Vénérable, quand êtes-vous arrivé en France et pour quelle raison ?
Je suis arrivé en France en 1981, comme étudiant en archéologie, avec un visa d’un an. J’avais 27 ans. J’avais travaillé au Sri Lanka avec le docteur Roland Silva, fondateur du Triangle Culturel et c’est grâce à son aide que j’ai pu entamer le voyage. Roland Silva connaissait très bien le professeur Jean Boisselier, auquel il m’a recommandé. À notre première rencontre, Jean Boisselier m’a salué à la manière bouddhique, m’a invité chez lui et m’a ensuite donné tout ce dont je pouvais avoir besoin pour mes études.
Le début a été un peu difficile, car je suivais des cours d’archéologie, mais je ne maîtrisais pas suffisamment le français. Je suis donc passé à Paris VIII pour étudier le français et l’histoire des religions, et j’y ai fait ma maîtrise sur « Les principes d’Ashoka et la philosophie contemporaine ». Matériellement, les communautés cambodgienne et vietnamienne m’ont apporté un soutien inestimable pour mon installation et mes études en m’offrant des solutions d’hébergement ; elles m’ont aussi facilité les démarches administratives.
À l’époque, j’ai aussi bénéficié de l’aide de l’ambassadeur du Sri Lanka à l’UNESCO. Tout cela étant entrecoupé d’un séjour en Angleterre, où j’ai dû passer quelque temps avant de pouvoir renouveler mon visa.
Aviez-vous déjà l’idée de créer un centre bouddhique ou, du moins, d’enseigner le bouddhisme ?
J’étais venu en premier lieu pour étudier l’archéologie, mais à l’époque, la communauté sri lankaise voulait un monastère pour pratiquer. En 1984, l’Association Bouddhique Dhammachakka avait été fondée à Ermont pour créer le premier temple sri lankais du pays. J’y suis resté deux ans au service de la communauté locale. Parallèlement, j’étais passé à la Sorbonne pour faire mon doctorat avec le professeur Michel Hulin, sur le « Débat idéologique entre chrétiens et bouddhistes au Sri Lanka au XXe siècle ». J’ai effectué un voyage aux États-Unis pour y consulter une partie de la documentation nécessaire. J’ai passé mon DEA et ne suis finalement pas allé plus loin, mais j’ai rencontré quantité de gens et notamment beaucoup de Français intéressés par le bouddhisme.
J’ai alors quitté Ermont, dont la communauté souhaitait rester centrée de manière très exclusive sur la tradition Theravada du Sri Lanka. De mon côté, je voyais la nécessité d’une ouverture.
En 1986, l’Association Bouddhiste Internationale a été fondée. La vice-présidente, aujourd’hui centenaire, nous a énormément aidés. Je la considère comme ma grand-mère française. Un autre Français, dévot bouddhiste, m’a alors permis de m’installer dans un appartement dont il disposait, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, pour y poursuivre des activités religieuses. En 1987, nous avons commencé à publier ce qui est maintenant notre revue, Sambodhi, sous la forme d’une modeste brochure.
Pouvez-vous nous rappeler les tout débuts du Centre Bouddhique International du Bourget ?
Un petit pavillon de banlieue typique a été acheté en 1988, rue Firmin Bourgeois au Bourget. Il y avait un terrain à l’arrière, sur lequel a ensuite été construit un bâtiment en bois pour transformer l’ensemble en temple susceptible d’accueillir moines et fidèles laïques. Les communautés sri lankaise et laotienne ont joué un rôle essentiel, notamment six familles sri lankaises qui se sont portées caution solidaire pour obtenir l’octroi d’un prêt destiné à l’achat du pavillon et du terrain. La maison a d’abord abrité le Vénérable Tawalama Dhammika et moi-même à partir de janvier 1989. Le Centre Bouddhique International a été inauguré officiellement le 17 septembre 1989 avec la bénédiction du Vénérable Balangoda Ananda Maithri Mahanayaka, en présence de l’ambassadeur du Sri Lanka de l’époque. Puis nous nous sommes agrandis peu à peu pour parvenir à l’état actuel, les petits pavillons d’origine et un très beau bâtiment durable construit grâce à l’aide des fidèles, sur deux niveaux à l’arrière, dans un jardin.
Vous étiez seul à l’époque ?
Oui. Le Vénérable Tawalama Dhammika (qui dirige actuellement le Centre Bouddhique International de Genève) était avec moi à partir de janvier 1989 et le premier moine invité par le Centre a été le Vénérable Indaratana, maître du Vénérable Dhammika. Il avait apporté un arbre de la Bodhi, établissant ainsi une tradition essentielle de notre centre : le don annuel d’un arbre de la Bodhi à des communautés bouddhistes de toute la France. Nous avons ensuite invité d’autres moines, venus du Sri Lanka et d’autres pays d’Asie, mais aussi des moines français.
