Françoise Cartau : « Je mène un combat, non pas contre le cancer, mais pour vivre. »

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Après avoir été, à trois reprises, confrontée au cancer, Françoise Cartau a décidé de délivrer un témoignage « porteur de vie et d’espoir ». Cette femme de 75 ans, au franc-parler, est déléguée régionale de l’Union Bouddhiste de France pour la Nouvelle-Aquitaine et responsable du Centre bouddhiste tibétain Kadamtcheuling à Bordeaux. Comme elle le confie, Françoise Cartau puise dans le bouddhisme « des ressources spirituelles pour vivre. »

Pourquoi avez-vous choisi de témoigner de votre expérience de la maladie ?

Par trois fois, j’ai été aux prises, en proie et amenée à vivre avec ce que l’on appelle pudiquement « une grave maladie ». À travers mon témoignage, que je souhaite porteur de vie et d’espoir, ma motivation est d’aider les gens qui sont, comme moi, confrontés à cette souffrance et à cette impermanence, au sens où l’on ignore vraiment de quoi demain sera fait. D’ailleurs Dagpo Rinpoché, mon maître avec qui nous avons fondé le Centre bouddhiste tibétain Kadamtcheuling, m’a lui-même encouragée dans cette démarche. Sinon, je ne l’aurais pas fait. Trois fois dans ma vie, donc, s’est présentée la même échéance face au cancer. La première fois, j’avais 34 ans et deux jeunes enfants. La deuxième fois, j’étais âgée de 72 ans, puis la troisième, de 73 ans.

En quoi votre vécu diffère-t-il, à quarante ans d’écart ?

La première fois, je me suis battue pour mes enfants, mon mari et mes proches. Je me suis battue parce que je pensais qu’il était injuste de baisser les bras si jeune, alors que j’avais encore l’avenir devant moi. Cela a également suscité une très grande révolution spirituelle parce que je me suis posé la question : « Mais pourquoi moi ? » Il n’y avait aucune raison ! Je ne fumais pas, je ne buvais pas, etc. Je ressentais une telle injustice. Les deux autres fois, étant devenue bouddhiste, j’allais pouvoir expérimenter si les réponses entendues dans les différents enseignements que j’avais suivis allaient m’apporter satisfaction. Parce qu’il n’était plus alors question de théorie : j’avais les mains dans le cambouis. À mes yeux, l’essentiel n’est toujours pas d’entasser les savoirs, mais de conforter les réponses du bouddhisme avec les problèmes (ou les joies !) qui se posaient à moi. Cette expérience allait ainsi me permettre de vérifier, concrètement, si j’avais, en moi, les ressources spirituelles suffisantes pour pouvoir continuer à vivre de façon stable. En cela, la maladie a été une bénédiction.

Par ce terme de « bénédiction », voulez-vous dire que plus l’on comprend la souffrance, plus l’on s’éveille à la réalité des choses telles qu’elles sont ?

Je le formulerais autrement. J’avais entendu bon nombre de fois une phrase qui m’est revenue, par la suite, par petits morceaux : « La vie est une mosaïque. Suivant l’éclairage, petit à petit, on voit ce que l’on n’avait pas vu ». En clair, le fait est le même, mais l’éclairage diffère. Si l’on en croit le bouddhisme, tous les actes volontaires que nous posons, par le corps, la parole ou l’esprit, sont la construction de nous-mêmes. Autrement dit, il n’y avait pas, dans cette vie dont j’ai le souvenir, des actes qui justifiaient ma maladie. Il allait donc falloir voir si le fait de postuler l’existence de vies antérieures apportait une explication satisfaisante. Et là je me suis dit : « D’accord, je veux bien payer les dettes de mes vies passées. » Au final, c’est une bénédiction puisque je me suis débarrassée non seulement d’une partie de mes dettes, mais aussi de mon sentiment d’injustice. Ce que je ne pouvais en effet pas supporter, c’était l’idée que le hasard ou la volonté de quelqu’un d’autre soient la cause de ma maladie.

Et qu’en est-il de la souffrance, inhérente à la maladie ?

