Se nourrir et nourrir le monde, le journal du Tenzo : nourrir la pratique

- par Henry Oudin

Publié le

Comment cuisiner et s’alimenter au quotidien tout en réalisant la générosité de l’existence ? Le Tenzo Valérie Dai Hatsu Duvauchelle nous invite à réveiller le goût de notre vie par la pratique de la cuisine de la bienveillance.

Quand le Tenzo, cuisinier de la tradition zen, fait son compost, les ancêtres sourient.

Ce matin, mon souffle et de la buée sur les vitres de la cuisine. Dehors, la terre hiberne encore. Je regarde le jardin des oiseaux (1) à peine sorti du brouillard des songes sur lequel flottent encore quelques volutes oniriques. C’est un petit potager fait d’une dizaine de lasagnes (2) avec en son centre un arc dans lequel trône le cerisier du Japon, « le bouddha » du jardin.

Tôt le matin, j’aime aller me frotter le nez au froid. Je prends le seau à compost que je vais verser délicatement sous le paillage. Ce geste me rappelle celui de l’offrande aux morts dans le rituel des oryokis où l’on garde précieusement l’eau de nettoyage, que l’on offre au jardin. Un élixir rempli de nutriments.

C’est par ce rituel que j’ai profondément ressenti qu’elle était la fonction du Tenzo, et réalisé l’importance de sa place dans la communauté : nourrir la vie par la vie, comprendre nos liens en interdépendance.

Le Tenzo dans le zen est un passeur. Sa pratique consiste à faire circuler la vie. Il active la communauté en réveillant les synergies entre tous les éléments qui la constituent. Dans la Chine du Tao, on parlerait de lui comme d’un alchimiste. Tenzo en japonais s’écrit à partir de deux idéogrammes japonais « ten » et « zo » signifiant « ordonner » et « la place », autrement dit le Tenzo a pour fonction d’inviter les pratiquants à s’asseoir à leur place. Mais de quelle place parle-t-on dans cette pratique ?

Devenir Tenzo est une grande responsabilité, c’est offrir aux autres les conditions idéales pour leur faire ressentir l’existence qui les traverse ; c’est leur faire entendre la grande nouvelle de la vie qui les réveille à chaque bouchée et c’est surtout provoquer le désir naturel de devenir soi-même le cuisinier de sa vie en nourrissant le monde.

Devenir Tenzo, c’est provoquer le désir naturel de devenir soi-même le cuisinier de sa vie en nourrissant le monde.

Retrouver sa place d’humain est un chemin de vie, retrouver le sens de la nourriture aussi. Par la pratique de la cuisine en présence, à ne faire que cela, on produit notre propre compost émotionnel ; de toutes nos inquiétudes, nos obsessions, nos ressentiments, on produit le terreau de notre paix intérieure ; à manger des plats simples et variés qui alternent saveurs et couleurs, on rassasie notre cœur et n’ajoutons plus de colère au monde. En partageant nos épluchures avec la terre, on la nourrit. Et surtout, on entre dans la joie d’être profondément humain, cette joie inexprimable de pouvoir respirer, manger et vivre grâce et pour tous les êtres.

Menu oryoki de la semaine : célébration du renouveau

Le nouvel an lunaire célèbre l’éclosion des premières fleurs de l’année et avec elle le renouveau du cycle de la vie. C’est avec l’arrivée des fleurs de pruniers que le Japon vit cette intersaison du printemps dans l’hiver, et ce jusqu’à l’éclosion des fleurs de sakura.

Voici un menu simplifié de la traditionnelle O sechi ryôri (la nourriture de l’offrande) à la couleur blanche et orangée des cérémonies. Dans le zen, la O sechi ryôri est offerte à notre nature éveillée au fait d’être pleinement vivant (bouddha), à la vie telle qu’elle est (dharma) et à la communauté qui lui permet de s’activer (sangha).

1er bol : Riz rond blanc (pour sa blancheur). En présence, rincer le riz dix fois puis le laisser tremper. Dans un volume (du riz sec) d’eau, cuire à couvert jusqu’à ébullition puis baisser à feu doux jusqu’à la cuisson complète. Laisser reposer encore 10 minutes, toujours à couvert.

2e bol : Ozoni. Soupe de tarot et daikon (radis blanc) cuits dans un bouillon de konbu (algue), puis assaisonné de miso blanc. Ajouter quelques zestes de yuzu (citrus japonais), de bergamote ou de clémentine, selon son envie.

3e bol : Salade de kaki et radis blanc au vinaigre. Couper le radis et le kaki en julienne. Assaisonner de vinaigre de cidre et d’un peu de sucre. Saupoudrer d’une pointe de sel.

Et comme à regarder la beauté des fleurs de pruniers, nous contemplons notre nourriture (3) :

1-Nous regardons tous les efforts et l’énergie nécessaires pour que cette nourriture parvienne jusqu’à nous.
2-Nous réfléchissons à la manière dont nous honorons cette nourriture dans la pratique quotidienne de notre vie.
3-Nous voyons combien le don de la nourriture transforme notre esprit et apaise nos cœurs en nous protégeant de l’avidité et de la colère.
4-Nous voyons combien cette offrande nourrit et guérit profondément notre corps.
5-Nous contemplons cette nourriture qui nous permet de nous réveiller à la vie et à la joie de la partager avec tous les êtres

Photo of author

Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

Laisser un commentaire