Comment pouvons-nous contribuer à résoudre la crise écologique ? C’est à cette question qu’ont répondu des penseurs, scientifiques, militants écologiques et leaders religieux, réunis à Dharamsala en 2018 à l’invitation du Dalaï-Lama. Leurs propos ont été reproduits dans un livre stimulant : Qu’arrive-t-il à notre planète ?
Ils étaient une petite dizaine de scientifiques, penseurs, philosophes, leaders spirituels et militants écologiques, réunis à Dharamsala par John D. Dunne, responsable de la chaire en sciences humaines contemplatives du Center for Healthy Minds de l’université du Wisconsin et Daniel Goleman, psychologue et journaliste scientifique américain et membre du Conseil d’administration du Mind and Life Institute. L’objectif du sommet ? Faire le bilan de la situation écologique du monde et réfléchir à des solutions constructives à travers le prisme de la notion d’interdépendance chère aux bouddhistes.
Qu’arrive-t-il à notre planète. Conversations avec de grands penseurs sur l’écologie, l’éthique et l’interdépendance est une retranscription de ces échanges. Publié en 2018 par le Mind and Life Institute, il a été traduit en français par les éditions Massot courant 2019. Les premiers chapitres brossent un état des lieux de la crise systémique qui agite notre planète en insistant sur la grande accélération qui s’est amorcée dans les années 50. Accélération qui nous a conduits à nous approcher de seuils critiques que le Stockholm Resilience Center, dirigé par Johan Rockstrom, nomme « les limites planétaires ». Si nous poursuivons au même rythme sur notre lancée, la température mondiale moyenne pourrait augmenter de 5 degrés d’ici la fin du siècle, souligne l’activiste et scientifique environnementale Diana Liverman. Les pays en développement, en particulier les nations africaines, sont aujourd’hui les plus vulnérables face aux dérèglements climatiques, alors qu’ils sont les moins responsables de ceux-ci, pointe l’expert en santé publique et professeur à l’université de Wisconsin Jonathan Patz. Celui-ci souligne, dans un chapitre intitulé « Le fardeau éthique du changement climatique », que les dérèglements que nous subissons sont étroitement liés aux modes de vie consuméristes d’une minorité d’entre nous : 20% des habitants de la planète.
Créer une vision positive
Pourquoi n’agissons-nous pas pour résoudre ces problèmes écologiques mondiaux ? Elke Weber, spécialiste de la psychologie de l’action et du changement, enseignante à l’université Columbia, évoque des freins liés aux barrières cognitives (« Quand on se concentre sur un élément précis, on ne voit plus rien d’autre ») et émotionnelles. « C’est la peur physique qui déclenche l’action. Le défi de nombreux problèmes environnementaux est, qu’à ce stade, ils ne sont ni visibles ni effrayants », souligne-t-elle, de manière surprenante, quand on pense aux catastrophes naturelles, très visibles et effrayantes, qui se sont enchaînées ces dernières années, notamment dans son propre pays, les États-Unis. Pour agir de manière efficace, Elke Weber recommande de se concentrer sur des objectifs à long terme en privilégiant le levier local et en s’appuyant sur des messages positifs. « Martin Luther King ne serait parvenu à rien en proclamant : « J’ai fait un cauchemar ». Son message était bien plus fort : « J’ai fait un rêve », insiste, de son côté, Clare Palmer, éthicienne environnementale et professeure de philosophie à l’université du Texas.
Thupten Jinpa, traducteur officiel du Dalaï-Lama et professeur de théologie, a centré son intervention sur les mécanismes du changement dans la tradition bouddhiste classique : vision, méditation et action. Mais aussi sur les remèdes et antidotes pour lutter contre l’évitement, la paresse, la procrastination ou le découragement qui empêchent de se mobiliser. Des remèdes qui ont pour noms « confiance », « aspiration », « effort », « souplesse et joie ». Une joie qu’il est « essentiel de cultiver », ajoute le Dalaï-Lama.
Militante de terrain du World Wildlife Fund, Dekila Chungyalpa met en évidence les stratégies d’action qu’elle juge les plus efficaces. Il faut, souligne-t-elle, « créer une vision positive », « rester optimiste à tout prix » et impliquer les communautés locales et les dirigeants locaux, comme l’a fait avec succès le WWF pour lutter contre un projet de construction d’un barrage de très grande envergure sur le bras principal du Mékong. Il importe, avant tout, de sortir des discours pour agir. Agir avec patience, simplicité et empathie, pour se changer et transformer en profondeur notre modèle économique, ont insisté à l’unisson les intervenants, à la fin du sommet. « Chacun, à notre manière, nous avons l’opportunité de faire le bien autour de nous. Chacun de nous peut avoir une grande influence sur le monde », a glissé le Dalaï-Lama, en guise de conclusion.