« Depuis mes onze ans, je voulais changer le monde », se souvient Martine Batchelor. Mais, en quittant la maison, à dix-huit ans, la native de Béziers (Hérault) tombe sur un texte du Bouddha. Elle comprend « qu’avant de vouloir changer les autres, il faut peut-être se changer soi-même ». Un déclic. « J’ai arrêté de m’intéresser à la politique et je me suis tournée vers la méditation. »
Entre 1972 et 1974, la jeune femme part à la rencontre de différents courants spirituels, notamment en Angleterre, puis décolle pour l’Asie où elle atterrit en Corée à l’âge de vingt et un ans. « Je suis allée dans un couvent qu’on m’avait recommandé, car la personne responsable, ainsi que plusieurs résidents étrangers, parlaient couramment l’anglais. »
Elle arrive au temple de Songgwang (sud-ouest) alors que se déroule la plus grande cérémonie de l’année, qui commémore le décès du fondateur, Bojo Kuksa. Tout le monde s’affaire en cuisine, Martine donne un coup de main. « Pendant une pause, une dame coréenne d’une cinquantaine d’années me demande si je suis mariée, si j’ai des enfants, si je vais à l’université, si je travaille… Après lui avoir répondu que non, elle m’a dit : « Quelle chance ! Si j’étais toi, je deviendrais nonne ». Cela a fait tilt. Je n’avais aucune attache. Je me suis dit que, peut-être, j’apprendrais quelque chose qui m’aiderait à me changer moi-même ».
Sortir d’une mauvaise routine relationnelle
Martine prend donc ses vœux de nonne sans trop attendre, en 1975. « J’ai tout de suite réalisé que j’avais fait le meilleur choix de ma vie. » Elle reste dix ans au monastère et apprend à changer ses habitudes. « Souvent, je répétais les mêmes gestes qui entraînaient les mêmes souffrances, pour moi et pour les autres. J’ai donc pensé qu’avec la méditation, je pourrais sortir de cette mauvaise routine. Après six mois à Songgwang, je me suis rendu compte que je devenais moins autocentrée, que je pensais plus souvent aux autres. Depuis toujours, je souhaitais développer la sagesse et la compassion. J’ai donc continué dans cette voie. »
Dans son couvent coréen, le rythme est très codifié. Les moines et les nonnes Zen (Son en coréen) méditent dix heures par jour pendant six mois, puis quatre heures quotidiennes l’autre moitié de l’année. « Et la pratique se poursuivait en dehors de l’exercice formel », précise-t-elle, avant d’ajouter : « La méditation aide à développer une pleine conscience créative, bienveillante et éclairante, de manière générale et aussi plus précise. Par exemple, quand je travaille au jardin, j’amène l’attention bienveillante sur mon dos ; et quand je me trouve avec ma mère qui perd sa mémoire, je suis plus dans la patience. »
« Pour moi, la méditation n’est pas dogmatique. Tout dépend de ce qui fonctionne pour chaque personne, quand et comment. »
En parallèle, Martine devient, en 1981, interprète du maître Kusan Sunim. Elle fait l’intermédiaire entre lui et les visiteurs étrangers qui viennent au temple, traduit ses livres et ses enseignements, et l’accompagne lors de ses voyages aux États-Unis et en France. Encore aujourd’hui, le maître coréen reste une référence pour la pratiquante Son : « D’un côté, il était toujours très simple et de l’autre, il restait très droit et très éthique. Surtout, il appliquait ce qu’il disait. J’ai beaucoup appris de lui. »
Quand le Son coréen rencontre le Vipassana
C’est à Songgwang que Martine rencontre son futur mari, Stephen Batchelor. Le moine anglais, qui pratique le bouddhisme Vajrayana, souhaite expérimenter la méditation Son coréenne. Quand en 1985, ils rentrent en Europe après un petit voyage au Japon, à Taïwan et en Chine, Martine rejoint alors la communauté bouddhiste de Sharpam, dans le Devon, et travaille pour le centre Gaia House, toujours dans ce comté du sud-ouest de l’Angleterre. « J’y suis restée quinze ans, j’ai écrit des livres, travaillé dans différentes associations pour les droits des femmes et le dialogue interreligieux… » Ce retour à la vie active a été une expérience enrichissante : « Quand j’étais nonne, je me dédiais à la pratique, protégée dans un système. Je suis donc revenue à une existence ordinaire. C’était très intéressant de gagner ma vie et d’être en relation non hiérarchisée avec les autres ».
Outre-Manche, Martine Batchelor continue son exploration intérieure. « Généralement, on essaie d’être bienveillant et clair, mais parfois, on ne peut pas l’être quand on est frustrés, trop occupés, ou que l’on a des ressentis désagréables. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre mes limites et celles des autres », dit-elle. Sa curiosité l’amène à suivre ses premières retraites de méditation selon la méthode Vipassana, « très complémentaire » de sa pratique Zen. Depuis, Martine enseigne les deux techniques. « Pour moi, la méditation n’est pas dogmatique. Tout dépend de ce qui fonctionne pour chaque personne, quand et comment. Généralement, je m’attarde d’abord sur l’ancrage et l’exploration de ce qui est, avant de définir de quelle manière on peut le faire : soit plus par la méthode Vipassana de la Pleine conscience, soit plus par la méthode Son, le questionnement ».
« J’essaye de me trouver là où les autres sont »
Martine et Stephen Batchelor enseignent désormais le Vipassana, un peu partout dans le monde. En 2000, de retour dans l’Hexagone, le couple s’installe près de Bordeaux. De temps en temps, les époux partagent leurs connaissances avec l’association Terre d’Éveil, en Aquitaine. « Nous continuons de nous déplacer en Europe, notamment en Autriche, au Danemark et en Finlande. Mais je voyage un peu moins, aujourd’hui, car je m’occupe de ma mère, qui a 93 ans. C’est elle qui bénéficie le plus de ma pratique », reconnaît-elle. Mais elle n’est pas la seule, puisque Martine Batchelor initie des seniors français à la méditation, à Caen, une fois par mois, pour une étude scientifique, Sylver Santé Study, dont Matthieu Ricard est l’ambassadeur. « C’est très intéressant de suivre un groupe de débutants, sur dix-huit mois ». Pour elle, une chose importe dans l’enseignement et la pratique : « Notre manière d’être, de se révéler conforme à ce que l’on dit. J’essaye de rester calme, bienveillante, de me trouver là où les autres sont et de les accompagner dans leur cheminement ». Avec un désir profond : que leur parcours spirituel leur apporte la même joie que le sien, car « je me considère très chanceuse », reconnaît-elle