Bernard Werber : un homme de renaissances

- par Henry Oudin

Publié le

Entretien avec un écrivain qui partage, au fil de ses romans et de ses vies, la grande aventure de la conscience humaine.

Pourquoi le bouddhisme vous a-t-il attiré ?

J’ai commencé par le yoga. À treize ans, j’ai rencontré un garçon en colonie de vacances qui m’a fait découvrir le raja yoga et appris à tout faire en conscience, à respirer, à fixer mon regard, à réaliser que j’avais un cœur qui bat. J’ai trouvé ça extraordinaire, alors j’ai essayé de chercher d’autres endroits où je pouvais faire des pratiques similaires. Je n’en ai trouvé aucun. Donc j’ai commencé à examiner tout ce qui pouvait se rapprocher de cet enseignement, le Zen, la méditation, etc. Dans cette exploration très vaste, j’ai découvert « Le troisième œil » de Lobsang Rampa. Alors, à partir de là et du bouddhisme tibétain, je me suis intéressé au bouddhisme tout court.

En quoi le bouddhisme vous aide-t-il à vivre ?

Le bouddhisme m’a appris à accepter le monde tel qu’il est et à vivre dans l’instant. Lorsqu’on vit dans l’instant présent, on parvient à être clairement conscient de ce que l’on fait. Un autre aspect me porte aussi énormément, le lâcher-prise. Tout ce qui ne va pas vient de moi-même, je suis seul responsable de ce qui m’arrive, la seule personne sur laquelle j’ai une marge d’action, c’est moi-même, donc je n’en veux à personne. Cela me donne la volonté de me parfaire, d’être plus conscient. Je sais que la plupart de mes souffrances viennent quand je m’agrippe à quelque chose, à une croyance. Il suffit de remettre en cause par exemple une croyance pour laisser la vie être comme un fleuve qui coule. Tout passe, rien ne se fixe. Je n’ai donc pas à essayer de bloquer les choses en les voulant autrement que ce qu’elles sont. Quand on réalise que la vie nous traverse, nous sommes dans une forme d’acceptation, et non de crispation ou de fatalisme. Le fatalisme, c’est se dire : « Il arrive quelque chose de mauvais, c’est affreux, mais je serre les dents ». L’acceptation : « Il arrive quelque chose de mauvais, ça participe à mon évolution. »

Alors que le bouddhisme encourage à vivre pleinement le présent, songer aux vies passées et futures jette un autre éclairage sur votre présent ?

Oui énormément. Mon dernier livre, La boîte de Pandore, a pour thème les vies passées. Je pratique moi-même l’hypnose régressive : fermer les yeux, puis ouvrir les portes des vies antérieures et les visiter. Je le fais faire à d’autres s’ils me le demandent. Je ne peux pas vous garantir que ce soit vrai, mais il y a une histoire qui sort, et elle est remplie de détails. Dans une des vies récentes que j’ai explorées en hypnose régressive, je me suis retrouvé en Amérique latine avant l’arrivée des conquistadors dans un petit village de quatre cents personnes. J’étais formé par un maître à l’herboristerie, à soigner les gens avec des potions et des plantes. Il y avait toute une spiritualité autour de l’énergie des arbres. Mon maître m’avait dit qu’avant de mourir, je devais trouver un disciple pour que l’enseignement ne se perde pas. Or je n’en ai pas trouvé. Je n’ai donc pas rempli ma mission. J’ai reçu un savoir que je n’ai pas réussi à transmettre à mon tour. J’avais donc un sentiment de frustration et je pense que je l’ai encore. C’est pour ça que j’écris des livres. Tout ce que j’apprends, il faut que je le diffuse. Je crois en la réincarnation, car ça ouvre une perspective. Grâce à la réincarnation, chaque vie est un épisode d’un feuilleton à suivre.

Selon vous, en quoi le bouddhisme pourrait-il être une philosophie pragmatique pour notre époque ?

Je ne me revendique pas du bouddhisme, mais de la vie. Il y a un message de paix, de vie, d’harmonie, de respect de la nature, de prise de conscience que je perçois dans cette tradition qui m’intéresse. Le bouddhisme n’est pas la solution, il est une des voies pour aller vers la lumière. En effet, de toutes les philosophies, c’est celle dans laquelle il y a le plus de gens non violents et en harmonie avec la nature.

« Dans une de mes vies récentes, je me suis retrouvé en Amérique latine avant l’arrivée des conquistadors. J’étais formé par un maître à l’herboristerie, à soigner les gens avec des potions et des plantes. »

Le bouddhisme m’a l’air d’un outil qu’il faut moderniser. Il faudrait donc penser autrement cette philosophie ancienne. Je pense que notre époque a absolument besoin de spiritualité. La spiritualité devrait échapper à la volonté d’ego des êtres humains. Je crois qu’on a besoin d’une spiritualité qui nous enseigne à révéler notre vraie nature. Le bouddhisme est la spiritualité qui semble aller le plus dans cette direction.

Quelle est la spiritualité, religion ou philosophie qui vous ressemble le plus ?

Il y a un endroit, un lieu dans lequel je me sens bien : c’est une philosophie qui me semble idéale, l’école pythagoricienne. Pythagore qui a inventé le mot « philosophie », le mot « mathématique », la gamme de musique et l’héliocentrisme. Tout cela cinq cents ans avant J.-C. ! Il a créé des écoles dans lesquelles il acceptait les étrangers, les femmes et les esclaves. C’était un esprit ouvert et moderne, qui avait tout compris dans tous les domaines de la science et la spiritualité. Il était aussi végétarien, musicien et faisait du sport. L’école pythagoricienne me semble un très bon compromis entre les philosophies orientale et occidentale. Socrate et Platon étaient des élèves d’élèves de Pythagore. Il est donc la source.

