Monastère Bodhinyanarama : plus de quarante ans de Theravada au cœur de la forêt ardéchoise

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Immersion au cœur du premier monastère français des moines de la forêt.

L’endroit n’a pas été choisi au hasard. Il était à la fois suffisamment près des grands axes routiers, des voies de chemin de fer et du centre d’études bouddhistes de Montchardon (1). En outre, il jouissait de quelques avantages non négligeables : une température plus clémente que dans le Vercors, un prix plus abordable que sur la Côte d’Azur et une nature préservée. C’est ainsi que Janine Boitel, disciple du Vénérable Nyanadharo Visuddhinyano (2), a choisi d’acquérir ces quelques hectares en Ardèche, porteurs non seulement de bois, mais également de ruines, afin d’y fonder le monastère Bodhinyanarama. Près de quarante-cinq ans plus tard, le Vénérable se souvient encore de la rencontre décisive avec celle qui bâtit ce lieu en sa compagnie et avec laquelle il accueillit de nombreux élèves jusqu’en 2008, année où elle est décédée.

Tout commence en 1976. Arrivé en France l’année précédente, le Vénérable Nyanadharo Visuddhinyano vit depuis dans la rue, au contact des SDF. Jean-Pierre Schnetzler, le fondateur du centre de Montchardon, en Isère, entend parler de ce moine laotien, perdu au cœur de Paris. Il le fait alors venir jusqu’au centre bouddhiste, qui vit ses premières heures. Le Vénérable y passe une année au contact de la nature. Il se souvient encore de cet hiver à moins 25 degrés : « J’ai pensé que j’allais mourir ! » C’est là qu’il croise la route de Janine Boitel. Cette Iséroise qui travaille dans l’immobilier pratique la méditation et le yoga, et fréquente Montchardon, dont le siège social est basé chez elle.

En attendant son visa pour l’Angleterre, pays où il a résidé durant ses études, le moine laotien en profite pour apprendre le français. Mais les formalités entre la Grande-Bretagne et son pays d’origine sont complexes. « Un matin, Janine me propose de rester en France et j’accepte… Et c’est juste à ce moment-là que mon visa est arrivé ! Mais un moine de la forêt ne reprend pas la parole donnée. » Les dés sont jetés, la France devient dès lors sa deuxième patrie.

Le premier monastère des moines de la forêt en dehors de l’Asie

De son côté, en 1976, Janine Boitel a 48 ans, trois grands enfants et profite d’un licenciement économique pour quitter son emploi. Son souhait : trouver un lieu où poursuivre sa nouvelle route, plus ancrée dans le bouddhisme. Un jour, le hasard et une annonce les conduisent jusqu’à une ancienne maison de chasseurs à retaper, à Tournon-sur-Rhône. « On avait cherché partout en France des villages abandonnés, des coins perdus, jusqu’à Saint-Tropez, mais on s’était dit que l’été pour méditer, ça serait compliqué…  À Tournon, les murs étaient effondrés, il y avait de la boue, nous sommes venus en bottes… La maison était en ruines, mais il y avait tout, le petit ruisseau, la forêt et surtout, il faisait plus chaud qu’à Montchardon. C’était facile à trouver avec l’A7 et la nationale. Alors, Janine l’a acheté à son nom, avec l’argent de la vente de son appartement. » (3)

Rumeurs de sectes, dénonciations diverses, présence supposée d’OVNI… Les gendarmes alertés font une enquête au monastère et découvrent, en lieu et place d’extraterrestres, Janine et le Vénérable en train de préparer des confitures… à la lueur d’une lampe halogène !

Ce n’est qu’une fois l’acte de vente signé qu’ils apprennent la venue d’Ajahn Chah en Europe. Une première pour ce maître de la forêt thaïlandais qui, quelques années plus tôt, avait envoyé le Vénérable en France. « Le maître nous a rejoints et nous a dit que Tournon devait être le premier monastère des moines de la forêt en dehors de l’Asie ». C’est ainsi que le 7 juillet 1977, Ajahn Chah consacre le monastère, en lui offrant notamment des reliques et en lui conférant son titre religieux, Bodhinyanarama Thera (le jardin où se cultive l’éveil). La vie de la communauté commence alors. Mais elle n’est pas douce sous le ciel ardéchois et les rares moines Theravada qui y viennent en repartent assez vite.

