Artère emblématique du centre-ville de Brest, la rue de Siam portera fièrement son nom, le 15 février. Un buste en bronze de l’ambassadeur Kosa Pan, réalisé par le sculpteur thaïlandais Watchara Prayookum, sera fixé à l’angle des rues Ducouédic, Louis-Pasteur et Jean-Moulin. C’est à cet endroit, tout près de la station de téléphérique actuelle, que l’ambassadeur du roi de Siam et sa délégation débarquèrent en juin 1686, avant de se rendre à Versailles pour rencontrer Louis XIV.
La statue, haute de 1,20 mètre et vissée sur un socle de granit, est offerte par l’Association thaïlandaise des professeurs de français. L’œuvre a été bénie en novembre par la princesse thaïlandaise Maha Chakri Sirindhorm. Sœur du roi Rama X, elle conduira la délégation de 200 personnes en Bretagne au côté du grand bonze Somdej Phra Maha Teerajarn, vice-patriarche de Thaïlande.
« Ce sera un grand moment de célébration de l’amitié qui lie Brest et la Thaïlande », s’est réjoui, dans Le Télégramme, l’adjoint aux relations internationales de la Ville de Brest, Fortuné Pellicano. La visite de Kosa Pan a été « le fondement de l’amitié de longue date entre la Thaïlande et la France », a encore souligné le ministère thaïlandais des Affaires étrangères, en septembre 2019. Et plus encore : elle a été « une rencontre de civilisations au moment où le Siam s’ouvrait au monde », a rappelé l’ambassadeur de France en Thaïlande, le 12 novembre dernier. « Les Français découvraient alors une culture riche et complexe, peu connue encore en Occident, qui s’était développée entre l’Inde et la Chine ».
Tonnerre de Brest pour les éléphants
Il y a 333 ans, cet événement d’envergure a fortement marqué les esprits de la Cité du Ponant. Le matin du 23 juin 1686, toutes les batteries des forts et pièces des vaisseaux de la rade font résonner « le tonnerre de Brest » pour saluer les invités, arrivés sur les frégates royales l’Oiseau et la Maligne. À midi, une élégante embarcation, avec cinquante rameurs, des musiciens et des gardes à son bord, accoste. Les ambassadeurs, suivis de sept mandarins, quatre secrétaires, vingt serviteurs, entourent la cassette contenant la lettre du roi de Siam Phra Naraï destinée à Louis XIV. Celle-ci est protégée par quatre parasols de brocard d’or. Le cortège, avec ses palanquins chargés de trésors, ses sculptures d’éléphants caparaçonnés, ses personnages couverts de joyaux, remonte la Grande rue puis la rue Saint-Pierre pour aboutir à la « maison du roi », résidence de l’intendant de la Marine, où un festin est servi à 72 convives.
La visite de Kosa Pan a été « le fondement de l’amitié de longue date entre la Thaïlande et la France ».
Dans les jours qui suivent, l’intendant propose, à ses invités, une visite complète de l’arsenal. Ses ateliers, ses chantiers, ses plus beaux vaisseaux. Objectif : les convaincre que Louis est vraiment « Le Grand » sur mer comme sur terre. Le 9 juillet, les Siamois quittent la Cité du Ponant, traversent la Bretagne puis la vallée de la Loire, pour arriver le 12 août à Paris, où ils étaient attendus depuis plusieurs années.
Des années de négociations
En effet, dès 1662, des pères des Missions étrangères de Paris ont approché le roi de Siam. Ce dernier tenta de nouer des contacts dès 1673, convaincu que la France pouvait l’aider à contrebalancer les influences hollandaise, portugaise et anglaise dans la région, tout en contenant la pression des voisins birmans. Une première ambassade siamoise, partie en 1680, avait disparu en mer avec ses éléphanteaux. En janvier 1684, une seconde débarqua en Angleterre avant d’être reçue à Paris, en novembre. Louis XIV souhaitait assurer une présence française en proposant un traité d’amitié et d’assistance. Et, si possible, tenter de christianiser le royaume de Siam. Si bien qu’il fit partir une mission pour raccompagner les envoyés siamois et ramener, en France, des ambassadeurs de haut rang. L’Oiseau et la Maligne appareillèrent de Brest le 3 mars 1685, débarquèrent à Bangkok le 22 septembre pour réappareiller le 14 décembre. Les navires étaient chargés de tant de cadeaux qu’il fallut renoncer à embarquer des éléphants….
600 hommes, 160 pièces d’artillerie
La délégation menée par Kosa Pan est finalement reçue dans la Galerie des Glaces du château de Versailles, le 1er septembre 1686. Une rencontre fructueuse. Le Roi Soleil décide de constituer une escadre, qui part de Brest le 1er mars 1687. Les cales sont chargées de présents pour Phra Naraï, mais pas seulement. Les ambassadeurs siamois sont accompagnés de toute une suite d’officiers, de gentilshommes et de jésuites, en vue d’une « assistance » technique, scientifique, et militaire. L’un des objectifs de ce corps expéditionnaire, fort de 600 hommes et de 160 pièces d’artillerie, est l’établissement de bases fortifiées à Bangkok ainsi qu’à Mergui, sur les rives du golfe de Bengale. Le succès de l’alliance ne fait alors aucun doute. À son retour à Brest, le 27 juillet 1688, le chef d’escadre assure que Français et Siamois collaborent à merveille. Malheureusement, cette alliance franco-siamoise est compromise, dès l’année suivante, par la mort du roi Phra Naraï et la révolution de palais qui s’ensuit. Les Français doivent alors rentrer dans l’urgence.
Mais ce revirement interne n’entache en rien la mission de Kosa Pan, qui a marqué le début des relations diplomatiques entre les deux pays. Ces liens seront renforcés, le 15 août 1856, par la signature du Traité d’amitié et de commerce, entre le Siam et la France de Napoléon III. Un consulat français sera créé, et un terrain offert, en 1875, par Sa Majesté le roi Rama V Chulalongkorn. C’est toujours à cet endroit que se trouve l’ambassade de France, dans un bâtiment restauré.