Comment est née l’idée de l’étude Silver Santé Study ?
Je travaille depuis près de vingt ans sur le vieillissement et les démences qui peuvent y être associées, notamment la maladie d’Alzheimer. Le but est de suivre la hausse de l’espérance de vie et ses conséquences sur la santé. La dépression de fin de vie est fréquente par exemple. Elle est liée au regard des autres et à l’image de soi, au fait qu’on est plus confronté aux décès des proches, à la solitude. Les problèmes de sommeil augmentent aussi de façon exponentielle, atteignant 50 % des plus de 65 ans. De même pour les maladies neurodégénératives. On pourra probablement, à terme, développer des médicaments qui stopperont ou freineront ces processus pathologiques, mais on n’y est pas encore. Cela dit, certains axes de recherche sont déjà encourageants. Notamment ceux qui concernent l’impact des facteurs environnementaux sur le développement de ces maladies. La régulation des émotions est, quant à elle, moins souvent prise en compte. Pourtant, on sait que le stress et l’anxiété ont un impact négatif sur la qualité de vie. Les interventions pour mieux réguler ces émotions, comme la méditation, pourraient avoir un impact positif.
Notre projet d’étude sur l’apprentissage de l’anglais chez les seniors – certains voyagent pour visiter leur famille ailleurs dans le monde – a finalement vu le jour en répondant à un appel d’offres européen. Nous travaillons avec des chercheurs de plusieurs pays (1). À l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), à Caen, une vingtaine de personnes sont impliquées. Certaines sont chargées des interventions en anglais et en méditation, d’autres recueillent les données. D’autres, enfin, s’occupent du recrutement des participants. Ces derniers vivent tous dans la région de Caen, afin de pouvoir bénéficier d’une intervention équivalente, sur 18 mois.
Nous avons reçu 900 candidatures et 137 personnes ont été incluses dans l’étude. Nous avons un groupe témoin qui, pendant 18 mois, ne change pas ses habitudes : un qui apprend l’anglais et un autre la méditation. Ils ont été répartis au hasard. Il ne fallait donc pas que leur motivation soit uniquement d’apprendre l’anglais ou de méditer. Ils participent à l’étude, car ils y croient. Certains sont touchés par les aspects liés à la maladie d’Alzheimer dans leur entourage et ont souhaité contribuer à l’avancée de la recherche…
Plusieurs experts en méditation participent à l’étude. Quelles techniques sont-elles enseignées ?
Matthieu Ricard a accepté de parrainer notre étude. Tout un panel d’experts de la méditation, tels que Martine Batchelor, Titi Dolma, Pascal Delamillieure et Francis Gheysen sont impliqués à différents niveaux : la mise en place du programme et d’un manuel pour varier les techniques pédagogiques, les interventions ou le conseil lors de l’analyse des données. Nous nous intéressons à des pratiques totalement laïques. La Commission européenne a très à cœur de ne pas confondre la méditation et quelque religion que ce soit. Nous nous basons notamment sur les développements standardisés par Jon Kabat-Zinn.
« Les pratiques de méditation de type Mindfulness, qui impliquent un ancrage sur la respiration, une prise de conscience des mouvements du corps et une meilleure présence à l’instant, devraient avoir un impact positif sur le stress, l’anxiété et la dépression. »
Il y a deux essais cliniques dans le projet. L’un d’entre eux, qui se déroule dans quatre pays européens, porte sur une intervention de type MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction – Réduction du stress basée sur la pleine conscience), avec quelques modifications apportées pour les spécificités du projet et de la population étudiée. Notamment l’introduction, à la fin des huit semaines, d’une composante plus compassionnelle. Pour l’essai clinique qui a lieu à Caen, l’intervention a duré dix-huit mois : neuf mois de pleine conscience et neuf autres mois sur la compassion. La conception des interventions est équivalente pour l’anglais et la méditation : un travail en groupe, pendant deux heures, avec des intervenants experts dans leurs domaines réciproques. Les seniors ont ensuite des exercices quotidiens d’une vingtaine de minutes à faire sur tablette, chez eux. Dans les deux domaines, ils ont une journée de pratique intensive : pour l’anglais, ils vont visiter les îles anglo-normandes, et pour la méditation, une journée de retraite.
L’entraînement de l’esprit et l’ancrage du corps peuvent-ils améliorer le quotidien ?
On sait que la méditation peut réduire les symptômes dépressifs et améliorer les problèmes de sommeil. Les pratiques de méditation de type Mindfulness, qui impliquent un ancrage sur la respiration, une prise de conscience des mouvements du corps et une meilleure présence à l’instant, devraient avoir un impact positif sur le stress, l’anxiété et la dépression. On s’attend aussi à ce que la méditation ait un impact sur la cognition en général et les processus attentionnels en particulier. Un entraînement cognitif, ici l’apprentissage de l’anglais, peut aussi avoir un effet positif sur certains aspects psychoaffectifs, sur l’humain et sur certains aspects sociaux.
Les interactions humaines sont-elles essentielles ?
Lorsqu’on interagit avec une ou plusieurs personnes, on « challenge » notre cerveau, en le mettant en activité. Les interactions sociales sont aussi utiles pour réguler les émotions. Les liens que les gens créent les uns avec les autres, en se voyant une fois par semaine pendant dix-huit mois et en vivant des moments très forts, vont les encourager à poursuivre l’expérience. Ce qui est notable, c’est que dans la plupart des études scientifiques, on a en moyenne 15 à 20% d’abandon. Ici, personne n’a renoncé !
Comment mesurez-vous les résultats ?
On mesure un certain nombre de paramètres dans le sang, en lien avec la santé générale, le vieillissement, les risques de maladie d’Alzheimer, avec l’humeur, le stress, etc. Beaucoup d’examens d’imagerie également : l’anatomie du cerveau, son fonctionnement, son activité pendant la réalisation de certaines tâches. On mesure aussi certaines protéines dans le cerveau ou des mécanismes particuliers, avec notamment un examen en tomographie par émission de positons. Nous évaluons également le sommeil sous toutes les coutures, avec des questionnaires, un bracelet, une polysomnographie, mais aussi des tests cognitifs. Avec toutes ces mesures, nous allons évaluer l’impact des deux interventions – en anglais et en méditation – par rapport au groupe contrôle passif.