ligote-t-il ? Tâchez de regarder de plus près les inconvénients des objets d’attachement, telle leur nature impermanente : à quoi bon s’attacher à une illusion fugace ?

L’ignorance voile-t-elle par trop votre regard ? Réfléchir aux douze maillons de l’enchaînement des causes et des effets, depuis l’ignorance à la naissance et à la mort dans le samsara, dissipera, ou, au moins, atténuera les ténèbres.

L’orgueil vous rend-il imbu de vous-même ? Penchez-vous sur les (nombreuses !) classifications des phénomènes. Rien de tel pour rabattre la superbe.

Êtes-vous un doux rêveur, sujet à une imagination débordante ? Recourez à la méthode la plus aisée, qui d’ailleurs convient à toutes et à tous, et concentrez-vous sur votre souffle, en suivant mentalement le double mouvement inspiration/expiration. Ici aussi, c’est doublement bénéfique, car cela prépare le terrain à toutes sortes de méditations très élevées dont « prendre et donner » : en inspirant, prendre sur soi la souffrance d’autrui, puis en expirant offrir à autrui tout ce qu’on aurait de bon et de bien.

Peu importe la position, méditez, là est l’essentiel !

Si on en est capable, l’idéal est de s’asseoir les jambes croisées, les deux pieds sur les cuisses opposées. À défaut, la position du demi-lotus peut faire l’affaire. À défaut… N’importe quelle position, du moment qu’elle soit assez confortable pour que la douleur n’accapare pas l’esprit, sans pour autant être relâchée.

L’essentiel est de trouver la posture qui nous correspond. Un sutra relate que jadis un disciple du Bouddha s’adonna avec zèle à la méditation en suivant scrupuleusement les instructions du Guide. Las ! Il avait beau méditer et méditer encore, il ne voyait aucune réalisation poindre en son esprit. Dépité, il se rendit auprès du Maître et lui exposa son désarroi. Le Bouddha lui suggéra de reprendre ses méditations, non plus assis jambes croisées, mais à quatre pattes. Très étonné, mais empli de foi, le moine fit ainsi, et aussitôt les réalisations apparurent en lui, les unes après les autres ! Le Bouddha, dans son omniscience, avait vu que dans sa vie précédente ce vénérable était une vache, et qu’il en avait gardé quelques traits physiologiques ! (Eh oui, la notion du passage d’une vie à une autre est admise dans la plupart des spiritualités indiennes, hindouistes et bouddhistes. D’où l’importance de se libérer du cycle conditionné par l’ignorance.)

Bref, la posture a son importance, mais elle ne fait pas tout. L’aspirant méditant a tout intérêt à prendre connaissance des embûches du parcours et des remèdes pour les surmonter. Il va devoir recourir à huit attentions pour surmonter cinq obstacles principaux. Le premier écueil, mais non le moindre, la paresse, ne nécessite rien moins que quatre des huit antidotes : la foi, l’aspiration, la maniabilité (souplesse) et l’enthousiasme. La mémoire, la vigilance, la tension et l’équanimité contrent ensuite respectivement l’oubli de l’objet, la mollesse et la dispersion, le relâchement et la tension.

Selon les textes, si le pratiquant se prépare bien et réunit les conditions favorables énumérées par le maître indien Asanga qui, dans le Sutralamkara, indique où, comment et avec qui méditer, il devrait pouvoir réaliser assez rapidement, voire en l’espace de trois mois, le calme mental (samatha). Déployer quelques efforts pour obtenir le calme mental vaut la peine, car il s’accompagne de sensations de confort et de bonheur encore jamais expérimentées auparavant. Toute raideur dûment dissipée, le corps et l’esprit sont devenus souples et maniables, ce qui permet de rester en concentration des heures, des jours, voire des mois durant. Autant dire que c’est fort utile pour progresser rapidement sur la voie spirituelle. Hélas ! Livré à lui-même, le calme mental est une qualité « ordinaire » sujette à régression. Le seul moyen de le rendre inaltérable est de le lier à une sincère aspiration à la libération du samsara ou, mieux, à l’Éveil de Bouddha. Or ces aspirations ne peuvent être inspirées que par un complet dégoût du samsara. Celui-ci jaillit de la prise de conscience de la nature de souffrance de ce monde imparfait, où seuls les sages ne sont plus soumis à l’insatisfaction et à la quête effrénée du toujours plus

Photo of author

François Leclercq

François Leclercq est le fondateur de Bouddha News, site internet qui a pour but de diffuser des informations et des conseils pratiques sur le bouddhisme et la spiritualité. François Leclercq est né et a grandi à Paris. Il a étudié le bouddhisme à l'Université de Paris-Sorbonne, où il est diplômé en sciences sociales et en psychologie. Après avoir obtenu son diplôme, il s'est consacré à sa passion pour le bouddhisme et a voyagé dans le monde entier pour étudier et découvrir des pratiques différentes. Il a notamment visité le Tibet, le Népal, la Thaïlande, le Japon et la Chine.

Laisser un commentaire