Vous avez découvert le bouddhisme en 1977 par l’intermédiaire du maître zen japonais Taisen Deshimaru. Qu’est-ce qui vous a attiré ?
Je ne connaissais rien au bouddhisme. Dans une revue catholique, j’ai parcouru un article concernant les maîtres qui arrivaient en Occident à ce moment-là. J’ai envoyé un courrier à l’adresse indiquée, à Nantes, avant d’être contacté par une personne qui mettait en place un dojo, à Brest. J’ai ainsi découvert le Zen. Peu de temps après, Maître Deshimaru m’a demandé de prendre le dojo en mains. Après en avoir été le responsable pendant neuf ans, j’avais l’impression de tourner en rond. J’ai rencontré un ami, pratiquant zen lui aussi, qui connaissait un maître de méditation Theravada, le Vénérable Nyanadharo Visuddhinyano, basé au monastère Bodhinyanarama, à Tournon-sur-Rhône, en Ardèche. Nous avons fait la route ensemble, un premier week-end, en 1987. Je me souviendrai toujours de la première fois où j’ai vu le Vénérable. Il était cinq heures du matin. Discrètement, j’ai jeté un coup d’œil dans le coin où il méditait et j’ai eu un choc, l’équivalent d’un coup de foudre, en une fraction de seconde. À partir de ce moment-là, j’ai décidé de me rendre en Ardèche un week-end par mois, pendant quinze ans.
Le Vénérable Nyanadharo vous a inculqué la méthode Vipassana du Vénérable Mahasi Sayadaw, un maître birman. Quelles sont ses particularités ?
Je suis arrivé à Tournon après le passage de Mahasi Sayadaw au monastère. Il avait proposé que son enseignement y soit développé. Le Vénérable Nyanadharo avait déjà suivi une retraite intensive de trois mois avec lui, en Birmanie. J’ai bénéficié des premiers enseignements. Le Vipassana est une pratique plus austère que le Zen : il n’y a pas de texte à apprendre, pas de chant à réciter, pas de folklore ni de tenue particulière. La pratique se concentre sur ce qui se passe dans l’instant. Ça peut paraître simple, mais c’est extrêmement difficile.
Avec ma femme, Marie-Noëlle, nous avons suivi le vénérable Nyanadharo pendant quinze ans, puis nous sommes allés pratiquer pendant cinq ans au centre Dhamma Mahi, près d’Auxerre, créé par Satya Narayan Goenka. La méthode de Goenka se concentre sur une zone du corps, en l’occurrence sur le souffle au niveau des narines, Anapanasati, avant d’opérer un balayage, un « scan » volontaire du corps, du sommet du crâne jusqu’à la pointe des pieds. Dans la méthode de Mahasi Sayadaw, c’est très différent : on ne commande rien, on prend tout ce qui se présente de la façon la plus équanime possible. On se base sur les mouvements de respiration au niveau de l’abdomen. L‘essentiel est de revenir à cette base de concentration entre deux notations de phénomènes corporels – démangeaison, douleur, etc. – et de porter l’attention dessus. Tout ce qui se passe au niveau de l’esprit doit être également noté et identifié – pensée, imagination, intention, mémoire, projet – avant d’être observé en tant que tel.
Que vous apporte la pleine attention au quotidien ?
Le Vipassana m’a appris à identifier le phénomène qui prédomine à chaque seconde, à fixer l’attention dessus intensément, comme si c’était le dernier dont je pourrais avoir conscience. L’enseignement du Bouddha dit que chaque phénomène qui apparaît n’a jamais existé avant et n’existera plus après. Cette mise en perspective change la manière d’appréhender la vie, il y a moins de préoccupations pour ce qui pourrait advenir. C’est aussi une façon de se préparer à mourir. Avoir, toute sa vie, appris à considérer l’événement de l’instant comme le dernier permet d’adopter cette habitude lorsque l’existence s’achève.
Vous enseignez désormais la méthode de Mahasi Sayadaw lors d’ateliers hebdomadaires, à Morlaix. Cette pratique s’adresse-t-elle à tous ?
À Morlaix, nous avons commencé ces séances il y a trois ans. Certaines personnes restent, d’autres partent. Beaucoup arrivent avec des idées préconçues, des fantasmes et classent la méditation dans la catégorie loisirs, détente, relaxation. Dans la pratique, ils s’aperçoivent que c’est difficile, que cela demande de la persévérance, mais pas seulement.
« Le Vipassana est une pratique plus austère que le Zen : il n’y a pas de texte à apprendre, pas de chant à réciter, pas de folklore ni de tenue particulière. La pratique se concentre sur ce qui se passe dans l’instant. Ça peut paraître simple, mais c’est extrêmement difficile. »
Le maître Ajahn Chah, dans la forêt de Thaïlande, précisait que le Vipassana, dans la tradition du Bouddha, est une pratique réservée aux adultes, c’est-à-dire aux gens qui ne veulent plus s’amuser. Il faut avoir fait une démarche de réflexion, d’expérience de la vie, avant d’entreprendre cette pratique. Il y a déjà beaucoup d’obstacles. Nous nous en tenons à la méthode de Mahasi Sayadaw et nous proposons également, une fois par mois, pendant deux heures, des échanges sur les enseignements du Bouddha, les Quatre Nobles Vérités, le Sentier Octuple et les Sept étapes de purification. Il n’est pas question de se disperser et de perdre du temps en édulcorant le message du Bouddha, qui est, d’une certaine manière, radical.
Quelle place occupe la méthode de Mahasi Sayadaw dans le monde bouddhique et en France ?
En Birmanie, elle est importante. Moins en Thaïlande, où la méthode de Dhammakaya, basée sur la concentration, avec une incitation au don d’argent, est beaucoup utilisée. Ce qui est, à notre avis, contraire au code de discipline des moines. La méthode de Mahasi Sayadaw est bien représentée dans les pays anglophones, par exemple au Royaume-Uni ou aux États-Unis – notamment avec Jack Kornfield -, où il existe des centres de retraite importants. En France, le Vipassana s’est moins développé que le Zen et le Vajrayana. On peut néanmoins retrouver la méthode de Mahasi Sayadaw au centre Sakyamuni (Yonne) ou lors de retraites intensives à Karma Migyur Ling, à Montchardon (Isère). Il y a également des retraites organisées par l’association Terre d’éveil, à Paris. Le centre Dhammaramsi, en Belgique, la propose aussi.