Sur les traces du Bouddha à Nola

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« Laissez les bons temps rouler ». La devise de la Louisiane aurait-elle quelque chose de bouddhiste ? La philosophie du Bouddha a-t-elle pénétré les bayous ? Notre voyage au cœur de la musique créole nous le dira.

Printemps 2018. Ça y est, nous avons pris nos billets d’avion pour La Nouvelle-Orléans. Pour les musiciens que nous sommes, cette ville est un eldorado, un carrefour du monde musical. Notre objectif : rencontrer l’une des légendes de la musique cajun et folk locale, Michael Doucet (cf. encadré 1). Un célèbre musicien, chanteur et poète, fondateur du groupe BeauSoleil, un des monuments de la musique francophone américaine. Par l’entremise d’une amie chanteuse louisianaise, Sarah Quintana, la rencontre a lieu rapidement. Pour ce rendez-vous, il nous faut quitter la ville aussitôt arrivés. Michael est retourné à ses racines, à Lafayette, au cœur du pays Cajun, à deux heures de route à travers les marais et leur lot d’alligators, visibles du bord de la route.

« Tabasco Buddha » a été la propriété d’un des fondateurs de la célèbre sauce piquante typique de la région.

Quel rapport avec le bouddhisme, nous direz-vous ? Au départ, aucun ! Mais nous aurions dû nous méfier, car un premier indice allait nous mettre sur la voie du Bouddha : Sarah est une adepte assidue du yoga, de la méditation et sympathisante bouddhiste. Elle joue régulièrement avec Michael et nous a dit, en guise de préambule, que « Michael est lui bouddhiste ». Nous avions envie de lui rétorquer « comme tout le monde dans le milieu culturel aux États-Unis », tant les artistes que nous connaissions, en Californie et à New York, ont l’habitude de mettre Bouddha à toutes les notes, de Wayne Shorter à Tina Turner, pour les plus connus.

Bouddha nous tombe dessus !

Nous rencontrons Michael à Vermilionville, merveilleux centre culturel cajun à Lafayette qui reconstitue à l’identique la vie traditionnelle des Cajuns. Ici, de nombreux bénévoles et une équipe dirigée par le très accueillant David Cheramie donne vie à un véritable centre d’histoire vivant, où les savoir-faire et les modes de vie ancestraux sont préservés et pratiqués sans jamais tomber dans le nostalgique ni le parc d’attraction folkloriste. À peine attablés, Michael nous parle de la venue du Dalaï-Lama en 2013 (cf. encadré 2), des méditations bouddhistes hebdomadaires qu’il a tenues quelques années à NOLA (diminutif de la ville de La Nouvelle-Orléans) et de la difficulté d’y implanter durablement une communauté bouddhiste, contrairement à ce qu’il avait vécu en Californie. En cause, une certaine inertie propre au milieu musical et culturel louisianais qu’il côtoie, pour une pratique sans doute jugée trop « exotique ». Michael, lui, est un « vrai » pratiquant. C’est troublant : nous étions venus chercher la tradition « violoneuse », comme on dit en pays Cajun, et Bouddha nous tombe dessus !

Sans le vouloir, avec le hasard et la curiosité pour seuls guides, nous voilà donc face à la « figure centrale » du bouddhisme louisianais. « Quand Bouddha veut se faire discret, il passe par la petite porte du hasard », pour paraphraser l’adage.

Les discussions avec Michael laissent entrevoir la danse subtile entre les valeurs, les pratiques bouddhistes et les traditions profondes de la Louisiane. Pendant nos promenades, le hasard continue à se jouer de nous en nous mettant face à une superbe statue de Bouddha de plus 900 ans, au cœur du Jungle Gardens, à Lafayette. Ici, les gens l’appellent « Tabasco Buddha » car elle a été la propriété d’un des fondateurs de la célèbre sauce piquante typique de la région. Étonnante apparition dans une ville qui compte, selon les statistiques, 53 bouddhistes sur 127 000 habitants !

L’impermanence sauce vaudou

De fait, il est plus facile de faire de la musique ici que de pratiquer une religion ou une philosophie qui vient d’ailleurs. Avec Michael, rapidement, nous passons du dialogue à la musique : on joue Sidney Bechet, Canray Fontenot, la famille Savoy, bref une musique qu’il qualifie volontiers de « créole ». Tiens, « créole » ? Après tout, le bouddhisme, n’est-il pas créole, comme certains le lui reprochent actuellement ? Tout n’est-il pas créole ici ? Historiquement, est créole tout ce qui n’était pas Anglo-saxon en Louisiane. Plus largement, la créolisation chère au philosophe Édouard Glissant définit tous les métissages naturels de notre époque. Je retourne à La Nouvelle-Orléans pour mener l’enquête. Il y a une présence certaine de temples bouddhistes (cf. encadré 3), dont certains flamboyants. Pourtant, selon les statistiques, les bouddhistes ne courent pas les rues de la ville, les bouddhistes représentant seulement 0,72% des habitants, contre 2% en Californie et 8 % à Hawaii. Les temples servent surtout aux communautés asiatiques, installées dans une ville qui a toujours été accueillante aux émigrés du monde entier. Et si New Orleans était finalement une ville bouddhiste par essence, qui pratiquerait le bouddhisme sans le savoir ? Après tout, à travers le célèbre slogan de la Louisiane « Laissez les bons temps rouler », la ville n’incarne-t-elle pas l’un des préceptes clefs du bouddhisme : l’impermanence ? Ici, la vie se joue du destin, des morts, la disparition est partie prenante des diverses célébrations de la ville. Il suffit d’avoir assisté à un « jazz funeral » ou un Mardi Gras cajun pour le comprendre. La vie et la mort s’improvisent chaque soir dans les clubs de jazz de Frenchmen Street, au cœur de la « Crescent City ».

À NOLA, toutes les religions sont les bienvenues, syncrétiques et créolisées, à l’image de la religion catholique imprégnée de métissage africain, cajun, asiatique et amérindien… En un mot « voodoo », la version louisianaise du vaudou haïtien et africain. La dernière surprise de notre voyage nous confirmera cette intuition en me mettant face à une statue de Bouddha au beau milieu… d’un temple voodoo ! Plutôt qu’une terre d’accueil, Bouddha trouve à la Nouvelle-Orléans une terre de rencontres

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François Leclercq

François Leclercq est le fondateur de Bouddha News, site internet qui a pour but de diffuser des informations et des conseils pratiques sur le bouddhisme et la spiritualité. François Leclercq est né et a grandi à Paris. Il a étudié le bouddhisme à l'Université de Paris-Sorbonne, où il est diplômé en sciences sociales et en psychologie. Après avoir obtenu son diplôme, il s'est consacré à sa passion pour le bouddhisme et a voyagé dans le monde entier pour étudier et découvrir des pratiques différentes. Il a notamment visité le Tibet, le Népal, la Thaïlande, le Japon et la Chine.

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