La méditation est-elle un moyen d’éviter nos problèmes ?
Parfois, la méditation de concentration peut se transformer en une simple recherche de bien-être. En focalisant notre esprit sur quelque chose, on peut atteindre des états de calme profond. Mais nos problèmes, ou des traces de traumatisme par exemple, sont simplement laissés de côté et vont ressurgir tant qu’ils ne sont pas résolus. Il y a tout un courant qui affirme que la méditation conduit au bonheur. Conséquence : les gens recherchent les expériences agréables, et s’il leur arrive quelque chose de désagréable, ils se disent qu’ils ne méditent pas bien. Dès qu’une sensation est un peu douloureuse, ils vont se focaliser sur un autre endroit du corps. L’esprit égotique est très doué : pendant la méditation, il adopte les mêmes stratégies d’évitement que dans la vie courante. Car c’est très pénible de se retrouver face à face en méditation avec ce qui ne va pas.
S’il ne s’agit pas d’éviter nos souffrances, comment y faire face ?
Le Bouddha a enseigné deux attitudes assez différentes. La première est « sati », qui veut dire l’attention en pali. Il s’agit d’être conscient de tout ce qui se passe en nous, sans choisir : les diverses sensations, et aussi nos réactions à ces sensations, comme l’avidité, l’aversion, ou l’ignorance (qui consiste à se fermer à l’expérience parce qu’elle ne nous intéresse pas). La seconde attitude est « yoniso manasikara », c’est-à-dire l’observation attentive. Plutôt que de laisser passer les sensations et les émotions, on peut en rechercher l’origine, pas du point de vue psychologique mais expérientiel. On peut ainsi explorer plus finement notre ressenti positif ou négatif afin de détecter l’image ou le son, par exemple, associé à un souvenir agréable ou désagréable, qui l’a généré. Et c’est ce souvenir activé par la situation actuelle, qu’on va essayer de laisser passer, plutôt que de gérer le paquet émotionnel qu’il a créé. Ainsi l’émotion perd de sa puissance. On peut aussi le faire avec une douleur physique. Dans notre esprit, tous les mécanismes qui créent la souffrance sont toujours présents, mais on n’en est pas conscient. En développant cette conscience, il est possible de les voir pour ce qu’ils sont et d’y mettre fin.
Est-ce que le but est de ne plus souffrir ?
Oui et non. Peut-être que ce sera une conséquence ou pas, mais il ne faut pas que ce soit un objectif de la méditation. Le but est de comprendre le fonctionnement de la douleur de façon expérientielle, pas mentale. La première Noble Vérité du bouddhisme dit que la première étape est de comprendre pleinement la souffrance, avant de pouvoir y mettre fin. Vipassana veut dire regarder au travers, et le préfixe « vi » correspond à diviser. On part d’une expérience grossière et agrégée de la réalité, du monde en nous et autour de nous, pour la décomposer en éléments distincts. Si j’ai mal au genou, plutôt que de m’identifier à cette douleur ou de me focaliser sur l’envie de m’en débarrasser, je vais essayer de découvrir toutes ses composantes. Je réalise par exemple que la sensation physique, son aspect douloureux et le désir que ça se termine sont trois éléments distincts. Cela devient alors bien plus intéressant et moins désagréable que « j’ai super mal au genou ».
À quoi cela nous mène ?
À comprendre le processus de l’ego et ultimement, à s’en libérer. En découvrant comment notre esprit construit notre réalité de mal au genou, on voit comment il est toujours agité par des ressentis, des désirs… Cela nous aide aussi à moins nous identifier à nos émotions. Mais attention, en disant cela, le risque est que les personnes cherchent à reproduire la même chose. Or, dès que l’on a un projet, cela biaise l’expérience. Il faut juste cultiver cette attention acérée et lui faire confiance pour qu’elle nous montre ce qu’il y a à voir.
La méditation est-elle la réponse à toutes nos souffrances psychologiques ?
Non, la méditation ne peut pas tout résoudre. Ou alors c’est un processus long et compliqué. Des maîtres très avancés disent qu’on peut guérir certains maux physiques par la pratique méditative. C’est sans doute possible, mais si vous avez mal au dos, ce sera plus rapide d’aller chez un ostéopathe par exemple. Pour les problèmes psychologiques, c’est la même chose. La méditation peut nous aider à réaliser que les souffrances sont liées à notre ego et qu’il n’y a pas d’ego, mais cela risque de provoquer des effets secondaires. Pratiquer vipassana dans un état de tristesse, voire de dépression, peut nous enfoncer davantage dans cet état. Par ailleurs, on connaît tous des gens qui méditent depuis longtemps et sont encore aux prises avec des problématiques psychologiques.
« Comme le disait K.G. Dürckheim : « La thérapie sert à guérir le soi et la méditation à guérir du soi « , ce qui est plus facile si notre soi est à peu près en bon état. »
L’enseignement du Bouddha est très pragmatique. Il ne condamnait jamais les religions des gens à qui il s’adressait. Il disait d’examiner les traditions et de voir ce qui menait à la fin de la souffrance, ou à davantage de souffrance. Je pense que c’est toujours d’actualité. Si dans notre méditation, nous n’arrivons pas à aborder certaines émotions parce qu’elles sont trop fortes, il peut être utile d’aller chercher de l’aide ailleurs. Et là, il peut y avoir une synergie entre les deux. La méditation, cet entraînement à l’observation de soi, va grandement faciliter la thérapie ; et la thérapie peut nous aider à nous libérer d’émotions fortes qui, parfois, étaient un obstacle pour notre méditation. On peut les voir comme deux moitiés du chemin, ou comme disait K.G. Dürckheim : « La thérapie sert à guérir le soi et la méditation à guérir du soi », ce qui est plus facile si notre soi est à peu près en bon état.