Catalina Vaage : variations sur le corps selon le bouddhisme

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Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de partir à l’autre bout de la planète pour avoir accès aux enseignements du Bouddha Shakyamuni. Une rapide recherche sur internet permet de trouver documents et livres bouddhistes ou maîtres spirituels installés en France. Certains, toutefois, éprouvent encore le besoin de se plonger dans l’environnement originel pour en retrouver l’essence, c’est le cas de Catalina Vaage. Née en Roumanie, cette citoyenne du monde parcourt l’Asie depuis l’an 2000 en quête d’un bouddhisme à même de conjuguer élévation spirituelle et souplesse du corps, le bien-être de l’un nourrissant l’autre.

Vous avez vécu dans de nombreux pays, dont l’Inde, la Corée, la Thaïlande, et maintenant le Japon. Votre approche du bouddhisme a-t-elle évolué au cours de vos voyages ?

Mon premier contact avec l’Asie et le bouddhisme a été l’Inde. En 2004, j’enseignais alors le yoga depuis une dizaine d’années en Scandinavie, mais j’avais le sentiment que le yoga restait à la surface des choses sur le plan spirituel, qu’il ne permettait pas de mettre un terme aux causes de la souffrance. J’ai alors cherché une tradition qui irait plus en profondeur. Le bouddhisme me l’a permis. J’avais envisagé de rester une seule année en Inde, mais j’y suis finalement restée quatre ans, car, rapidement, j’ai réalisé que pour aller au cœur de la pratique enseignée par le bouddhisme tibétain, il fallait également en apprendre la langue. Une traduction, aussi bonne soit-elle, perd une partie de l’essence des enseignements. Je suis donc restée à Dharamsala, où j’ai fait, entre autres, la connaissance de nonnes coréennes. Elles m’ont impressionnée par leur rigueur et ont fait naître en moi le désir de m’immerger dans cette discipline monastique particulièrement exigeante. Avant de les rejoindre en Corée, je me suis arrêtée en Thaïlande pour suivre une formation de professeur d’anglais, non pour le bouddhisme que j’ai perçu alors – de manière très subjective, je le conçois – comme correct sur la forme, mais vidé de son sens. Mon séjour en Corée a dû s’interrompre au bout de quelques mois à cause de problèmes de santé, et je suis rentrée en Europe. La danse m’a ramenée en Asie, au Japon, où je me suis vite sentie chez moi.

« Selon le principe des vases communicants, un corps libre et détendu offre le support idéal pour un esprit ouvert. Inversement, l’esprit libéré permet une plus grande souplesse du corps. »

Ce qui m’a le plus frappé au cours de ces voyages, c’est la différence de perception du corps qu’ont les différentes traditions. Pour moi qui viens du yoga, j’ai vite eu l’impression que le corps est plutôt déconsidéré dans le bouddhisme tibétain, même s’il est bien sûr important en tant que support de l’esprit pour le pratiquant. En Corée et au Japon, l’approche du corps est sensiblement différente. Peut-être est-ce dû au fait que des arts martiaux sont présents dans ces deux pays… Dans le yoga, la connexion entre le corps et l’esprit est particulièrement mise en exergue, et c’est cela que je recherchais. En Corée, le temple dans lequel j’ai passé quelque temps insistait sur l’importance du corps, mais pour s’en détacher.

Quelle analyse faites-vous de la relation corps-esprit dans le bouddhisme ?

À travers ces expériences qui se déroulèrent pendant plusieurs décennies, et auxquelles j’ai associé le yoga, les enseignements bouddhiques, une alimentation végétarienne, voire végane, je suis devenue plus forte, et je comprends maintenant le lien qui les unit comme s’il s’agissait de vases communicants : un corps libre et détendu offre le support idéal pour un esprit ouvert. Inversement, l’esprit libéré permet une plus grande souplesse du corps. J’en suis arrivée à la conclusion que l’on ne peut avoir une pratique efficace en ne privilégiant que l’esprit ; esprit et corps sont les deux faces d’une même médaille, elles ne peuvent être séparées. Ceci est bien évidemment mon ressenti, celui de quelqu’un qui débute dans la pratique. Il est certain que quand on parvient à un certain niveau de compréhension et d’expérience, le corps devient surtout un outil sur la voie de la réalisation, mais je n’en suis pas encore là…

Qu’est-ce que le bouddhisme vous apporte dans la vie de tous les jours ? Avez-vous observé un changement opérer en vous, dans votre rapport avec les autres ?

Suivre un code de conduite vis-à-vis des autres, qu’ils soient humains ou non, sur les trois plans (corps, parole et esprit), est devenu une évidence. Cela a renforcé en moi les engagements pris quant au fait de ne pas commettre certaines fautes. Ainsi, plus je fais de mon mieux pour les respecter, moins je fais d’efforts pour vivre en accord avec, car ces vœux sont devenus une partie essentielle de la personne que je suis aujourd’hui. Par exemple, je me suis rendu compte que même dans mes rêves, je n’arrive plus à mentir ! (Rires)

Le bouddhisme a-t-il eu une influence sur votre activité professionnelle d’enseignante de yoga ?

Avant que je ne rencontre le bouddhisme, je considérais le yoga comme ma voie spirituelle. À la suite de ma rencontre avec les enseignements du Bouddha, ma relation au yoga a évolué ; il est devenu un outil, un moyen et non la voie en elle-même. De plus, je ressentais que le yoga pour les Occidentaux relevait plus de l’objet à consommer que d’une voie spirituelle à proprement parler, je me suis sentie en décalage complet vis-à-vis de cette approche. Donc, non, le bouddhisme n’a pas influencé ma pratique du yoga, mais il a certainement changé la façon dont j’ai fini par le percevoir et de ce que je pouvais en transmettre, particulièrement en Occident.

Vous êtes plutôt dans la tradition du bouddhisme tibétain, quelles sont les personnalités dont les enseignements vous touchent le plus ?

Les deux principales personnes qui m’inspirent et qui m’ont incitée à suivre cette voie sont le Dalaï-Lama et le vénérable Dagpo Rinpoché. Chaque rencontre fut particulière. J’ai rencontré le Dalaï-Lama lors d’un enseignement donné à Varanasi, où je me trouvais par chance, alors que je profitais d’un congé que je voulais tout sauf spirituel. Il est passé près de moi et sa seule présence m’a touchée au plus profond de mon être. Dans le cas de Dagpo Rinpoché, je l’ai d’abord vu en rêve sans savoir de qui il s’agissait, et sans y faire plus attention que ça. Ma curiosité fut en revanche piquée le jour où j’ai revu ce maître, en photo cette fois-ci, chez une amie. J’ai sauté dans le premier avion pour le rencontrer en France. La troisième personne qui me touche tout particulièrement est Khandro Rinpoché, la fille de Mindrolling Trichen Rinpoché, un des plus éminents maîtres de l’école Nyingma du bouddhisme tibétain. Grâce à eux, j’ai la chance de pouvoir étudier les enseignements des écoles Gelug, Kagyu et Nyingma, et de pouvoir dire que je suis une pratiquante non sectaire. (Rires) J’aime également beaucoup les enseignements zen de Dôgen. Tous ces enseignements – interdépendance, loi de causalité, vacuité – m’aident dans la vie de tous les jours : la connaissance de ces principes a largement contribué à changer ma perception des phénomènes. Je ne pourrais aujourd’hui imaginer ma vie sans eux…

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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