Nicolas Certenais qui fait vibrer sa voix de basse sur les scènes d’opéra du monde entier pourrait en imposer. C’est tout le contraire. D’emblée, il vous tutoie. Dans ce café parisien éloigné de la petite commune de Bois-le-Roi, en Seine-et-Marne, où il habite avec sa femme d’origine vietnamienne et leurs deux enfants, il a même la délicatesse de m’offrir une confiture maison, confectionnée avec les figues de son jardin. Ce diplômé d’un master en philosophie, qui envisagea un temps une carrière d’enseignant, balaie les conventions. Avec chacun, il est direct, sincère et il éprouve du plaisir à simplement discuter. « Prendre un café ensemble, c’est faire ce « voyage immobile » de Jean Giono ; c’est voir la même chose, mais avec le regard de l’autre et sortir de son petit point de vue égotique le temps de la conversation ». Sans détour, donc, il se livre, évoquant son quotidien à la lumière du bouddhisme zen, découvert il y a cinq ans : « Une amie chanteuse lyrique qui s’y intéressait m’en avait parlé. Elle a entrouvert la porte. Ma curiosité a fait le reste ». Lui qui n’est ni dogmatique ni mystique est séduit. « Dans le bouddhisme, il n’y a rien à croire et tout à découvrir », résume-t-il d’une formule empruntée à lama Surya Das. Il aime cette idée de liberté de conscience. À Brest où il est né il y a 36 ans, ses parents – athées d’origine catholique – l’ont d’ailleurs davantage éveillé aux moralistes qu’à la religion. « À chaque fois que je faisais une bêtise, je devais apprendre un article des droits de l’homme et recopier une page des Caractères de La Bruyère », se souvient-il, amusé. Ce qui ne l’empêche pas de se pencher sur Saint-Augustin. Et de lui trouver des similitudes avec le bouddhisme dans son éloge d’une expérience personnelle de la religion, éloignée de la doctrine, quand ce saint écrivait à propos des églises : « Il y a ceux qui se disent dehors et qui sont dedans, et ceux qui se disent dedans et qui sont dehors ».
Ne pas penser à un Dieu en épluchant des pommes de terre,
juste éplucher les pommes de terre…
Quand vous lui demandez ce qu’il fait dans la vie, Nicolas Certenais, passé par le conservatoire national supérieur de musique de Paris, n’évoque qu’en dernier son métier qu’il qualifie « d’intermittent ». Ce qui lui tient à cœur ? « Avoir une grande vie simple ». La sienne commence à l’aube, vers 5 heures, sa « vie de moine », comme il dit, consacrée à l’écoute d’enseignements et de conférences sur le bouddhisme ou la philosophie. Puis, vient sa vie de famille – il accompagne volontiers ses deux garçons de 4 ans et demi et 9 ans à l’école, prenant au passage deux fois par semaine d’autres enfants, via l’association de quartier Pedibus. Et enfin, sa vie d’artiste.
« Dans le bouddhisme, il n’y a rien à croire et tout à découvrir. »
L’interprète de Rigoletto trouve aussi le temps de courir dans la forêt toute proche de Fontainebleau, de cueillir des champignons quand la saison s’y prête, de cuisiner – son dada – dans sa cheminée, d’aider l’un de ses vieux voisins à se mettre au lit ou d’admirer, à la nuit tombée, les étoiles à travers son télescope. Et dans chaque moment de sa journée, la même imprégnation spirituelle. « Le Zen enseigne l’implication dans les actes. Il ne s’agit pas de penser à un Dieu en épluchant des pommes de terre, mais juste d’éplucher les pommes de terre. La chose la plus importante et la plus simple, c’est d’être constamment dans l’instant présent, ici et maintenant. Ainsi, chaque acte posé en pleine conscience devient spirituel. » Nicolas Certenais s’oblige à se déparasiter des toxines mentales du passé et du futur, songeant à la prophétie de Montaigne : « Nos affections nous emportent toujours au-delà » (sous-entendu « de nous-mêmes »). Le Zen incarne aussi pour lui une école de précision et d’efficacité. « Quand je pèle un oignon, je m’améliore en épurant chaque fois davantage mon geste », dit cet esthète qui cite volontiers Aldous Huxley : « Le bonheur n’est jamais grandiose ».
Créer, ne pas posséder
Sa pratique de la méditation – l’essence même du Zen –, il la veut résolument invisible : « Je ne me formalise pas sur la posture », dit celui qui optimise (« dans optimise, il y a optimiste ») le moindre trajet en train pour se concentrer sur sa respiration et sur l’instant présent. Quand l’été dernier, il a été coupé de sa famille pendant deux mois pour des représentations à Aix-en-Provence, Nicolas Certenais en a profité pour faire une retraite spirituelle : « Seul dans mon appartement de location, j’ai décidé de perfectionner ma sagesse et ma patience. Je suis ressorti grandi d’une telle expérience ». Sa force, il la tire aussi de l’autre grand enseignement du bouddhisme Zen : ne pas s’attacher au résultat. Lui qui sait combien la carrière de chanteur est précaire – « il faut passer sans cesse des auditions » – ne se laisse pas dévorer par l’ambition : « Les choses vont et viennent. S’y attacher serait comme nager à contre-courant ». Mû par cette même philosophie, l’artiste donne sans rien attendre en retour. Les deux tiers de ses conserves culinaires qu’il concocte avec amour, il les offre à ses voisins. « L’important pour moi, c’est de créer, pas de posséder. Le vrai bénéfice du don, c’est le désintéressement ». La bonne nouvelle ? C’est souvent réciproquement profitable. Nicolas Certenais se souvient de cette cohabitation merveilleuse, via l’association PariSolidaire avec un mélomane de 86 ans atteint d’Alzheimer lorsqu’il a débarqué dans la capitale à l’âge de 25 ans : « Je lui préparais de bons petits plats, il me découpait des articles susceptibles de m’intéresser ». Sans le savoir, l’artiste baignait déjà dans le « rôshin », cette gentillesse propre aux vieilles grand-mères, dont Dôgen, maître Soto du XIIIe siècle, faisait l’apologie au Japon dans son livre Instructions au cuisinier zen