Nicole Bordeleau : le souffle libérateur

- par Henry Oudin

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Elle ne cesse de le rappeler : se sentir mieux dans sa vie commence par savoir bien respirer. Maître de yoga, cofondatrice du centre de méditation Yoga Monde, auteure à succès et conférencière canadienne internationalement reconnue, Nicole Bordeleau développe l’art de se réinventer au quotidien à travers le « souffle de la compassion ».

Pouvez-vous détailler ce qu’est le pranayama, cet art du souffle que vous pratiquez ?

Cette discipline consiste à aller voir ce qu’il y a derrière la respiration et à découvrir ce que cela fait raisonner en nous. Contrairement à la respiration, qui est tributaire du corps et de notre condition physique, le souffle suit la conscience. Par exemple, certains grands maîtres qui souffrent de graves problèmes pulmonaires ont un souffle immense, bien supérieur à leur capacité pulmonaire ; pour cela, ils utilisent leur « prana ». En sanskrit, « prana » signifie l’énergie vitale universelle. Si je devais l’expliquer en une image, je dirais que la respiration serait le cheval et le « prana », le cavalier. La respiration n’est pas qu’une simple mécanique, faite d’inspirations et d’expirations, c’est une façon de prendre et de donner.

Concrètement, comment optimisez-vous votre prana au quotidien ?

Non seulement j’y fais attention via un entraînement quotidien (yoga, méditation), mais j’observe aussi ce qu’il dit de moi. Certains jours, je me lève fatiguée, je n’ai que 30% de mon énergie, ma pratique consiste donc à optimiser ces 30% de souffle dont je dispose : comment les économiser, les diriger pour ne pas les gaspiller. Cette idée rejoint le Dharma : nous avons observé que la médisance nous coûte trois fois plus de souffle que si nous étions dans le silence ou parlions avec compassion. Un souffle inconscient est un souffle perdu, alors qu’un souffle conscient est un souffle vivant.

Dans votre livre, vous faites référence aux enseignements des maîtres zen Dôgen et Shunryu Suzuki. Quel est votre lien avec le bouddhisme ?

Ma pratique bouddhiste a beaucoup changé. Je n’ai pas étudié le bouddhisme pour me trouver une étiquette, je m’y suis plongée parce que j’étais incapable de concevoir comment je pouvais vivre avec autant de souffrances à la fois physiques – à travers l’hépatite C, une maladie chronique que m’a accompagnée durant trente ans – et morales.

« Alors que mon mental tente de m’expliquer le concept d’impermanence, mon souffle me le fait vivre. »

La première noble vérité du bouddhisme, selon laquelle la vie est souffrance, m’a soulagée dans le sens où je comprenais que ce que je vivais était bien réel et que je pouvais m’en libérer. J’ai suivi ce chemin pendant quinze ans, durant lesquels j’ai étudié le Dharma de façon sérieuse. Je méditais environ une heure par jour, mais je me suis aperçue que durant les 23 heures restantes, rien ne changeait. Un jour, j’ai rencontré un professeur qui en deux mots a littéralement remis en perspective ma pratique. Stephen Levine (1) m’a dit : « Have mercy ». Avoir de la bienveillance envers soi-même. Tout le personnage que je m’étais construit a été démoli : j’ai compris que la véritable voie consistait à adoucir mon regard envers cette partie de moi qui était en résistance et en souffrance. J’ai recommencé à zéro et, peu à peu, la compassion est devenue ma principale pratique, quels que soient les outils utilisés. Ce que j’appelle le « souffle de la compassion » m’a permis de me poser cette question fondamentale : et si la vie n’était pas un combat ? Si j’étais capable d’accueillir l’instant présent, le souffle qui est là, cela me permettrait de fendre l’armure.

Enfin, le bouddhisme m’a appris à changer les « pourquoi » en « comment ». Ne demande plus « Pourquoi le suicide d’un enfant ? », « Pourquoi la trahison d’un conjoint ou d’un ami ? », car il n’existera jamais de réponses satisfaisantes, mais plutôt « Comment vais-je traverser cette épreuve ? ».

Comment la méditation agit-elle dans ce dialogue avec soi ?

Je médite chaque jour, assise ; je commence par samatha pour apaiser mon mental et être en pleine présence avec ce qui est et ce qui n’est pas, c’est là le cœur de ma pratique. Nous avons six sens, le sixième étant le mental. C’est lui qui nous mène le plus souvent. Or, sous ce mental, il y a un corps. J’ai compris que si mon corps était malade, c’était bien mon mental qui transformait ces douleurs en souffrance. Et que si je travaillais sur mon souffle, je pourrais me rééquilibrer. Le yoga est un outil, dont la finalité est d’arriver au principe d’équanimité. Alors que mon mental tente de m’expliquer le concept d’impermanence, mon souffle me le fait vivre. Taisen Deshimaru a dit : « Nous ne pouvons entraîner l’esprit avec l’esprit, c’est comme essayer d’éteindre le feu avec le feu. »

Selon vous, le souffle serait la porte d’entrée vers la spiritualité. C’est-à-dire ?

Le souffle est un silence habité. Il est mon lien avec le corps, avec la vie, mais c’est aussi une connexion avec l’invisible, avec plus grand, plus vaste que soi. Dans mon livre, je l’illustre avec la légende de ce maître zen qui doit choisir entre deux disciples, de compétences égales, celui qui le secondera à la tête du monastère. Pour les départager, il leur demande simplement de respirer : le premier, agacé et plein d’arrogance, prend une énorme inspiration comme s’il sortait les muscles ; le deuxième, au contraire, expire calmement pour créer un espace nécessaire et accueillir ce souffle. Cette expiration a une fonction spirituelle importante, celle de se libérer du tumulte mental. Dans le zen, on dit que l’inspiration équivaut à la naissance, l’expiration à la mort, non pas physique, mais celle de l’illusion, de l’ego…

Face aux épreuves que vous avez traversées (l’addiction à la cocaïne, la maladie), que vous a apporté le bouddhisme ?

Le bouddhisme m’a maintenue en vie ! D’ailleurs, il m’est toujours d’un grand secours aujourd’hui, notamment quand je vais bien et que je suis dans l’illusion que ce sera ainsi toujours. Cela me permet de rester lucide, de prendre conscience que le chemin est sans fin.

Au sujet de la dépendance aux drogues : je ne l’appelle pas « ma » mais « la » dépendance, car le bouddhisme m’a appris à ne pas m’identifier, que cela touche une partie de soi, non l’entièreté de ce que je suis. Ce message m’a sauvée !

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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