Didier Van Cauwelaert : la bienveillance, un phare au quotidien

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Le romancier à succès a sorti un récit de vie plein d’humour et de générosité sur la bienveillance. Il met en lumière avec talent cette valeur essentielle pour mieux vivre ensemble et avec soi.

Votre livre La bienveillance est une arme absolue résonne avec beaucoup de force en ces temps troublés. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire ?

Mon éditrice Muriel Beyer m’a dit : « Quand je lis tes livres, je ne sais pas pourquoi, mais je me sens meilleure. Tu devrais écrire un livre sur la bienveillance ». Cette phrase a fait son chemin en moi. Des souvenirs me sont revenus et j’ai réalisé à quel point la bienveillance était fondatrice dans mon existence. Toute ma vie en est l’écho.

Que représente pour vous la bienveillance ?

C’est une nature et non une pose. Parfois cela peut-être de la démagogie envers soi-même pour se voir comme quelqu’un de bien, dans le regard des autres. Or, si l’élan de bienveillance n’est pas naturel, il n’atteint pas son but. Il ne nettoie pas. Le but est de se nettoyer de tout ce qui peut nous dévorer de l’intérieur et influer ainsi sur les autres. En vouloir à quelqu’un nous envoie des toxines qui sont dangereuses, mais elles sont très facilement solubles dans un acte de bienveillance. Il faut faire quelque chose de nos sentiments néfastes. Agir avec bienveillance est donc un acte réparateur.

Pourquoi comparez-vous la bienveillance à une arme ?

L’image que je donne au tout début du livre pour la définir est tirée de la bande dessinée Spirou et Fantasio. Il y est question du Métomol, un gaz rosâtre constitué à partir de champignons qui a le pouvoir de ramollir l’acier, les chars, les couteaux et les armes. Des chars d’assaut qui s’étiolent dans une mare rosâtre, c’est ça la bienveillance. Une forme de gaz que vous émettez pour désarmer l’adversaire et qu’il n’ait plus accès à son arsenal de guerre.

Et si ça ne marche pas ?

Pour moi, ça a toujours marché. C’est une question de technique mental. C’est comme dans les arts martiaux : quand vous êtes devant quelqu’un qui vous agresse, si vous réagissez de la même manière, vous alimentez son agressivité. Mais si en revanche, vous le complimentez pour quelque chose qu’il a fait par le passé, il perd son fil, vous l’emmenez ailleurs, vous réveillez son enfant intérieur. Cela fonctionne toujours. Il y a une carapace qui s’ouvre et la bienveillance peut alors surgir. Si la personne est bien avec elle-même, elle ne peut que l’être avec moi aussi. Mais, en même temps, il est important de ne pas attendre de la bienveillance en retour. Comme le dit Homère : « Fais du bien et jette-le dans la mer ». C’est formidable quand la bienveillance a un effet sur quelqu’un, mais ce n’est pas la règle dominante. Lorsque vous voyez qu’il n’y a pas de réponse, ce n’est pas grave, quoiqu’il arrive, elle est en vous. Là est l’essentiel.

Pourriez-vous nous donner un exemple de bienveillance au quotidien ?

Je repense à ce jour où, dans la rue, un oiseau avait fait tomber une fiente sur une voiture. Une femme qui passait par là a pris son mouchoir et l’a nettoyée alors que ce n’était pas sa voiture. Nous avons échangé un sourire. La bienveillance au quotidien s’exprime dans des détails infimes qui ne changent rien en apparence, mais qui transforment en réalité le fonctionnement du monde en profondeur.

À plusieurs reprises dans votre livre, la bienveillance est vue comme une arme au cœur des guerres réelles et intestines que nous subissons. Pourquoi cette métaphore de la guerre ?