Que cherchez-vous finalement ?

Mon objectif est de diffuser la lumière, mais aussi de remettre de la lumière là où il y a de l’ombre. Les forces de l’ombre peuvent être diverses : le matérialisme, le fanatisme, le terrorisme, la violence, le machisme… Et tous ces gens qui se crispent, qui croient avoir raison et pensent pouvoir imposer leur point de vue par la violence. Aller vers la lumière, c’est se tourner vers une énergie de vie, qui doit être entretenue. Il ne faut pas, pour notre confort d’humain, détruire des forêts et les océans. J’essaye de développer tout cela à travers mes romans pour que les gens en prennent conscience. Nous sommes traversés par une énergie de vie et connectés à toutes les autres. Il y a une sève de lumière qui nous traverse tous. Je suis persuadé qu’il y a une énergie de vie invisible, il faut en prendre conscience, l’entretenir et la diffuser.

Quelles sont vos pratiques ?

Quand je me lève, je note mes rêves. Puis je fais des mouvements de « déverrouillage ». Il m’arrive de faire des salutations au soleil. Pour étirer, étendre, prendre conscience que j’ai un corps et que j’ai de la chance d’en avoir un. Je suis aussi de plus en plus végétarien, car le fait de manger un animal qui souffre m’est insupportable. Je fais aussi de la méditation guidée avec la méthode de Christophe André, trois minutes. Je la pratique en faisant le lotus complet. C’est la seule chose d’un peu « yogi » que je sais faire.

« Je suis persuadé que notre esprit est comme un conducteur qui pilote une voiture et qu’après la mort, le conducteur change de véhicule. »

Je suis content d’être vivant, d’être écrivain, d’être dans ce monde, cette vie. Je ne suis pas optimiste, je suis attentif à ce qui se passe autour de moi, à la chance que j’ai d’être dans ce monde-là, et à ce qui ne va pas. Je pense que ce qui va mal va aller de mal en pis. Peut-être faut-il aller au bout des erreurs pour se mettre à comprendre ? J’espère néanmoins que les prochaines générations seront éduquées dans le respect de la nature, de la vie et des autres.

Vivre, c’est quoi pour vous : une illusion comme le pensent certains bouddhistes ou une formidable opportunité pour évoluer et apprendre ?

Pourquoi vit-on ? Pour faire l’expérience de la matière. Vivre dans la matière, c’est une expérience des cinq sens. La survivance de notre pensée ne peut se faire que dans la matière. Dans mon livre Depuis l’au-delà, j’écris : « Il faut soigner son corps pour que son esprit ait envie de rester dedans ». Je suis persuadé que notre esprit est comme un conducteur qui pilote une voiture et qu’après la mort, le conducteur change de véhicule. À mon avis, on peut faire l’expérience du mysticisme tout en étant dans le monde. L’expérience de la matière est aussi l’expérience de la collectivité.

Quel est le message essentiel de votre dernier roman ?

Est-ce que vous vous connaissez vraiment ? Si vous voulez vraiment vous connaître, peut-être pourriez-vous vous demander si vous avez eu des vies antérieures. Et comment expliquent-elles que vous soyez vous maintenant. Pour moi, c’est une évidence qu’il y a quelque chose avant qui explique pourquoi nous sommes comme ça maintenant. Ce livre cherche à montrer que chaque individu fait partie de l’humanité, mais toute l’humanité tâtonne pour trouver la meilleure formule. Nous sommes à un carrefour où des choix sont en train de se faire pour la survie de la planète et peut-être même la colonisation d’une autre planète.

De livre en livre, nous suivons votre quête personnelle. Avez-vous trouvé les réponses que vous cherchiez ?

Dans chaque livre, j’apprends quelque chose. Et, en même temps, je cherche à le partager avec mes lecteurs. C’est mon évolution d’âme qu’on voit à travers mes livres. Par exemple, grâce à mon dernier livre, La boîte de Pandore, j’ai appris à pratiquer encore plus l’hypnose régressive. Chaque livre me permet de mieux utiliser les intuitions que j’avais avant. J’essaye de faire en sorte que mes ouvrages ne laissent pas les lecteurs intacts : ce ne sont pas de simples divertissements, mais une expérience qui doit changer le lecteur. Dans Depuis l’au-delà, une des phrases en exergue est : « Je ne parle pas pour convaincre les gens qui ne sont pas d’accord avec moi, mais pour ceux qui sont déjà d’accord avec moi pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls ». Il y a eu l’aventure de la vie, puis l’aventure de l’intelligence, maintenant il y a l’aventure de la conscience. Je suis sur ce chemin-là. Je ne sais pas où cela va aboutir. Seules les quelques secondes avant de mourir me révéleront si je suis allé dans la bonne direction, au cœur de cette aventure de la conscience.

Cette volonté de favoriser plus la conscience, c’est aussi le souhait de Bouddha News. Que peut apporter un média comme le nôtre au grand public ?

Le message du Bouddha, articulé autour de ces trois notion – être dans l’instant, accepter le monde et lâcher prise – est tellement difficile à intégrer que plus ce sera dit et transmis, plus ce sera intéressant

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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