Dinh Hy Trinh : dans cette vie moderne, le bouddhisme peut être utilisé comme une éthique pragmatique

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Qu’il s’agisse de son message philosophique ou de ses réponses aux défis actuels, le docteur Dinh Hy Trinh nous livre sa vision du bouddhisme.

La doctrine originelle du Bouddha ?

Selon moi, elle est exprimée dans le Canon pali, notamment les Nikaya (1), qui rapportent les discours et l’enseignement du Bouddha. Ces textes sont très longs du fait de répétitions dues à la transmission orale. Aussi me semble-t-il préférable de n’en retenir que sa quintessence, c’est-à-dire les Trois Caractéristiques de l’existence (souffrance, impermanence, non-soi), les Quatre Nobles Vérités, l’Octuple Sentier et la coproduction conditionnée. Le message du Bouddha est simple et clair : « Pourquoi souffrons-nous ? Ce n’est pas à cause d’un « péché originel » ou de la volonté de Dieu, ou des dieux, du Diable ou de Mâra… mais à cause de nous-mêmes, parce que nous nous attachons à la permanence (alors que tout change sans cesse) et à notre « moi » (qui est en fait une illusion) ; et que nous sommes sous l’emprise de nos désirs, de notre colère, de notre ignorance, lesquels par la loi de cause à effet, entraînent de la souffrance et d’autres émotions négatives. Il ne tient qu’à nous d’arrêter cette spirale, de nous délivrer de cette souffrance en annihilant ses causes. Pour cela, soyons responsables et confiants en nous-mêmes ». C’est un message rempli d’espoir et non nihiliste ni désespéré, comme on le croit trop souvent.

Un bouddhisme moderne et humaniste ?

Le bouddhisme est humaniste en lui-même puisqu’il place l’homme et non Dieu au centre de sa préoccupation. Plus encore, le principe de la coproduction conditionnée propose une vision du monde où tout est interdépendant, interconnecté. C’est en cela que réside sa modernité, sa concordance avec la science, la psychologie et l’écologie. La coproduction conditionnée, qui est le principe central du bouddhisme, explique également pourquoi l’empathie, la compassion, la fraternité sont des sentiments tout à fait naturels. Il suffit d’en prendre conscience au plus profond de soi-même, pour que cela devienne évident.

C’est pourquoi le bouddhisme ne doit plus se cantonner aux monastères, aux pagodes, mais doit être introduit activement dans la vie de tous les jours, à tous les niveaux. Dans cette vie moderne, où l’on sent partout du stress, de l’agitation, de la violence, de l’agressivité, de l’anxiété, voire de la déprime, le bouddhisme peut être utilisé comme une éthique pragmatique, une thérapie, un entraînement mental, une culture de l’être dans sa totalité et son unité corps-esprit.

Une réponse aux enjeux actuels ?

Concernant l’environnement, qui constitue aujourd’hui un enjeu majeur, nécessitant une prise de conscience collective et une action coordonnée de toutes les nations, le bouddhisme peut apporter une réponse claire, grâce à sa vision holistique du monde et au principe de la coproduction conditionnée, mentionnés plus haut. Chacun doit donc œuvrer, à son niveau, contre le changement climatique, la pollution, la déforestation, l’épuisement des ressources naturelles, la disparition des espèces, etc. Contre tout ce qui, à terme, sera source de grandes souffrances. Ce principe s’applique également à l’économie, dont le critère est, pour le bouddhisme, le bien-être de l’homme, et non son asservissement au désir addictif de productivité, de performance et de richesse. Il en va de même en matière de sciences et de technologie, par exemple, pour le numérique, la robotisation, l’intelligence artificielle, dont le développement risque de bouleverser la société humaine. Là encore, le bouddhisme ne défend pas des idées, mais l’homme en chair et en os et son vécu, et plus largement tous les êtres sensibles et leur environnement, qui sont étroitement liés.

