Il arrive, certains jours d’hiver, que nous nous sentions épuisés, sans avoir fait, pourtant, d’efforts considérables ; mélancoliques sans savoir pourquoi ; incapables de distinguer entre ce qui est important ou urgent et ce qui l’est moins ; désorientés, dépassés par le tourbillon, prêts à appeler notre médecin et, pourquoi pas, le SAMU. Que ferait un enfant à notre place ? Il se précipiterait dans les bras de sa mère en pleurant à chaudes larmes. Que ferait sa mère ? Elle l’accueillerait contre son sein, lui dirait des mots doux. Mais le temps a passé, la maman a disparu, alors que faire ?
Le vrai refuge à nos peurs se trouve en nous-mêmes
Asseyons-nous un instant, un seul instant et souvenons-nous de ce jour où, désireux de nous engager dans le bouddhisme, nous avons pris refuge. Peut- être avons-nous retenu quelques larmes, avant de nous abandonner à la joie de savoir intimement que, désormais, nous ne serions plus jamais seuls, puisque par cet acte, nous rejoignions un sangha, une communauté de pensée et de cœur. Concentrons tout ce qui nous reste d’énergie sur l’image d’un maître bienveillant, notre maître, qui nous a, ce jour-là, désigné un protecteur, que nous pouvons visualiser, du Bouddha lui-même, souriant, lumineux !
Avec le temps, nous avons appris que ce Bouddha, cet enseignant bienveillant, n’était autre que nous-mêmes, bref que la solution n’était pas hors de nous, inatteignable, mais aussi présente et proche que notre souffle. Et d’ailleurs, parlons-en de notre souffle ! Expirer, inspirer, n’être plus que ce soufflet conscient de lui-même, capable de suivre son rythme, de faire circuler l’air de nos poumons aux limites de notre corps, et en particulier là ou ça fait mal. On vous a peut-être parlé de la méditation, peut-être l’avez-vous pratiquée par temps calme, mais c’est maintenant, quand ça tangue et que ça roule qu’elle prend tout son sens ! Elle est la médication, elle fait le ménage dans l’inutile, elle jette au loin la colère et la peine ! Simplement en respirant ? Pour commencer, oui ! Elle est à la fois notre refuge et notre GPS sur le chemin du refuge. Impossible de le rater ! Quand ça commencera à aller mieux, nous sourirons de la banalité de cette constatation, pourquoi aurions-nous besoin d’un refuge si tout allait toujours bien ? Parce que l’on n’échappe pas comme ça à la souffrance, la nôtre et celle des autres ! C’est donc à cette première vérité, cette première évidence, à laquelle nous avons répondue – ou peut-être pas encore, mais il est toujours temps – lorsque sans forcément savoir pourquoi, comme cet enfant que nous évoquions, nous avons pris refuge.
Ce qui nous pousse à prendre refuge
Quand j’ai pris refuge, j’étais dans une période de grande confusion, allant jusqu’à une certaine souffrance physique. À l’occasion d’un reportage que l’on m’avait demandé sur un centre qui était en train de se créer en Bourgogne, j’ai eu la chance de rencontrer Kalou Rinpoché. Impressionnant ! Mais de là à prendre refuge… Je pensais qu’il fallait peut-être, éventuellement, m’y préparer. Et puis, au cours d’une session à laquelle je participais, Ben, un des apprentis disciples plein d’humour, me poussa du coude au passage d’un moine annonçant que Kalou Rinpoché donnerait refuge collectivement à ceux qui le souhaitait en me disant : « Tu devrais y aller, ça ne fait pas mal et ça ne coûte rien ». Devant une telle évidence, j’y suis allé. C’était, il y a quarante ans !
Depuis, j’ai réitéré cette prise de refuge, reçu plusieurs initiations, pris des vœux… Mais, au départ, c’était bien l’idée d’un voyage intérieur qui m’a motivé.
Dans certaines traditions du bouddhisme, la « prise de refuge » peut apparaître comme un geste religieux, culturel, ritualisé, mais, tout en s’en tenant aux sources de la tradition, il s’agit moins pour nous, Occidentaux, d’une « conversion » que d’une prise de conscience.
Quelque chose ne va pas dans nos vies, dans nos croyances, quelque chose nous manque et pourtant, nous ressentons parfois une impression de trop-plein ! Nous en venons à penser qu’il faut prendre le large, quitter une habitude, laisser là un comportement, des certitudes acquises. Cet examen de conscience qui nous remet en cause commence par notre besoin de répondre l’injonction socratique « Connais-toi toi-même ». Mais il faut lui ajouter : « Et quitte-toi ! » Il faut donc partir, se lancer et, parfois, le chemin peut sembler incertain.
Avec le temps, nous avons appris que ce Bouddha, cet enseignant bienveillant, n’était autre que nous-mêmes, bref que la solution n’était pas hors de nous, inatteignable, mais aussi présente et proche que notre souffle.
Le refuge ne promet rien ! Il est la pure affirmation de notre souhait de ne pas continuer à souffrir, de ne pas continuer à accepter la souffrance des autres. Et d’agir pour y parvenir. C’est une sacrée prise de risque, nous sortons sans cesse de notre zone de confort, mais heureusement, nous ne sommes pas seuls. Dans la plupart des écoles du bouddhisme, on nous invite à voir le Bouddha dans la personne du maître qui transmet l’enseignement. Ainsi, progressivement, dans tous ceux qui nous entourent. Et finalement en nous-mêmes.
Oui, il faut de la confiance ! Mais ne confondons pas tout : nous sommes à mille lieues de l’esprit de soumission. Il s’agit avant tout d’une discipline spirituelle que l’on se donne à soi-même, qui passe par sa propre réflexion, d’une évaluation attentive de ses forces, des étapes franchies et du chemin qui reste à faire. Je me souviens de cette recommandation du Dalaï-Lama : « Soyez exigeants avec vos maîtres, car à travers leurs enseignements, il s’agit d’apprendre à allumer votre propre lampe ».
Prendre refuge, ce n’est donc pas se renier ou se conformer, c’est simplement se sentir présent, attentif, agissant. Le Bouddha, les enseignements, les amis spirituels sont là pour vous accompagner. C’est ainsi que la formule sanscrite ou tibétaine que vous invoquerez doit être lue et récitée : « Je prends refuge dans le Bouddha, je prends refuge dans le Dharma, je prends refuge dans le Sangha ».
À suivre.