Manuel Coley : Un chemin spirituel nourri par l’Orient

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Artisan musicien, chef de chœur et compositeur, Manuel Coley a redécouvert le christianisme grâce à la pratique du bouddhisme zen. Il conjugue ces deux voies depuis plus de trente ans.

Quand avez-vous commencé à pratiquer zazen ?

Je l’ai découvert par l’entremise de Jacques Breton, un prêtre catholique qui a été le fondateur du Centre Assise, un centre de cheminement intérieur se référant au Zen et à l’enseignement de Karl Graf Dürckheim enraciné dans la tradition mystique chrétienne. Jacques Breton a été l’un des premiers à jeter des ponts entre le bouddhisme zen et la tradition chrétienne. Quand je l’ai rencontré, je pratiquais déjà l’aïkido et étais très attiré par la culture japonaise qui donne accès à la beauté et à l’essentiel par la recherche de la sobriété la plus radicale. Quand, à l’âge de 25 ans, j’ai voulu partir approfondir le Zen au Japon, Jacques Breton m’a fait une lettre d’introduction. J’ai d’abord été accueilli dans un temple zen situé dans la banlieue de Tokyo, qui avait pour abbé Eisan Goto que Jacques Breton avait longuement fréquenté. Puis, dans le monastère de Ryutaku-Ji, au sud du Mont Fuji, dans la région de Mishima. C’est là, au cours d’une sesshin de cinq jours, que j’ai eu une sorte de révélation. Une petite voix me disait que je n’étais ni bouddhiste ni japonais, que j’appartenais à une culture et à une tradition, que j’étais « né quelque part » et que c’était là que je devais chercher mon chemin.

Je suis alors rentré en France sans trop savoir où j’allais trouver ce que j’étais parti chercher au Japon. Je devais aussi me défaire de certains « blocages » étant né dans une famille athée, communiste, hostile à l’église et considérant la religion comme « l’opium du peuple ». Quelqu’un m’a conseillé de me rendre à l’abbaye de la Pierre qui Vire, un monastère bénédictin situé dans le Morvan, qui accueillait à l’époque des moines zen. J’ai tout de suite apprécié le calme du lieu et l’ambiance de prière qui faisait écho à ce que j’avais vécu au Japon. C’est ainsi que je me suis peu à peu réconcilié avec le christianisme dont je ne connaissais presque rien. C’est à l’abbaye de la Pierre qui Vire que j’ai découvert des livres de Jean-Yves Leloup et d’Annick de Souzenelle, que j’ai rencontrés quelques années plus tard, en animant des ateliers de chant dans le cadre des stages qu’ils conduisaient.

Avez-vous continué de pratiquer zazen après votre retour du Japon ?

Je n’ai jamais cessé de pratiquer zazen depuis ce séjour en Orient. L’assise silencieuse nourrit ma méditation qui est, elle-même, alimentée par l’étude des textes du judaïsme et du christianisme, lesquels fécondent la pratique de zazen, par le rapport au souffle, au silence, à la posture, à la verticalité et à l’espace intérieur qui font la richesse du bouddhisme zen. J’aime particulièrement l’économie de moyens qui est celle du Zen. Ce rapport au vide pour exprimer le Tout me touche beaucoup et je le retrouve aujourd’hui au sein du christianisme.

C’est donc grâce à ce détour par le Japon que vous vous êtes réconcilié avec le christianisme…

C’est en effet grâce à ce voyage que j’ai pu retrouver mes racines spirituelles occidentales. Il m’a cependant fallu ensuite une vingtaine d’années pour faire la paix avec la tradition chrétienne dont j’avais commencé à entrevoir la richesse et la force révolutionnaire lors de mes études de musicologie à l’université. Ce, grâce à un cours sur la lecture philosophique des évangiles qui m’a permis de découvrir la figure de Jésus, puis par la fréquentation permanente de la musique de J.S. Bach.

« Toutes les cultures humaines ont essayé de formuler l’indicible, l’infini que certains appellent Dieu. Mais la Source de toutes ces traditions est Une. On retrouve partout, sous différentes formulations, cette même tentative de mettre des mots sur cette intelligence créatrice initiale. »

Qu’est-ce que ce « cheminement d’unification bouddhisme/christianisme » que vous évoquez sur votre site internet, en décrivant votre parcours spirituel ?

