Ne nous leurrons pas, la plupart d’entre nous s’embarquent sur un chemin spirituel pour tenter d’échapper de manière romantique ou magique, c’est un peu la même chose ici, à l’enfer, très souvent psychique, de la souffrance. Ce fut mon cas quand, avant mon Bac, une certaine naïveté et innocence me poussèrent à espérer que suivre une voie spirituelle traditionnelle me transformerait en quelque sorte, en une héroïne de conte moderne, délivrée à tout jamais de la souffrance. Sans m’en rendre compte, j’imaginais qu’à la fin d’une histoire, courte forcément, je serais sauvée de la méchante reine, une vie injuste et douloureuse, par des maîtres, des saints, aux capacités de Yoda (1). Mes vœux ne furent pas exaucés, et ce fut une chance. Prenant conscience que la voie bouddhiste confronte le héros au réel, ma recherche de vérité me conduisit à rencontrer Milarépa. Et, c’est ainsi que ce maître, yogi et poète tibétain du XI-XIIe siècle, devint pour moi l’incarnation parfaite du voyou-sorcier ayant réussi sa reconversion. Après avoir été la victime consentante de sa mère – elle le poussa en effet à être le plus grand magicien noir du pays – il renonça à ses pouvoirs destructeurs, accepta les épreuves qui se présentaient à lui, et devint l’un des plus grands maîtres de tous les temps. Ce qui me parut encore plus magique que n’importe quel conte moderne !
Ce que m’a appris Milarépa ?
– Qu’il n’est jamais trop tard pour changer !
– À regarder la réalité telle que je la perçois dans l’instant, sans la fuir, sans concessions ; à ne faire qu’un avec elle ; à ne pas interpréter les faits ; à vivre un « oui » inconditionnel à ce qui est.
– À cheminer avec persévérance et humilité vers mon être intérieur ; à m’aimer également sans condition ; et à me relier à la vérité de mon expérience.
– Que les hauts et bas de l’existence demeurent, mais qu’ils n’ont plus la même saveur.
– À apprendre à aimer le goût de l’impermanence, à l’observer en témoin conscient et neutre. À remarquer que chaque fois que je suis fidèle à cette cohérence intérieure, j’éprouve une infinie gratitude pour la vie, et la joie d’approcher avec la totalité de mon être, corps et esprit, ce que disait le bouddha : « ne croyez rien que vous n’ayez vous-même expérimenté ». Et, que quand une pensée, une croyance ou une émotion m’éloigne de ce face-à-face avec le réel, je souffre.
Les grandes lignes de son histoire
Après une enfance heureuse, aisée et choyée, son père décède quand Mila a sept ans, le laissant seul avec sa mère et sa sœur, Peta. Sous prétexte de prendre la famille en charge, le frère de son père et sa tante accaparent les biens de la famille jusqu’à la majorité de Mila. Avides, violents, jaloux du bonheur qu’avaient connu jusqu’alors la mère et les enfants, ils les maltraitent, les battent, les transforment en esclaves et les privent de tout y compris parfois de nourriture. Ils organisent, dans le même temps, la spoliation des biens de Mila.
Le méditant a atteint son objectif : réaliser la vraie nature de son esprit à travers la pratique de la méditation et se libérer de la souffrance.
À sa majorité, à l’âge de quinze ans, le jeune homme ne peut récupérer ses biens et le trio est jeté sur les routes. La mère de Mila, éprise de vengeance, envoie alors son fils apprendre la magie noire chez l’un des plus grands sorciers du pays, et menace de se suicider, si son apprentissage traîne en longueur.
En bon fils, Milarépa devient rapidement un expert de magie noire et rentre chez lui. À la demande de sa mère, il détruit la maison de son oncle et de sa tante, tue 35 personnes invitées au mariage du fils de la maison et envoie une tempête de grêle pour se venger des voisins qui ne les ont pas aidés. Sa mère est heureuse, mais les remords Milarépa sont immenses. Désireux de réparer ses torts, il décide de suivre la voie bouddhiste et part à la recherche d’un gourou. De péripétie en péripétie, il rencontre « Marpa le Traducteur » qui le guide vers les cimes de la réalisation. Marpa ne revient pas sur le passé de Milarépa et ne doute jamais des aptitudes de son élève à atteindre les plus hauts degrés de la réalisation de l’esprit. Sa formation, impitoyable, pousse Milarépa à la limite de ses capacités physiques et émotionnelles ; la nature des épreuves imposées par Marpa conduit Milarépa à renoncer à toute attente, et à se confronter sans concessions à l’impermanence et à la réalité. Jusqu’à l’Éveil.
De retour chez lui, Milarépa répare ses torts avant de s’isoler des années durant dans une grotte. Ne se nourrissant sur la fin que d’orties, sa peau devient verte, et ses vêtements, des haillons, laissent apparaître ses os. Des chasseurs qui l’aperçoivent pensent qu’il s’agit d’un fantôme. Mais peu importe à Milarépa, le méditant a atteint son objectif : réaliser la vraie nature de son esprit à travers la pratique de la méditation et se libérer de la souffrance. Il meurt à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, après une vie consacrée à la pratique et à ses disciples.
Ce que Milarépa m’inspire au quotidien
L’histoire de Milarépa est celle d’un être humain ordinaire au début de sa vie. Son ascèse, la pratique intensive de la méditation, montre que nous pouvons tous à des degrés divers, suivre une voie de transformation intérieure qui libère de la souffrance ou plutôt qui nous aide à ne plus nous identifier aux souffrances qui nous traversent. À condition toutefois d’accepter de se confronter, sans concessions, à la réalité de ce que nous sommes, sans jugement, et avec une neutralité qui permet de prendre du recul sur ce que nous vivons, pour se « décoller » intérieurement du mental, de l’ego, et trouver le chemin de son cœur