Pour Kosa Pan, Brest a pris des airs de Siam

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Ils sont venus en nombre assister à l’inauguration du buste de Kosa Pan, à Brest. Des centaines de Thaïlandais-es et de Brestois-es ont salué la mémoire de l’ambassadeur qui a débarqué, il y a 333 ans, dans la cité du Ponant, avant d’aller rencontrer Louis XIV à Versailles. Si bien que la rue de Siam a fièrement porté son nom, ce 15 février. En remontant vers l’Hôtel de Ville, drapés dans des costumes de toutes les couleurs, la délégation thaïlandaise a fait résonner percussions et chants dans la grande artère du centre. Et après un temps de discours en mairie, Bretons et Thaïlandais ont rejoint les ateliers des Capucins pour partager leur culture, autour de la danse et des sports de combat.

Le Vénérable Nyanadharo, bonnet fixé sur la tête, traverse les rails du tramway, en bas de la rue de Siam. Sur ses pas, les Vénérables Fred et Bhante Lakkhano tiennent fermement les plis de leurs robes de moine face au vent. Les trois maîtres Theravada sont suivis par des membres de l’Association thaïlandaise des professeurs de français (ATPF). Ensemble, ils se dirigent vers la station de téléphérique. En face de celle-ci, à l’angle des rues Ducouédic, Louis-Pasteur et Jean-Moulin, plus de 200 personnes s’amassent autour de l’ambassadeur de Thaïlande en France, Sarun Charoensuwan et du maire de Brest, Fr

ançois Cuillandre. Ces derniers viennent de dévoiler le buste de Kosa Pan, entouré de fleurs. Une statue en bronze, haute de 1,20 mètre et vissée sur un socle de granite, en hommage à cet ambassadeur du royaume de Siam, qui a débarqué ici même, en 1686, avant d’aller rencontrer Louis XIV à Versailles.

 « Prier pour l’esprit de Kosa Pan »

Le sculpteur thaï, Watchara Prayoonkum, et le tailleur du socle, Christophe Chini, accueillent le Vénérable Nyanadharo avec le sourire. Celui-ci vient de se frayer un chemin à travers la foule pour bénir l’œuvre. Une tâche initialement octroyée au vice-patriarche de Thaïlande, Somdej Phra Maha Teerajarn, accompagné de ses moines. Mais, pour des raisons de politique intérieure, le religieux a dû annuler sa visite. Le Vénérable Fred et le Vénérable Bhante Lakkhano sont donc venus d’Hawaï et de Suisse pour le remplacer au pied levé, aux côtés du maître laotien. « Nous allons prier pour l’esprit de Kosa Pan, pour faire le lien entre les peuples français et thaïlandais », nous explique le Vénérable Nyanadharo. « La plupart de nos prières sont des sutras pour la bienveillance et la pacification des esprits », poursuit Bhante Lakkhano du Centre bouddhiste international de Genève. « Les prières en langue pali, récitées tous les jours depuis plus de 2500 ans, ont une vibration très forte qui permet de réactiver une fréquence qui est déjà là ».

Les trois moines ne bénéficient que de quelques minutes pour apporter leur bénédiction à l’œuvre. À vingt mètres de là, les spectateurs entourent des danseuses et musiciennes thaïes. Du violet, du rouge, du jaune, du bordeaux… Elles réalisent leurs pas de danse dans un bal de couleurs, vêtues de costumes traditionnels des quatre coins de leur pays. Certaines de ces artistes sont membres de l’Association solidarité thaïe en France, dont vingt membres ont fait le déplacement depuis la région parisienne. Pongpan Suwannant-Legrand en fait partie. Lunettes rondes et tout de jaune vêtue, elle attire notre attention. Venue de Bobigny et mariée à un Français, elle enseigne la langue de Molière à des restauratrices et masseuses fraîchement débarquées dans l’Hexagone. Ravie, elle écoute les artistes avec le sourire. « Cet événement est historique pour les Thaïs comme pour les Français », assure l’enseignante, qui est également membre de l’Association thaïlandaise des professeurs de français.

Cris de joie et tambours dans la rue de Siam

L’ATPF, qui a offert le buste à la cité du Ponant, a grandement contribué à l’organisation de cette journée. « Cela s’explique, car nous avons envoyé beaucoup de jeunes étudier au lycée Charles de Foucauld et au Centre international d’études des langues – CIEL – à Brest, Plougastel et Le Relecq-Kerhuon. Je viens donc régulièrement dans le Finistère », nous confie Thida Bootharm, la vice-présidente, qui réside à Bangkok. Sur ces mots, elle entame, suivie d’une trentaine de membres de l’association, la marche vers la mairie de Brest.

« Nous allons prier pour l’esprit de Kosa Pan, pour faire le lien entre les peuples français et thaïlandais. » Le Vénérable Nyanadharo.