« Le bouddhisme ne doit plus se cantonner aux monastères, aux pagodes, où les religieux peuvent continuer à pratiquer de façon traditionnelle, mais doit être introduit activement dans la vie de tous les jours. La doctrine du Bouddha est parfaitement intelligible, accessible et ouverte à tous, sans aucune distinction. »

Enfin, concernant la bioéthique, contrairement aux religions révélées qui érigent en principe absolu le respect de la vie telle qu’elle a été créée par Dieu, le bouddhisme préconise une éthique pragmatique, en définissant ce qui est bon (kusala) comme ce qui produit de bons effets, c’est-à-dire qui délivre de la souffrance, et ce qui est mauvais (akusala), ce qui génère de mauvais effets et de la souffrance. Par exemple, concernant la limitation des naissances par la contraception, d’après le Dalaï-Lama, « il faut non seulement préconiser, mais aussi développer ce point important ». En effet, puisque l’expansion démographique et la surpopulation, qui touchent surtout les pays pauvres, provoquent de la misère, de la souffrance et participent au déséquilibre écologique, il semble évident qu’il faille freiner la natalité dans le monde, et la meilleure méthode reste la contraception. À partir de ce critère simple de « souffrance » (ou de « non-souffrance »), nous pouvons trouver des réponses à beaucoup de questions de bioéthique dans la société, comme l’euthanasie, l’homosexualité, la PMA, la GPA, les manipulations génétiques…

Les écueils à éviter dans la pratique ?

Il me semble qu’il y a plusieurs écueils dans l’étude et la pratique du bouddhisme. Par bouddhisme, j’entends la philosophie de vie enseignée par le Bouddha Gautama, et non la religion bouddhique, dont l’approche est différente en raison de la foi-dévotion qui la caractérise.

Le premier écueil, c’est de croire que le bouddhisme est réservé à certaines personnes qui auraient eu de la chance d’être initiées par des maîtres, des gurus, détenant le secret d’un bouddhisme ésotérique. Cela peut conduire à perdre beaucoup de temps, voire à s’égarer en chemin. En réalité, comme il a été rapporté dans le Sutra du Parinirvana (Extinction complète), le Bouddha a déclaré à ses disciples peu de temps avant de mourir : « J’ai enseigné la Doctrine sans jamais faire de distinction entre l’ésotérique et l’exotérique. Dans mon enseignement, il n’y a rien de semblable au « poing fermé du maître » ». Il n’y a donc pas d’enseignement caché du Bouddha, comme le prétendent les adeptes d’écoles « ésotériques », apparues plusieurs siècles après la mort du Bouddha. Pas d’enseignement réservé non plus à la communauté des moines et moniales, en dehors du Vinaya qui leur enseigne les règles monastiques à suivre. La doctrine du Bouddha est intelligible, accessible et ouverte à tous, sans aucune distinction.

Le deuxième écueil, c’est de se perdre dans l’immensité des écritures et des commentaires sur le bouddhisme, ajoutés au cours des siècles (pour le Lama Anagarika Govinda, « les trois quarts des écritures bouddhiques sont inutiles »). L’important, c’est de dégager l’essentiel du message du Bouddha, et de le comprendre en profondeur.

Enfin, le troisième écueil consiste à étudier le bouddhisme de façon purement intellectuelle, livresque, et à ne pas le pratiquer. Le bouddhisme n’est pas une théorie sur laquelle on peut disserter ou spéculer, c’est avant tout une pratique, une philosophie à appliquer, à expérimenter dans la vie de tous les jours. C’est cette pratique qui, adaptée à l’environnement où chacun se trouve, va permettre de moderniser le bouddhisme

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François Leclercq

François Leclercq est le fondateur de Bouddha News, site internet qui a pour but de diffuser des informations et des conseils pratiques sur le bouddhisme et la spiritualité. François Leclercq est né et a grandi à Paris. Il a étudié le bouddhisme à l'Université de Paris-Sorbonne, où il est diplômé en sciences sociales et en psychologie. Après avoir obtenu son diplôme, il s'est consacré à sa passion pour le bouddhisme et a voyagé dans le monde entier pour étudier et découvrir des pratiques différentes. Il a notamment visité le Tibet, le Népal, la Thaïlande, le Japon et la Chine.

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