« J’explique la pratique de metta, la bonté bienveillante, mes auditeurs sont généralement intéressés, mais tout change quand il s’agit de mettre en pratique, car ils veulent toujours un résultat tout de suite. L’enseignement du Bouddha est un mode de vie ; il faut être patient pour le comprendre et le vivre. »
Nous avons rapidement fait et continuons à faire un énorme travail d’enseignement, de soutien des communautés et de diffusion par le biais de traduction, de publications – plus d’une trentaine d’ouvrages et la revue Sambodhi qui s’est étoffée de hors-séries. Outre les cérémonies que nous organisons au Centre, nous participons également à de nombreuses célébrations unissant les communautés des différentes écoles bouddhistes.
La communauté des laïcs est aujourd’hui très diverse, avec des personnes venant du Sri Lanka, de Thaïlande, du Laos, du Cambodge, de France, etc. En a-t-il toujours été ainsi ou la diversification s’est faite avec le temps ?
Dans les premiers temps, nous n’avions que des Français et un Vietnamien ! J’ai toujours souhaité ouvrir un centre très ouvert et non replié sur lui-même, avec une tradition exclusivement.
Quelle a été la réaction des riverains et des autorités locales lors de votre installation ?
Quand je suis arrivé au Bourget, il y avait quatre appartements dans l’immeuble en face, avec quatre familles françaises. Personne n’avait jamais vu un moine bouddhiste. Ils n’étaient pas hostiles, mais inquiets, réservés. Puis ils se sont rapprochés de nous au point de devenir le moteur des achats immobiliers ! Ils ont assisté à l’inauguration du Centre et participé aux célébrations. La communauté a également été aux côtés de ces familles, devenue amies, dans les bons et les mauvais moments de la vie. Le maire en poste lors de notre installation, André Cadot, était très gentil et nous a beaucoup soutenus. Il habitait dans la même rue !
Un souvenir de moments privilégiés dans l’histoire du temple et de la communauté ?
La visite du Vénérable Ananda Maitreya en 1989. Ses enseignements ont été enregistrés et aujourd’hui encore, nous les réécoutons et en tirons toujours quelque chose. L’arrivé du maire pour sa première visite au centre en 1993. Et, bien sûr, la fête annuelle de la nonne Sanghamitta, au cours de laquelle nous offrons un arbre de la Bodhi à une communauté. Cette tradition est devenue tellement populaire qu’il y a maintenant une liste d’attente !
Comment voyez-vous l’avenir du Centre ?
Je ne suis attaché à rien, je voulais partir, mais il faut quelqu’un pour continuer. J’aimerais que ce soit un Français, qui ait la connaissance suffisante du bouddhisme et pourrait prendre la succession. Mais les Français qui deviennent moines veulent généralement partir et s’installer en Asie. Le problème est aussi l’impatience des Occidentaux, qui veulent avoir des résultats immédiatement. Mais j’ai confiance, cela viendra…
Pour élargir notre propos, comment voyez-vous l’aide que le bouddhisme peut apporter aux hommes et femmes du XXIe siècle, dans les sociétés occidentales confrontées à tous les problèmes actuels ?
Tous les problèmes rencontrés aujourd’hui ont pour cause notre attachement. La plupart des gens que je rencontre prennent peur si on leur parle de la mort. J’explique toujours que la mort n’est pas la fin, mais se situe dans une continuité. C’est un grand problème dans la société française. J’explique la pratique de metta, la bonté bienveillante, mes auditeurs sont généralement intéressés, mais tout change quand il s’agit de mettre en pratique, car ils veulent toujours un résultat tout de suite. L’enseignement du Bouddha est un mode de vie ; il faut être patient pour le comprendre et le vivre.
Quels conseils pouvez-vous donner aussi bien à des bouddhistes qu’à des non-bouddhistes pour vivre sereinement au quotidien, particulièrement dans la crise actuelle ?
Il y a quatre choses importantes dans l’enseignement du Bouddha et qui peuvent contribuer à aider l’humanité à parvenir à la paix. Ce sont les Quatre États Sublimes : « metta », la bonté bienveillante – « karuna », la compassion – « mudita », la joie sympathique et « upekkha », l’équanimité. Ce n’est pas facile à pratiquer, mais il est satisfaisant de voir se développer metta sous la forme, par exemple, des associations pour le bien-être des animaux. L’homme doit réaliser qu’il n’est pas le seul être vivant sensible dans le monde. Tous les problèmes sont causés par le désir ; il faut l’éliminer le désir, c’est le plus difficile.
Je voudrais également dire merci au peuple français qui m’a beaucoup aidé et m’a beaucoup donné. La France, où je suis arrivé à l’âge de 27 ans, est mon deuxième pays natal.