Je fais référence au premier verset du Prologue de l’Évangile de Saint-Jean « Au commencement était le verbe », c’est-à-dire au commencement était la parole, la vibration. Saint-Jean précise ensuite que cette parole est lumière et que cette lumière éclaire tout homme. Toutes les cultures humaines ont essayé de formuler l’indicible, l’infini que certains appellent Dieu. Mais la Source de toutes ces traditions est Une. On retrouve partout, sous différentes formulations, cette même tentative de mettre des mots sur cette intelligence créatrice initiale. Mon cheminement veut simplement montrer que ces deux cultures ne sont pas exclusives, mais qu’au contraire, elles peuvent se nourrir mutuellement.

Vous évoquez aussi, sur votre site internet, votre engagement militant associant pédagogie musicale et méditation…

Étant issu d’une famille de gauche, très marquée par la lutte des classes et au sein de laquelle les valeurs de justice sociale étaient très présentes, je me suis souvent posé la question de mon rôle et de ma contribution à la vie de la société, de mon « utilité » sociale. Ce rapport entre la musique et la méditation s’enracine, une fois encore, dans le prologue de Saint-Jean, « Au commencement était le Verbe », la parole, le son et le chant par extension. Le chant permet d’entrer en contact avec la Source que l’on porte tous en nous et qui est à l’origine de tout ce qui existe. C’est un moyen d’accès expérientiel privilégié au plus grand que soi, inscrit au plus profond de soi. Ce travail d’accompagnement par le chant et la musique est, à mes yeux, une forme de militantisme, d’engagement social dans la mesure où il est l’outil d’une transformation intérieure personnelle au bénéfice d’une pratique collective. Se changer soi-même pour changer le monde.

La pratique vocale collective permettrait de mieux vivre ensemble…

Mes trente années d’exercice du métier de chef de chœur au sein de différents conservatoires m’en ont convaincu. J’essaye, dans la pratique de mon métier, de toujours faire référence au sens de ce que l’on est en train de faire, c’est-à-dire tisser du lien. La métaphore de la polyphonie musicale est particulièrement parlante : chanter des mélodies différentes qui, unies, créent une harmonie, une synergie de beauté bien supérieure à la simple superposition de celles-ci.

Vous jetez également des ponts entre des pratiques très différentes, entre le chant et l’ennéagramme, le chant et la biodanza, le chant et le jeûne…

J’ai mesuré à quel point il pouvait être fécond de conjuguer ces pratiques qui ont apparemment peu de choses en commun, si ce n’est qu’elles nous aident à nous réapproprier notre corps. J’ai toujours su intuitivement que le corps et l’esprit ne devaient pas être séparés dans le cheminement vers la Source. Un certain catholicisme a contribué, du fait d’une interprétation mal orientée des textes, à dessécher le corps, alors que, paradoxalement, la Bible fait du corps le temple de l’Esprit. « Glorifiez Dieu dans votre corps », est-il écrit dans une des lettres de Paul. J’invite donc les personnes, au sein des sessions de « chant et silence » à se réconcilier avec leur tradition. Le Dalaï-Lama n’invite-t-il pas les Occidentaux à étudier et pratiquer le bouddhisme tout en restant ancrés dans leur propre religion ? N’oublions pas que cette dimension d’intériorité et de lien au corps que nous sommes nombreux à avoir été cherché en Orient existe aussi dans notre culture occidentale, même si c’est de manière peut-être moins immédiate.

Pourquoi vous qualifiez-vous d’artisan musicien ?

Je suis issu d’une famille d’artisans, je me sens plus artisan qu’artiste. J’aime ce rapport à un métier qui travaille la matière même si celle-ci, dans le cas de la musique est paradoxalement matière immatérielle !

Quelle part a pris la composition dans votre vie ?

Elle a occupé une part importante dans ma vie de chef de chœur et continue aujourd’hui à jouer un rôle central avec des compositions qui sont au service de la méditation des textes. Cette démarche génère naturellement une musique minimaliste ayant une fonction proche de celle du mantra en Orient. Il est écrit à plusieurs reprises dans les psaumes : « Chantez au Seigneur un chant nouveau ». Qu’est-ce que ce chant nouveau ? C’est celui qui est chanté par l’homme nouveau, par la personne renouvelée par le Souffle qui est toute entière gratitude envers la création. Là est, pour moi, l’essentiel, ma contribution au monde : m’appliquer à être un fragment d’univers, à côté de milliers d’autres, où rayonne humblement la joie et la beauté de l’être.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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