Une expérience a été menée sous l’égide de l’ONU à l’initiative d’une université américaine pendant la guerre entre Israël et le Liban dans les années 80. L’idée était d’envoyer sur le champ de bataille des rêveurs d’élite, c’est-à-dire des gens entraînés à la méditation active, à la concentration mentale sur un but, un projet, une image. Leur objectif, au cœur des combats, n’était pas de prier pour que la paix revienne, mais d’imaginer que la paix était déjà revenue. C’est une expérience de pensée quantique. Il s’agit de générer assez de force mentale pour qu’une conviction devienne réalité. Si on part du principe que notre conscience crée le monde, quand notre conscience est structurée, persuasive, elle développe une autre réalité. Partout où ces rêveurs d’élite surnommés les « Casques roses » passaient, les combats s’arrêtaient. Quand on demandait aux combattants pourquoi ils avaient arrêté de tirer, ils répondaient qu’ils l’ignoraient. Ils ressentaient simplement que cette surenchère de violence ne menait à rien. La même chose se passait dans le camp adverse. La lumière que les rêveurs d’élite diffusaient, c’était de la bienveillance pure.

« Le silence est pour moi le premier des luxes. J’ai la chance de vivre la plupart du temps dans une maison dans la forêt, où le silence est peuplé de choses assourdissantes, le chant des oiseaux, le vent dans les feuilles, les grillons… Cette rumeur fait partie du vrai silence, car elle crée une résonance. »

Avez-vous pratiqué la méditation ?

Je ne suis pas doué pour la méditation passive, je n’arrive pas à faire le vide en moi. Je suis toujours en train de travailler avec ma tête et mon cœur, d’imaginer, de projeter, de mettre en forme… Ce qui m’intéresse, ce n’est pas moi-même en tant que moi-même ; c’est moi-même en tant qu’antenne, ce que je capte des autres, des humains, des végétaux, des animaux, de l’imaginaire. Pour cela, je me mets à leur écoute. Par exemple, je parle souvent aux arbres et nous échangeons nos énergies ensemble. Je procède de même avec les animaux. Il faut pour cela, comme dans la méditation, faire taire le bruit intérieur. Le silence est pour moi le premier des luxes. J’ai la chance de vivre la plupart du temps dans une maison dans la forêt, où le silence est peuplé de choses assourdissantes, le chant des oiseaux, le vent dans les feuilles, les grillons… Cette rumeur fait partie du vrai silence, car elle crée une résonance.

La bienveillance est au cœur du bouddhisme. Vous êtes-vous inspiré de cet enseignement pour façonner votre réflexion sur la bienveillance ?

Je me nourrissais de la bienveillance avant de rencontrer le bouddhisme. Même si je ne suis pas toujours en plein accord avec cette philosophie, j’admire énormément Matthieu Ricard. Avec lui, le temps s’arrête, on est en « infusion » immédiate ; et dans ces moments, l’humour prend toujours le dessus. Matthieu montre un bouddhisme bien vécu, bien diffusé, une sérénité attentive. L’attention est également une valeur bouddhiste essentielle dans ma vie. Cette compassion active envers la vie en général favorise un échange attentif avec l’univers entier.

En quoi, comme vous le soulignez, l’humour est-il le plus court chemin qui mène à la bienveillance ?

Je ne connais pas de bienveillance triste. En revanche, on peut avoir subi des épreuves, être blessé et se soigner à travers un acte de bienveillance qui nous fait sortir du ressassement et de la tristesse et qui va créer de la joie. Alors la tristesse se délite. On peut tout réenchanter avec de la bienveillance. Une expérience m’a marqué à ce sujet quand j’étais enfant. Je marchais dans la rue avec mon père qui m’avait donné une pièce pour l’offrir à un mendiant aveugle. Après l’avoir fait, mon père m’a dit : « Pourquoi tu n’as pas souri ? » J’ai répondu : « Parce que cette personne était aveugle ». Mon père a alors rétorqué : « Oui, mais si c’est un faux aveugle ? Tu ne le sais pas, alors souris ». La bienveillance se situe au-delà de la morale : c’est une circulation d’énergie, d’intelligence, de connivence lucide, d’empathie avec l’autre, le monde et soi-même.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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