Réécrire les préceptes pour notre temps

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Ou comment suivre son propre chemin loin des tables de la Voie.

Alors que le moine zen Ryushin servait comme intendant le maître zen américain John Daido Loori et qu’ils étaient sortis avant l’aube pour une promenade matinale, ils observèrent un phénomène céleste inhabituel : une lumière surgit de nulle part et avec un énorme soupir se dilata en prenant la forme d’une sphère multicolore avant de se contracter, disparaître et réapparaître à nouveau. Émerveillés devant un tel spectacle, ils le buvaient des yeux en silence sans pouvoir en saisir la cause quand soudain, Ryushin s’exclama : « J’ai compris ! C’est un ballon à air chaud, et sa flamme vient de son mécanisme de chauffe ». Daido Loori lui dit alors : « En disant ça, tu viens de tout mettre en l’air ! » (You killed it, tu viens de le tuer)

Détruire ses illusions en agissant sur ses comportements : le rôle des préceptes

Les préceptes ont pour fonction d’aider le disciple sur la voie à devenir libre de certaines de ses tendances. Les préceptes sont transmis lors de l’une des plus belles cérémonies qui soient dans le bouddhisme : la prise de refuge. Au cours de ce passage symbolique, on découvre et on s’abandonne en confiance à la réalité des trois trésors : le Bouddha en tant qu’enseignant ; le Dharma l’enseignement, la loi ; et le Sangha, la vaste communauté de celles et ceux qui pratiquent et plus largement de la totalité des êtres sensibles. Or ces préceptes, si on les traduit depuis les langues orientales où ils furent formulés, codifiés et transmis, sonnent étrangement comme les lois données par Yahvé au peuple élu et gravées sur les tables de pierre. Autrement dit, une suite de prescriptions abruptes et d’interdits sévères : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre d’inconduite sexuelle, ne pas s’enivrer, ne pas tenir de propos mensongers ni de propos futiles ou qui sèment la discorde, ne pas convoiter, ne pas se mettre en colère, ne pas avoir de vues erronées… Ce corps d’injonctions ne correspond plus vraiment à la compréhension que beaucoup d’entre nous manifestent et vivent à notre époque. Non pas qu’il s’agisse de tout permettre et autoriser, loin de là, mais ces prescriptions ne sont plus à même d’encourager et d’émuler sagesse et compassion. Notre manière d’être parent nous enseigne, par exemple, qu’il vaut mieux détourner l’attention de l’enfant, l’inviter à investir son énergie dans une action positive et dynamique plutôt que de le museler et le contraindre. Si le non péremptoire et autoritaire peut encore trouver sa place, on peut cependant parfois préférer un oui et adopter une attitude positive et aimante, pour accompagner l’autre.

Les préceptes aujourd’hui

Il y a quelques années, une poignée de prêtres zen que j’avais réunis ont réécrit la liste des préceptes afin de leur donner une belle et encourageante direction. Ne pas tuer est devenu « Je forme le vœu de toujours protéger et nourrir la vie » par exemple.

Les préceptes ont pour fonction d’aider le disciple sur la voie à devenir libre de certaines de ses tendances. Ils sont transmis lors de l’une des plus belles cérémonies qui soient dans le bouddhisme : la prise de refuge.

Les préceptes ont une signification exotérique et ésotérique. La signification exotérique est la plus communément acceptée : dans cet exemple, il s’agit de ne pas ôter la vie. La portée ésotérique est infiniment plus subtile et signifie ne pas tuer l’aspiration à la nature de Bouddha en soi ou en l’autre, ne pas tuer les choses en croyant les connaître. Ne pas tuer, c’est aussi ne pas séparer l’unité fondamentale entre moi et les autres en tranchant dans celle-ci et en adoptant une vision duelle. Ne pas tuer un autre être humain ou soi-même est une évidence, mais dans sa compréhension intime et réelle, cette invitation est très vaste. Le simple précepte ne pas tuer réduit à sa plus élémentaire expression une folle et merveilleuse ambition : le juste désir du bodhisattva qui se tourne vers la vie et non vers la mort, et qui choisit pour cela de célébrer la vie et non de craindre ou repousser la mort. Ne pas tuer, c’est aussi ne pas tuer le silence, le rire et l’émerveillement, la vraie joie et la fête, ne pas tuer la beauté et la vérité des choses et des êtres…

Ainsi, nous nous mîmes au travail en réécrivant les dix préceptes fondamentaux, et c’est sous cette forme que nous les transmettons désormais lors de la cérémonie. Les voici, imparfaits :

Je forme le vœu de protéger et de nourrir la vie.

Je fais le vœu de vivre avec un cœur ouvert et avec générosité.

Je fais le vœu de vivre ma sexualité et les désirs avec amour et harmonieusement.

Je fais le vœu de parler en vérité, dans le service et la bienveillance.

Je fais le vœu d’être libre de toute espèce d’addiction.

Je fais le vœu de voir la beauté en l’autre.

Je fais le vœu d’honorer ma beauté sans m’en enorgueillir.

Je fais le vœu de partager le Bouddha-Dharma et toutes choses précieuses sans compter.

Je fais le vœu de sincèrement pacifier mon cœur.

Je fais le vœu d’incarner dans cette vie les actions de l’Éveil, de la sagesse et de la compassion.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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