Le cortège entre dans la rue de Siam au son des tambours et des cris de joie. Des drapeaux thaïlandais sont agités avec ferveur par petits et grands. Les passants sourient devant ce cocktail de bonne humeur. « Brest est une ville très accueillante et agréable. Je suis impressionné de voir cette grande rue porter le nom de Siam », se réjouit Chaloamkiet, un Thaïlandais de 33 ans, loin d’être découragé par ce début de tempête. Enseignant-tuteur de thaï à l’Inalco, à Paris, il souligne « ‘’importance des relations diplomatiques et culturelles entre nos pays ».

Arrivée Place de la Liberté, la délégation se répartit sur les marches pour la traditionnelle photo de groupe, sur le perron de l’Hôtel de Ville, avant d’entrer dans le grand hall de la mairie, pour le temps des discours. La parole est donnée à deux adolescents pour raconter, en français et en thaïlandais, l’aventure de Kosa Pan au XVIIe siècle. Les deux jeunes n’ont pas été choisis par hasard : Malo, chapeau rond traditionnel sur la tête, a fait un séjour d’échange à l’École internationale Saint John de Bangkok, en 2017. Et Jenny, dans sa robe jaune clair de Thaïlande, étudie au collège Charles de Foucauld de Brest, cette année.

Pol Moal, ancien directeur de l’établissement, tient à saluer la mémoire de la princesse Galyani Vaddhana. La sœur du précédent roi, Rama IX, est décédée en 2008. « C’est grâce à elle, et suite à sa venue à Brest en 1989, que nous fêtons cet événement. En tant que présidente de l’ATPF, elle avait décidé de nous confier de jeunes Thaïlandais. En tout, plus de mille d’entre eux ont bénéficié de l’aventure, et deux cents jeunes Bretons ont été accueillis à Bangkok. Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Mais si ces voyages peuvent en plus participer au rapprochement entre les peuples, nous aurons gagné ! », ‘’exclame-t-il.

Rue de Brest à Bangkok, danses thaïes en Finistère

Remercié immédiatement par Thida Boontharm pour l’accueil brestois, Pol Moal cède ensuite la parole à l’ambassadeur de Thaïlande : « J’espère que les Brestois veilleront sur ce buste pour qu’il continue à témoigner de nos relations amicales qui s’enrichiront au fil des années », lance ce dernier. François Cuillandre, maire de Brest et président de Brest Métropole, salue déjà « le travail accompli depuis trente ans. Et notamment la décision prise, le 15 février 2013, de nommer rue de Brest la rue de l’ambassade de France, à Bangkok. Brest et la Thaïlande sont unis pour longtemps », assure l’édile.

À la fin de ces échanges, toutes les personnes présentes sont invitées à un pot de l’amitié. Alors que les Bretons se délectent de Pad Thaï et de samoussas, les Thaïlandais font la queue autour des crêpières, vêtues de coiffes, pour apprécier les spécialités régionales.

Dans le fond du hall, des notes de xylophone résonnent. Les danseuses professionnelles du ministère de la Culture thaïlandais entrent sur scène, dans leurs costumes fastueux, parées de dorures, de bijoux et de couleurs vives. Chapeaux en pointe ou pot de fleurs sur la tête, elles entament des gestes de Khon et de Lakhon, les danses classiques de leur pays.

De la boxe thaïe pour unir les peuples

Les spectateurs sont ensuite invités à rejoindre le dernier lieu de cette journée : les ateliers des Capucins. Mais, la faute aux rafales de vent qui se font de plus en plus violentes, la délégation n’empruntera pas le téléphérique, à l’arrêt. Il faut donc rejoindre la rive droite de la Penfeld en voiture ou en tramway, pour finir le trajet à pied…

Une fois à l’abri dans l’immense complexe qui abritait, autrefois, les chantiers de l’arsenal, nous nous dirigeons vers la Fabrik 1801. À l’intérieur du restaurant, un ring est installé sur des tatamis pour accueillir des démonstrations de gouren – lutte bretonne – et de boxe thaïe. Des jeunes boxeurs du club de Plouzané enchaînent les coups sur le regard d’un bouddha.

Puis vient le tour de Iëlo Siapo Page, dont l’intensité des mouvements impressionne. La Brestoise, championne du monde de la discipline, est heureuse d’avoir été invitée à cette journée. « Je me sens très honorée. Les moines m’ont bénie et m’ont assurée que j’avais une mentalité en accord avec ce qu’ils pensaient de la boxe thaïe. Même si je donne des coups, je ne cherche pas la violence, contrairement à certains préjugés. Il s’agit de contrôler ses émotions, d’être humble ». Avec le sourire, la Bretonne retourne sur les lieux des festivités. Avec entrain, elle se lance, bras dessus bras dessous, dans des pas de danse bretonne. De quoi réjouir le Vénérable Nyanadharo, pour qui « les danses et les sports de combat peuvent unir les peuples ».

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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