Dans vos divers ouvrages et vos nombreuses tribunes au sujet du sida, vous racontez en quoi découvrir votre séropositivité vous a donné le goût de vivre et celui des autres. Pouvez-vous détailler ?
Se confronter à la réalité est le seul moyen de vivre vraiment, car quand on fuit les problèmes, ils reviennent. Quand j’ai appris ma séropositivité en 1987, à l’âge de 28 ans, cette nouvelle a sonné comme un arrêt de mort ! Que faire après une telle annonce ? Cela m’a paru évident : je suis simplement retourné à mon travail d’assistant parlementaire. J’ai continué à vivre, à avoir une vie sociale – certes différente du fait de la maladie – et surtout, je me suis occupé des autres. D’une certaine manière, j’ai oublié ma propre maladie à partir du moment où je me suis occupé des autres. À l’époque, autour de moi, c’était une véritable hécatombe… J’ai pu ainsi constater que, très souvent, ce sont les gens qui souffrent de pathologies graves et qui l’assument qui s’en sortent. On ne peut pas généraliser, mais le fait de ne pas avoir peur de la maladie, de ne pas en avoir honte d’en parler – une maladie n’est jamais honteuse ! – et de faire attention aux autres, change le regard que l’on porte sur soi et sur la maladie. Ce qui aide à aller mieux.
La plupart des bouddhistes font preuve de bienveillance envers les malades, y compris les personnes atteintes du VIH. Certains représentants bouddhistes qualifient cependant l’homosexualité d’« inconduite sexuelle ». Sur ce plan, la position du Dalaï-Lama a évolué ces dernières années. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Toutes les religions ont eu un problème avec la sexualité de manière générale, et l’homosexualité en particulier. Mais le bouddhisme est la moins stigmatisante, elle ne montre pas l’autre du doigt, comme c’est souvent le cas dans les religions monothéistes qui oublient qu’un homosexuel, c’est d’abord un être humain ! Je remarque que le Dalaï-Lama a toujours eu une parole d’amour et de bienveillance envers tous les êtres, quels qu’ils soient. Je trouve aussi formidable et constructif pour chacun d’entre nous, l’idée bouddhiste d’œuvrer pour toujours s’améliorer, se transformer. Cette vision nous pousse à nous réinventer, plutôt que de nous promettre l’enfer.
« Le bouddhisme est la religion la moins stigmatisante, qui ne montre pas l’autre du doigt, comme on le voit dans d’autres traditions qui ont un mal fou à comprendre qu’un homosexuel, c’est d’abord un être humain ! »
Adolescent, j’étais catholique de tradition, j’avais quelques convictions, puis, petit à petit, je me suis éloigné de l’Église. La vraie coupure a eu lieu quand j’ai contracté le VIH : la notion de bien et de mal de la religion catholique, les considérations de l’Église sur les homosexuels – à l’époque, on entendait ce type de réflexion : « Le Sida, les homosexuels l’ont bien cherché ! » -, tous ces discours m’étaient insupportables. Je me suis retrouvé du jour au lendemain exclu de cette religion et perdu en quelque sorte. Or, dans une vie, nous avons tous besoin d’une certaine forme de spiritualité. Je ne suis pas bouddhiste pratiquant, mais c’est vrai que cette philosophie, ou cette religion – les deux approches sont possibles- m’apporte du réconfort.
La politique est un monde relativement violent, soumis à de constants rapports de force. Le bouddhisme est-il une aide pour vous, pour travailler dans ce milieu, au quotidien ?