J’ai compris, et admis, qu’il m’appartient de gérer ma souffrance et que ce n’est pas la peine d’en rajouter. Car cette maladie est déjà souffrance. Si je ne pense qu’à elle, que je ne me bats que contre elle, je la renforce. Or, j’ai le devoir de donner un sens à ma vie humaine. Je dois, par respect pour moi, ma famille, les enseignements, mes maîtres, etc. mener un combat non pas contre le cancer, mais pour vivre. Il s’agit aussi de tenter de ne pas encombrer mes proches en mettant ma maladie au centre de ma vie. La première fois que j’ai été malade, la personne qui m’a le plus aidée a été mon mari. Un jour, il m’a dit : « On va arrêter de vivre à trois. Toi, moi et le cancer ». C’est ainsi qu’alors j’ai trouvé l’utilité sur le plan physique de me soigner. Et au-delà, pour que le cancer ne soit pas le seul moteur de ma vie.

« Cette expérience – être atteinte d’un cancer – allait ainsi me permettre de vérifier, concrètement, si j’avais, en moi, les ressources spirituelles suffisantes pour pouvoir continuer à vivre de façon stable. En cela, la maladie a été une bénédiction. »

Les deux autres fois, j’ai essayé de rééquilibrer le poids de la souffrance physique et spirituelle. Quand je partais à l’hôpital, par exemple, suivre des soins pénibles et fatigants, je me souviens que mon maître m’avait dit : « Quels que soient les traitements que vous allez éprouver, lourds ou légers, il faut le faire. Soignez-vous ». Je pouvais alors devenir actrice de ma guérison. Par ailleurs, j’essayais de ne pas penser, en amont, à ce moment, ni après. Je me disais que c’était complètement négatif de l’anticiper et de le ressasser. Pendant, c’est autre chose : Il faut le supporter, c’est tout. Autant mettre en effet mon énergie dans la vie. Je me disais aussi que ce n’étaient qu’une partie et qu’un moment de moi qui partaient. Que ce n’était qu’un instant de ma vie, pas un ensemble. Bien sûr, le cancer est parfois une calamité, mais après tout, lui aussi est composé, donc impermanent. Tout comme l’est la souffrance. Il fait partie de mon chemin, mais cela s’arrêtera.

Quels autres enseignements avez-vous puisés dans le bouddhisme afin de mener votre combat pour la vie ?

Je me suis souvenue de ce que disait le Vénrérable Dagpo Rinpoché : « S’il y a quelque chose à faire, faites-le. S’il n’y a rien à faire, laissez. C’est tout. » Donc j’ai essayé de faire. Le bouddhisme m’a donné une stabilité non pas contre la maladie, mais dans la vie. Mon cheminement a été le suivant : accepter le cancer qui s’était imposé malgré moi ; l’accueillir ; en tenir compte ; enfin vivre avec. Désormais, c’est comme si j’avais une colonne vertébrale spirituelle qui me permettrait d’être debout. Grâce aux ressources que je puise dans le bouddhisme, je suis en rémission, certes, chancelante, oui, mais debout.

Certaines personnes confrontées à la maladie évoquent, elles, leur foi dans l’être humain et sa capacité de vie. Qu’est-ce que cette approche vous inspire ?

Pendant des années, j’ai participé à des retraites au cours desquelles j’ai entendu de mon maître Dagpo Rinpoché que l’un des biens les plus importants était de « posséder une très précieuse existence humaine disponible et qualifiée. » J’y croyais intellectuellement, mais je n’en avais pas une image personnelle. J’étais ainsi un être humain, vivant dans un État en paix, un pays qui respecte la liberté de conscience, assure l’égalité entre les femmes et les hommes et est doté d’un système de santé public performant, etc. D’un point de vue plus personnel, j’étais entourée, j’exerçais une activité épanouissante – professeur de lettres classiques – et qui avait du sens, j’avais la capacité de réfléchir, etc. Je croyais donc à tout ce potentiel, mais le fait d’apprendre que j’avais cette maladie m’a fait réaliser que tout ce capital acquis était en péril. Comment pourrais-je gaspiller un tel trésor ? C’est seulement à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que j’essaye d’exploiter humblement ce qui était si précieux. Pas à travers de grands discours pour donner des leçons, mais dans ma vie de tous les jours. En résumé, j’ai décidé de faire confiance à ce que l’on m’avait enseigné, en vivant avec l’intention d’aider le plus possible l’autre à se sentir heureux. Et aussi à comprendre sa souffrance qui est, tout comme la mienne, inacceptable. Par exemple, je peux simplement sourire pour éveiller, chez l’autre, l’amour et la tendresse. Je reconnais que ce modeste résultat est très loin de l’ambition première de « devenir le Bouddha pour le bien de tous les êtres ! » Ce sont des petits riens, mais ce sont eux qui me construisent. C’est cela, la foi.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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