Que dit le bouddhisme sur le mécanisme de la peur en général et dans les circonstances actuelles ?
La peur est une émotion que l’on ressent à la fois dans notre corps (maux de ventre par exemple), dans notre énergie (on est perturbé par des affects dérangeants) et dans notre tête (on commence à imaginer des films alors que ce sont des fabrications de l’esprit). C’est la conséquence d’un choc. L’annonce du confinement a été pour certains un événement court et violent qui a généré en eux le sentiment d’être en danger. Tout est allé très vite. Le fait de ne pas avoir le choix ni de contrôle sur la situation a parfois également ajouté chez eux un sentiment d’impuissance. Une partie d’entre eux est passée en moins de deux jours d’une tranquillité relative à un état de stress post-traumatique, manifesté par des symptômes comme l’alcoolisme, le tabagisme, la prise de drogue, la forte agitation, la tristesse, la perte de sommeil, la colère, etc.
Dans le bouddhisme, la peur est un facteur mental perturbateur ou afflictif (Klesha en sanscrit) qui surgit lorsque l’esprit s’empare d’une circonstance inquiétante. Pour comprendre son mécanisme, observons ce qui se passe. L’interaction esprit-situation donne naissance à un flux de conscience auquel nous nous identifions, et nous projetons sur la situation une multitude d’aspects perturbants. Cela est dû notamment à différents facteurs, dont les cinq « poisons » : le désir-attachement, l’ignorance, la colère-aversion, l’orgueil et la jalousie, qui nous font tordre la réalité et fausser l’expérience vécue. En conséquence, nous nous identifions à une illusion créée par notre psychisme. Nous ne voyons pas comment les phénomènes s’enchaînent les uns aux autres et nous projetons sur les autres et sur nous-mêmes, nos croyances. Le bouddhisme enseigne que tout est impermanent et interdépendant, et soumis à la loi de cause et d’effet.
Comment réagir face à la peur ?
La première chose est de reconnaître qu’on a peur. Le pratiquant bouddhiste commence par observer son corps, ses peurs et ses pensées, sans les analyser, pour cesser de conditionner sa conduite au monde extérieur. Il sait que sa souffrance est générée par lui-même, ses perceptions, sensations et pensées. Les prosternations, petites ou grandes réalisées avec tout le corps, peuvent l’aider, sur un plan physique, à rééquilibrer ses énergies. Pour un pratiquant du yoga, ce peut être la salutation au soleil. Il est possible aussi de pratiquer des danses extatiques ou des danses de sagesse. Elles ont l’avantage de marier contemplation et mouvement en même temps. L’essentiel, dans tous les cas, est de bouger. Ça fait un bien fou.
« Ce virus, cette pandémie et ce confinement sont donc des opportunités pour développer nos qualités, faire une retraite, danser, lire, contempler… »
Autre possibilité : utiliser l’énergie des sons. Dans le bouddhisme, comme dans l’hindouisme, nous avons des sons guérisseurs. Le son est une vibration qui élève le corps subtil. Pour certains, cela peut être de réciter le mantra de Tchenrezi : « Om Mani Padme Hum ». Pour d’autres, ce sera le son « OM » ou « HOUNG » qu’on peut chanter ou bien laisser vibrer silencieusement en nous.
Enfin, pour apaiser l’esprit, on peut pratiquer « shine » (méditation du calme mental) en demeurant assis, la colonne vertébrale droite pour équilibrer les énergies et en utilisant un support. Je conseille aux débutants de les varier pour ne pas s’ennuyer et ne pas risquer de se disperser. Nous pouvons suivre par exemple l’air qui entre et qui sort de nos narines, écouter les bruits subtils de la maison, se concentrer sur la sensation d’un bonbon dans la bouche ou sur un objet placé devant soi.
Quand la peur nous terrasse à cause, croyons-nous, d’une personne, comment ne pas se laisser envahir par la colère ?
Lorsque la souffrance interne est trop forte, nous la refoulons ou la projetons, car nous ne savons pas la reconnaître et la traiter en nous-mêmes. L’approche bouddhiste consiste à tourner notre regard à l’intérieur, car la source de la colère est en nous. Nous pouvons l’éprouver physiquement par des tensions, des douleurs dans le corps ; énergétiquement par nos émotions ; cognitivement par nos pensées. En prendre conscience aide à ralentir les projections que nous faisons sur l’autre. Par la pratique, nous parvenons à prendre du recul et alors, peu à peu, la colère fond comme la glace fond dans l’eau.
Comment transformer notre colère en amour ?
Nous pouvons le faire en approfondissant la connaissance et la pratique des quatre sceaux que sont l’impermanence, le fait que rien n’a de réalité et d’existence en soi ni par soi, la compréhension que les émotions sont souffrances et que la sagesse ultime se situe au-delà des concepts.
Si nous suivons l’enseignement du Hinayana, nous étudierons les mécanismes par lesquels nous créons la souffrance. L’exercice consiste d’abord à se retirer et à tenir à distance les facteurs susceptibles d’augmenter notre trouble (agitation, colère, excès d’informations, etc.). Puis à pratiquer le calme mental et la vision supérieure.
Dans le Mahayana (Voie du Bodhisattva), le pratiquant considère que la souffrance de l’autre est plus importante que la sienne. C’est le cas par exemple en ce moment chez tous les soignants et aidants. La pratique consistera ici à s’engager dans des actions ou des méditations tournées vers l’autre, ce qui aura pour conséquence de traiter en même temps notre propre trouble.
Les pratiquants du Vajrayana (Voie de la transformation de nos émotions en sagesse) ont suivi un cursus spécifique dans lequel ils ont appris à visualiser une divinité, telle qu’Avalokitesvara (Tchenrezi), Bouddha de l’amour et de la compassion, ou Sanguye Menla, Bouddha de la médecine. Ils récitent leur mantra afin que l’amour et la compassion s’élèvent en eux. Les qualités de cette divinité seront l’antidote à leur colère.
Enfin, la quatrième voie, plus directe, consiste à demeurer dans un état au-delà des concepts, dans une très grande détente, et à rester dans la pleine présence en soi, sans saisir les émotions ni les cognitions qui émergent en nous.
Comment nous protéger en ce moment notamment pour nous sentir mieux ?
Dans la voie bouddhiste, nous nous protégeons sur les deux plans, à savoir le plan relatif par notre comportement (en suivant par exemple les consignes sanitaires) et le plan ultime en élevant notre champ de conscience au-delà de l’intellect. Pour que l’effort tienne sur la durée, il est sage d’avoir une motivation supérieure. La méditation de pleine conscience poursuit en général un but individualiste, car elle consiste à méditer pour soi-même. Si nous pratiquons aussi pour le bien des autres, l’action, la joie et l’amour sont nos instruments. Ce virus, cette pandémie et ce confinement sont donc des opportunités pour développer nos qualités, faire une retraite, danser, lire, contempler…