Le livre, un moyen facile pour découvrir une tradition, ou pas !
Lui : Je me suis toujours intéressé au bouddhisme, j’ai beaucoup lu, des ouvrages positifs et enthousiasmants pour la plupart. Aussi, pour une fois, j’avais envie de dénicher un bouquin qui allait forcément me déranger. Ah ! ce besoin de contradiction !
Elle : Comme tout le monde !
Lui : Oui, c’est ça. Je ne peux pas m’empêcher de trouver louche une philosophie, une religion difficilement critiquable. Il y a là un paradoxe digne de Karl Popper !
Elle : Toi et ton scepticisme ! C’est vrai, le bouddhisme semble convenir à tout le monde, du moins sous les formes qu’il prend chez nous ! Et, je suis la première concernée… Je me souviens des débuts de ma pratique, fière de réussir péniblement, mais assez vite un demi-lotus, et d’affirmer que j’étais bouddhiste. Je n’avais aucun recul.
Lui : Oui, moi non plus. Ne pas lire de critique du bouddhisme m’a sans doute manqué, mais nous n’avons pas notre Ernest Renan (1) du bouddhisme contemporain !
Elle : Détrompe-toi ! Il y a quelqu’un qui pourfend le bouddhisme tel qu’il est enseigné en Occident, et qui en dit « pis que pendre »… Ça fait d’ailleurs beaucoup de bruit dans le milieu…
Lui : Ah ? De qui parles-tu ?
Elle : Le titre, c’est : Qu’ont-ils fait du bouddhisme ?, et le sous-titre enfonce le clou : Une analyse sans concession du bouddhisme à l’Occidentale. L’auteur sonne la charge contre le bouddhisme dit-elle « dévoyé par l’Occident, tel qu’il se pratique en France, en Europe et aux États-Unis ». Elle s’appelle Marion Dapsance, est docteur en anthropologie à l’École Pratique des Hautes Études, et a enseigné l’histoire du bouddhisme à l’université Columbia. Ce pedigree lui donne une certaine crédibilité pour nourrir une pensée critique-érudite-internationale, légitime, sur le sujet. Du moins en apparence, car, en fait, pas forcément !
Lui : Elle dit quoi ta spécialiste ? C’est peut-être le livre qui va me réconcilier avec mon moi rationnel et sceptique.
Elle : Certains aspects du livre me parlent et me questionnent. Elle rappelle par exemple l’arrivée tardive de la méditation dans la pratique originelle du bouddhisme asiatique, et que certains textes très anciens confèrent une dimension magique et surnaturelle à la figure du Bouddha. Ce Bouddha est, pour elle, à l’opposé de l’image du philosophe que l’Occident a retenu, qu’elle considère comme une invention des intellectuels occidentaux qui découvrirent l’Orient et ses religions au XIXe siècle.
Lui : Toi qui aimes enquêter, tu n’en es pas restée là, je suppose !
Elle : Non, je me suis renseignée auprès de spécialistes et historiens du bouddhisme. Ceux que j’ai rencontrés expliquent que la méditation a toujours existé dans le bouddhisme, sous des noms divers selon les pays et les époques ; et que le côté magique du Bouddha était une manière symbolique d’exprimer auprès du plus grand nombre l’incroyable « performance » du Bouddha qui s’est affranchi des causes de la souffrance en quelques années. Quant aux pratiquants occidentaux, certains croient que le bouddhisme est une religion, d’autres une philosophie et n’occultent en rien la réalité de l’existence, bien au contraire. Aussi, il semble évident que sous prétexte de dénoncer ce qu’elle nomme un « bouddhisme dévoyé et « créolisé » » et plus particulièrement le bouddhisme tibétain, il y a autre chose, en filigrane, derrière ses propos.
Lui : C’est-à-dire ?
Elle : Il y a un chapitre sur l’avortement qui me met mal à l’aise, un autre assez délirant sur le bouddhisme chantre d’un Transhumanisme mortifère, et de-ci de-là, des piques contre le multiculturalisme, l’humanisme, la décadence du monde moderne, les théosophes, les francs-maçons et les libres penseurs qui ont découvert, utilisé et détourné le bouddhisme véritable pour le mettre au service de leur guerre laïque contre l’Église !
Être un lecteur averti implique de se demander qui est l’auteur et de quelle place il parle !
Lui : Oui, son propos m’a également intrigué, j’ai regardé son parcours. Elle fait beaucoup de conférences pour l’association Terre et Famille. C’est une association pour la promotion de la vie chrétienne médiévale, clairement anti-avortement, anti-contraception, anti-moderniste…
Elle : Bingo ! C’est à se demander si le bouddhisme est réellement son centre d’intérêt. Cela dit, nul besoin de lire cet ouvrage pour prendre du recul. Il suffit de s’intéresser à l’actu. Quand tu vois ce que les bouddhistes birmans font subir aux Rohingyas, ou les révélations du moine zen Brian Victoria sur le rôle terrifiant du clergé bouddhiste japonais dans les crimes de l’impérialisme nippon, il est évident que notre sens critique doit rester en éveil. Être bouddhiste peut aussi faire preuve de bon sens !
Lui : La vraie question est sans doute : que signifie être bouddhiste ? Ai-je besoin finalement d’être estampillé « bouddhiste » ?
Elle : Tu as raison ! Je ne suis pas attirée par le bouddhisme pour vivre une quête éperdue de sérénité et de bonheur. C’est autre chose. Mon bouddhisme « créole », qui est une abjection pour cette auteure, témoigne de mon identité spirituelle : moderne, métisse, ambivalente… Et me correspond.
Lui : Oui, nous sommes des bouddhistes créolisés et fiers de l’être ! Finalement, j’en arrive à me demander si ma pratique quotidienne de quinze minutes de Pleine conscience en écoutant les méditations guidées sur des applis me rapproche de l’Éveil, m’éloigne du burn-out, ou fait de moi une victime plus ou moins consciente du marketing spirituel moderne…