Tout est à rebâtir, il n’y a pas de chauffage, pas d’eau chaude ni de salle de bains. Pour se doucher, les occupants sont obligés de rejoindre les bains publics de Romans ou Valence. Pourtant, rien ne décourage le Vénérable qui se souvient : « Pendant trois ans, tous les matins, je partais en ville avec mon bol pour l’aumône, et pendant ces trois ans, personne ne m’a jamais rien donné. Ajahn Chah m’avait demandé de le faire durant trois ans, alors j’ai obéi. Ça m’a appris la patience et à supporter le regard des gens… » Une seule fois, un couple d’un village proche aura la curiosité de le suivre jusqu’au monastère et l’homme l’aidera ensuite à la restauration du lieu. Car, les premiers temps, la méfiance prévaut dans le voisinage. Rumeurs de sectes, dénonciations diverses, présence supposée d’OVNI… Les gendarmes alertés font une enquête au monastère naissant et découvrent, en lieu et place d’extraterrestres, Janine et le Vénérable en train de préparer des confitures… à la lueur d’une lampe halogène !

Poursuivre son chemin de « chercheur de vérité »

Aujourd’hui, la communauté est plus qu’intégrée à la vie locale. Le maire ne se fait pas prier pour assister aux cérémonies importantes, et le maître des lieux a su tisser des liens avec les autres représentants religieux du secteur. Sur place, on trouve un temple, les habitations des moines, des cabanes de méditation et une place pour les festivités qui rythment l’année. L’endroit, précise le Vénérable, « n’est pas une pagode, car au sens propre du terme, une pagode n’est pas ouverte aux étrangers et les enseignements y sont dispensés dans la langue originale, ce qui n’est pas le cas ici. »

Durant quarante ans, malgré les demandes de plusieurs Occidentaux, il s’est refusé à toute ordination. Car, dit-il, « lorsqu’on devient moine ou nonne bouddhiste, on doit couper les liens familiaux et amicaux, sinon on ne peut pas avancer dans le détachement et la méditation ». Et il ne sentait pas prêts celles ou ceux venus à lui. Mieux vaut, ajoute-t-il, « ne rien changer de son statut, ne rien dire de ce que l’on fait, mais par sa pratique et son observation, laisser les gens s’apercevoir des changements qu’ils induisent en soi », et ainsi poursuivre son chemin de « chercheur de vérité ». Pour le 35e anniversaire du monastère, en 2012, sept moines et une nonne ont été ordonnés. Six ans plus tard, deux seulement ont poursuivi le chemin religieux, les autres sont revenus à la vie laïque, tout en demeurant le plus souvent proches du Vénérable et du site.

À ce jour, Tournon reste l’unique monastère des moines de la forêt en France (une vingtaine existe en Europe). Il vit grâce à des dons et s’est organisé autour de deux structures distinctes : une association cultuelle qui compte environ 200 personnes et une association loi 1901, regroupant une centaine de membres, qui permet la réception du public et l’organisation de fêtes. L’ouverture aux autres demeure un des mots-clés des résidents et nombreux sont les laïcs qui viennent pour apprendre à méditer, loin du bruit et de l’agitation. Ici, au cours de sessions régulièrement proposées (4), on apprend à vivre naturellement, à mettre l’esprit à nu « pour comprendre simultanément ce qu’il se passe en nous et autour de nous », conclut le Vénérable

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François Leclercq

François Leclercq est le fondateur de Bouddha News, site internet qui a pour but de diffuser des informations et des conseils pratiques sur le bouddhisme et la spiritualité. François Leclercq est né et a grandi à Paris. Il a étudié le bouddhisme à l'Université de Paris-Sorbonne, où il est diplômé en sciences sociales et en psychologie. Après avoir obtenu son diplôme, il s'est consacré à sa passion pour le bouddhisme et a voyagé dans le monde entier pour étudier et découvrir des pratiques différentes. Il a notamment visité le Tibet, le Népal, la Thaïlande, le Japon et la Chine.

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