Bouddhistes ? Toutes les personnes pratiquant le Dharma (les enseignements du Bouddha) ne se reconnaissent pas nécessairement dans cette appellation. La question ne fait pas sens pour Gilles, qui suit les enseignements du moine zen vietnamien Thich Nhat Hanh. « Ce qui m’intéresse c’est de devenir pleinement vivant, maintenant, d’être dans cet état de présence. Il y a des moments de grâce et de souffrance. La clé, c’est de rester présent avec cela, de ne pas le fuir. » D’autres craignent de se laisser enfermer dans une définition. « Je ne sais pas ce que veut dire être bouddhiste ; pour moi c’est une étiquette ; je suis contre les étiquettes », reconnaît Thala, une jeune femme qui suit les enseignements du Vénérable Nyanadharo. Ce moine laotien, qui a fondé en Ardèche le monastère Bodhinyanarama de la tradition des moines de la forêt, questionne Thala : « Qui êtes-vous ? » « Je suis un être vivant, qui a choisi d’avancer sur une voie spirituelle avec discernement ; je ne suis pas dans la croyance ; je suis certaine qu’en chacun de nous, et à l’intérieur de moi, il y a cette sagesse, cette nature qu’on dit d’éveil », répond la jeune femme. « Cette présence », ajoute le Vénérable Nyanadharo.
Les réponses à ses propres problèmes
Pour Elio Guarisco, instructeur de méditation italien et traducteur de textes tibétains, « il n’est pas nécessaire pour qui que ce soit de s’enfermer dans des noms et des définitions, et de ressentir un sentiment d’appartenance à un groupe ou à une religion. Souvent, cela nous sépare des autres, de ceux qui ne sont pas du même groupe ou de la même religion, et peut conduire à l’attitude indésirable du fanatisme et du fondamentalisme. »
Pratiquant Dzogchen (1), Elio Guarisco donne sa vision du bouddhisme : « Tout être humain est confronté à des problèmes extérieurs et intérieurs, et parfois, on peut trouver les moyens d’y faire face dans un enseignement spirituel. Ce que nous apprenons dans le bouddhisme, mais également dans les autres systèmes, est que chaque individu possède déjà en lui-même la potentialité de découvrir toutes les réponses à ses propres problèmes et questions. Cette potentialité est la capacité d’être dans la présence de l’esprit et dans la conscience. Grâce à cela, nous avons la possibilité de découvrir les mécanismes du fonctionnement de notre esprit et, juste par cette découverte, de nous libérer d’une façon malsaine de penser, de se comporter et de parler. C’est seulement ainsi que nous pouvons approcher la condition naturelle qui réside en nous. Si nous agissons ainsi, peu importe que nous nous appelions bouddhistes ou pas, nous sommes en accord avec l’enseignement du Bouddha. »
Pas de concepts, mais des principes fondamentaux
Pour autant, même si le bouddhisme ne se laisse pas limiter par des concepts, cette voie spirituelle reste structurée par certains principes fondamentaux.
Prendre refuge
Qu’elle soit formulée auprès d’un maître extérieur ou pour soi-même, la prise de refuge est incontournable. « Si notre mode d’existence ne nous satisfait pas et que nous nous tournons vers des enseignements, si ceux-ci résonnent profondément en nous et qu’après réflexion, nous réalisons que nous pouvons avoir confiance, alors nous prenons refuge et, ainsi, nous devenons bouddhistes », explique Philippe Cornu. Pour ce spécialiste universitaire du bouddhisme, écrivain, traducteur du tibétain et pratiquant du bouddhisme tibétain, prendre refuge, c’est « avoir confiance dans le Bouddha comme le guide qui va nous dire comment orienter notre vie et comment pratiquer pour que les choses se transforment. C’est avoir confiance dans son enseignement et ses pratiques (le Dharma). Et se rendre compte que les amis qui font cette démarche sont des compagnons sur le chemin, c’est le sangha au sens large. C’est aussi ne plus « prendre refuge » dans l’argent, les puissants de ce monde, le fan-club d’une vedette ou d’un homme politique. Cela n’empêche pas d’être un citoyen, mais un citoyen averti, capable de s’observer pour mieux se comprendre et, ainsi, mieux comprendre autrui, ce qui développe la compassion pour les autres. »
L’adhésion aux quatre sceaux
Ce sont les quatre piliers du bouddhisme, rappelés par tous les enseignants.
- Tout ce qui est composé est impermanent
- Tout ce qui est contaminé par les passions est souffrance
- Tous les phénomènes sont dénués d’existence en soi
- Le nirvana (l’état au-delà de la souffrance) est paix
Comprendre et admettre ces quatre points est le minimum pour véritablement entrer dans le bouddhisme. De nombreux commentaires ont été écrits sur ces quatre sceaux. Mieux vaut s’y rapporter si l’on veut les comprendre plus en profondeur. Conséquence intéressante du 3e sceau : « On peut cesser de penser que notre personnalité est une entité réelle à défendre à tout prix. Cela ne veut pas dire qu’on n’a plus de personnalité, mais on relativise, on sait que c’est une construction mentale », illustre Philippe Cornu. « Ces sceaux, vérités ordinaires séculaires, sont fondés sur la sagesse, laquelle est la principale préoccupation d’un bouddhiste. La morale et l’éthique sont secondaires. Quelques bouffées de cigarettes et un peu de légèreté ne vous empêcheront pas de devenir bouddhiste, ce qui ne signifie pas pour autant que la méchanceté et l’immoralité soient permises », indique le lama et réalisateur Dzongsar Jamyang Khyentsé dans son livre N’est pas bouddhiste qui veut.
« Prendre refuge n’empêche pas d’être un citoyen, mais un citoyen averti, capable de s’observer pour mieux se comprendre et ainsi, mieux comprendre autrui, ce qui développe la compassion pour les autres. » Philippe Cornu
Engagements éthiques
Légèreté n’égale pas immoralité. Ainsi le bouddhisme invite-t-il à observer certains préceptes, dont le nombre varie selon les écoles. Les cinq premiers visent à s’abstenir de tuer, de prendre ce qui n’a pas été donné, de mener une vie sexuelle dissolue, de calomnier et de s’intoxiquer avec des produits qui sapent la maîtrise de soi. « L’éthique a été très négligée dans le bouddhisme présenté en Occident. Même si on ne prend pas formellement ces vœux, l’idée est d’essayer de s’y conformer un minimum », admet Philippe Cornu.
Qu’il se nomme bouddhiste ou pas, le point commun de tout pratiquant du bouddhisme n’est-il pas cette progression vers une meilleure connaissance de lui-même, à travers cette « présence de l’esprit » qui l’aide à prendre conscience de ses intentions et à endosser la responsabilité de ses actes ? « Devenir bouddhiste signifie purifier ses gestes, ses paroles, son esprit ; se libérer de ses peurs, de ses colères, de ses ignorances. Un bouddhiste est celui qui cherche à se connaître lui-même », rappelle le Vénérable Nyanadharo. Reste à trouver la voie et les pratiques qui résonneront le mieux pour nous aider à découvrir cette présence en nous-mêmes. Entre le bouddhisme « ancien », resté prépondérant dans l’école actuelle du Theravada (appelé parfois Hinayana, « Petit Véhicule »), le « Grand Véhicule » (Mahayana), le « Véhicule de Diamant » (Vajrayana) et la voie de la Grande Perfection ou Dzogchen, le choix ne manque pas.