Tibet : l’implacable déni des droits de l’homme

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Dimanche 17 novembre, je rencontre une délégation du Parlement tibétain en exil dans un petit hôtel à deux pas de la Sorbonne. Les Vénérables Gowo Lobsang Phende et Kunga Sotop, de Tsering Lhamo et Lobsang Dakpa ont fait escale à Paris (avant la Belgique et les Pays-Bas) pour sensibiliser l’opinion internationale à la cause tibétaine. Soixante-dix après le début de l’occupation chinoise, le sort des Tibétains ne cesse de se dégrader face à la politique répressive de Pékin. Premier volet de l’entretien consacré à ces hommes et femmes colonisés par le géant chinois.

Qu’attendez-vous concrètement de la part des politiques et citoyens européens ?

Lobsang Dakpa : Le but de cette campagne est d’informer l’opinion publique sur les dangers qui ne cessent de s’amplifier au Tibet. Nous rencontrons des associations qui nous soutiennent dans cette lutte et des parlementaires français et européens à Paris et à Bruxelles.

En Europe, beaucoup de personnalités, dont la philosophe Élisabeth Badinter, ont récemment condamné « un génocide culturel, linguistique et religieux ». Que pensez-vous de ce terme ?

Lobsang Dakpa : Un génocide peut prendre des formes indirectes, détournées, en visant en effet les domaines culturel, linguistique et religieux, comme c’est le cas actuellement au Tibet. Donc, si on se réfère à la définition du terme génocide, qui consiste en la destruction méthodique d’une population, alors, oui, ce terme est correct.

Quelles sont les principales mesures de répression que subissent actuellement les Tibétains ?

Vénérable Gowo Lobsang Phende : Elles sont nombreuses et touchent divers domaines, comme nous le disions juste avant, mais l’une des violences les plus insidieuses qui frappent le plus les Tibétains est l’absence de liberté de religion. Cette répression envers leur foi et leur croyance s’apparente à une forme de déshumanisation, puisqu’on leur confisque une part importante de leur identité, de leur essence, de leurs racines.

Tsering Lhamo : Oui, nous ne sommes plus libres de pratiquer comme nous le souhaitons. Auparavant, les Tibétains pouvaient par exemple être moines à n’importe quel âge ; aujourd’hui, le gouvernement chinois a imposé l’âge plancher de 18 ans pour le devenir. Dans le même ordre d’idées, les destructions d’écoles de formation des moines et de monastères se multiplient ; il est devenu extrêmement compliqué, voire dangereux, de suivre la voie bouddhiste.

Qu’en est-il aujourd’hui de la stérilisation forcée des femmes ?

Mme Tsering Lhamo : Dans les années 80 et début 90, les autorités chinoises emmenaient des femmes dans les hôpitaux pour les stériliser de force ; cette pratique abominable était très répandue. Depuis que la Chine a revu sa politique de l’enfant unique en permettant aux couples d’avoir deux enfants, les stérilisations sont moins courantes, mais elles existent toujours. La stratégie de Pékin a changé, aujourd’hui, le gouvernement chinois encourage financièrement les parents à n’avoir qu’un seul enfant.

« À l’image des 153 moines qui se sont immolés depuis 2009 pour dénoncer pacifiquement la répression chinoise, le peuple tibétain doit continuer sur la voie de la non-violence. » Vénérable Gowo Lobsang Phende

Cela fait environ neuf ans qu’il n’y a plus de rencontres officielles ni officieuses entre les autorités chinoises et tibétaines en exil. Où en est le dialogue avec le gouvernement chinois ? Pékin pratique-t-il la stratégie du pourrissement ?

Vénérable Gowo Lobsang Phende : La position de l’Administration Centrale Tibétaine (ACT) est des plus simples : nous sommes prêts à dialoguer avec la Chine, quelles que soient les conditions d’une éventuelle rencontre. Nous ne cessons de le répéter depuis des années. La balle est donc le camp du gouvernement chinois. En attendant, les autorités chinoises pratiquent en effet une sorte de stratégie du pourrissement en se servant de leur leadership économique pour empêcher ses interlocuteurs de s’intéresser à la question tibétaine et tenter de nous marginaliser. Nous avons l’impression que la communauté internationale, soucieuse de garder de bonnes relations économiques avec la Chine, semble nous avoir quelque peu oubliés. Mais les choses évoluent doucement. Si on regarde cette situation, pays par pays, on s’aperçoit que certaines partenaires économiques de la Chine commencent à faire machine arrière, car ils s’aperçoivent que d’autres enjeux qu’économiques motivent ces investissements.

La Voie du Milieu, cette stratégie élaborée par le Dalaï-Lama en 1987, qui prône la non-violence et revendique l’autonomie plutôt que l’indépendance, semble avoir capoté. Aujourd’hui, certaines voix, notamment chez les jeunes, militent pour que le parlement tibétain en exil soit plus radical, quitte à prendre ses distances avec la politique de non-violence. Que leur répondez-vous ?

Vénérable Gowo Lobsang Phende : La non-violence n’est pas qu’une stratégie de négociation, c’est un mode de vie, l’un des grands préceptes du bouddhisme. Le Dalaï-Lama a toujours prôné la non-violence envers le peuple chinois et a été récompensé par un prix Nobel en 1989, en partie pour ce message. Notre position n’a pas changé sur ce sujet, même si nous observons, en effet, que certains jeunes, face aux exactions qu’ils subissent au quotidien, veulent emprunter d’autres chemins. On ne résoudra pas ce conflit par la haine. À l’image des 153 moines qui se sont immolés depuis 2009 pour dénoncer pacifiquement la répression chinoise, le peuple tibétain doit continuer sur la voie de la non-violence.

Existe-t-il des motifs d’espoir pour le Tibet ?

Vénérable Gowo Lobsang Phende : Oui, nous gardons espoir, car nous nous sentons soutenus par certains dirigeants politiques, mais surtout par les peuples, partout dans le monde. Nous observons des mouvements en œuvre, comme le renouveau de l’expression artistique, la volonté de relancer l’usage de la langue tibétaine, la mobilisation de la communauté tibétaine en exil, sa résilience… Nous sommes persuadés qu’un jour, le Tibet redeviendra libre.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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