Et si on commençait à ouvrir les yeux, les oreilles et les narines sur notre petite planète quotidienne ? Ce monde que nous croyons connaître si bien, nous le traversons comme des somnambules absorbés dans des rêves. Car souvent dans le trajet au travail, coincés dans le bus ou le métro, emprisonnés dans l’habitacle du véhicule, nous jouons avec le passé et le futur pour tromper notre ennui. Soit nous imaginons ce que nous avons à faire et anticipons tous les scénarios possibles de la journée, soit nous nous rappelons de bons ou moins bons souvenirs, usant de notre pensée pour échapper à notre vie. Nous ne vivons pas, mais nous nous souvenons ou nous projetons.
Qu’avons-nous pour vivre seulement le présent ? Le présent encore et encore. En réalité, je ne suis que dans un ici et un maintenant que je ne vis pas comme tels. Un présent sur lequel nous reviendrons, qui n’est pas tout à fait ce que nous pouvons imaginer, car il est aussi fuyant que les deux autres dimensions du temps. Ce présent est une latitude et une activité : celle de vivre le maintenant sans attaches ni compulsions excessives.
Comment revenir à maintenant ? Par la porte des sens.
Ainsi, vous venez de vous lever et sous la douche, vous revenez constamment à la sensation de l’eau sur votre peau, au goût du dentifrice dans votre bouche ; le nez dans le petit déjeuner, vous goûtez vos tartines et votre café, vous savourez vos céréales. En sortant de chez vous, vous placez toute votre attention sur le mouvement de la clé dans la serrure. Et, sortant dans la rue, vous sentez le froid ou la chaleur et vous ne jugez pas ces sensations. Vous les vivez. Si vous embrayez sur : « Il fait vraiment froid aujourd’hui », « Quel temps de chien ! », vous êtes déjà ailleurs…
Le quotidien même dans ce qu’il a de prosaïque est source de tout l’émerveillement du monde.
Vivez les choses que vous rencontrez directement, sans passer par le filtre du j’aime ou je n’aime pas, sans les sanctionner ou les évaluer. Vous attendez le métro et regardez le dessin des carreaux sur le mur, remarquez le détail sur l’affiche, soyez sensibles à la beauté de ce visage dans la foule en face de vous, ressentez ces odeurs, ces parfums, ces couleurs. Tenant la rampe de l’escalator, sentez votre main sur le plastique noir, bref prêtez attention à ce monde que vous habitez, car là se trouve la source de l’émerveillement même. Chaque matin est différent, car chaque matin, vous êtes différent et le monde que vous traversez aussi.
Le monde se présente à chaque instant dans une configuration unique qui n’a jamais surgi jusqu’ici et ne réapparaîtra jamais comme telle. Les vagues, la forme des nuages, la situation spatiale des êtres vivants, la position des objets, la situation des planètes, le rayonnement des étoiles, la danse des milliards de galaxies… À chaque instant, cette chorégraphie immense innove, ce ballet universel n’est jamais deux fois le même. Le 7h22 d’hier, même si vous êtes chaque matin dans le métro à cette heure précise, est bien différent de celui d’aujourd’hui. Ainsi, le quotidien même dans ce qu’il a de prosaïque est source de tout l’émerveillement du monde. Vous vous étonnez de ce qui se présente à vous et de toute la richesse et la nouveauté de ce parcours qui s’offre à vous