Il pourrait l’être, mais j’ai surtout appris des épreuves que j’ai rencontrées dans ma vie, comme le le fait d’avoir contracté le VIH et le décès de mon mari Christophe, de manière brutale en mai 2018. Mon amie Céline Menguy (1) me guide un peu dans cet univers du bouddhisme, j’ai assisté avec elle à des enseignements. Je n’ai pas encore fait de retraites, mais j’y pense de plus en plus. Je fais aussi un peu de méditation, même s’il n’est jamais simple de se confronter à soi-même. J’essaie surtout de me dégager des plages de temps où je suis seul, une respiration essentielle dans cette société encombrée. On le voit bien : la prolifération de livres sur le bien-être prouve que de plus en plus de gens sont conscients que courir après l’argent ou les responsabilités n’est pas épanouissant.
En tant que militant, quel regard portez-vous sur le bouddhisme dit engagé ? Le bouddhisme doit-il prendre position ou, au contraire, ne pas mettre le nez dans les affaires de la société ?
À travers la question de la protection de l’environnement, on voit bien que le bouddhisme propose des solutions intéressantes, à l’instar d’autres religions qui se sont emparées du sujet. Oui, les religions peuvent jouer un rôle important dans les débats de sociétés actuels. C’est le cas pour le sida. Au même titre que les politiques, les religieux ont un rôle à tenir auprès de leurs fidèles, car il est intolérable de laisser encore mourir chaque année 2000 personnes malades du sida, qui, je le rappelle, ne devraient pas décéder puisque nous disposons des traitements nécessaires ! Quand on a une parole forte, à l’image de celle du Dalaï-Lama, il est naturel de s’engager. Les religions doivent donc guider et proposer, mais sans se substituer aux pouvoirs publics.
À travers le concept de coproduction conditionnée, le bouddhisme enseigne que nous sommes tous interdépendants et reliés les uns aux autres. Cette vision peut-elle faire évoluer le débat politique ?
Cette idée d’interdépendance pourrait par exemple participer à changer la vision de nombreuses personnes sur les migrants ! Sur ce sujet d’actualité, on voit bien l’égoïsme de la France, qui n’est pas capable de recevoir l’autre. Car, il faut le rappeler, personne ne fuit son pays par plaisir ! Combien de moines et laïcs tibétains se sont réfugiés en Europe depuis les années 70 parce qu’ils étaient persécutés par les autorités chinoises. Aujourd’hui, nous en sommes à faire des quotas au lieu de prendre en charge des personnes qui se trouvent dans une situation d’urgence. On entend des hommes politiques dire qu’il y a des hordes sauvages de migrants qui tentent de nous envahir, alors qu’il s’agit d’hommes et de femmes qui essayent simplement de sauver leur peau !
Quelle est votre position sur la situation du Tibet ?
Peu de politiques ont le courage de s’opposer au gouvernement chinois pour ne pas nuire à leurs relations commerciales. Je suis extrêmement choqué de voir que le Dalaï-Lama n’est toujours pas reçu officiellement en France ! Certains chefs d’État ont eu ce courage, à l’image de la chancelière allemande Angela Merkel, qui l’a reçu à plusieurs reprises, sans que cela n’empêche l’Allemagne de commercer avec la Chine. Le Dalaï-Lama est un homme qui prône la paix ; à ce titre, nous devrions le recevoir officiellement. L’Europe, qui a historiquement des valeurs d’accueil, s’honorerait de recevoir le Dalaï-Lama (2) et d’avoir le courage de dénoncer ce qui se passe au Tibet.
Comment avez-vous connu le moine tibétain Tenzin Penpa, Président de la communauté tibétaine, qui a réalisé une céramique en souvenir de votre mari Christophe Michel-Romero ?
En tant que chargé de la culture du XIIe arrondissement, je l’ai rencontré dans le cadre d’un Festival du Tibet qui se déroule dans mon arrondissement. La première fois que nous nous sommes salués, il s’est passé quelque chose de fort, car il dégage une présence et une bonté rares pour un être humain. Il m’a beaucoup aidé lors du décès de mon mari et cette année il m’a offert une superbe céramique à sa mémoire. Ses paroles m’ont apporté et m’apportent aujourd’hui encore beaucoup de sérénité.