Michel Odoul : « Le shiatsu est imprégné des références bouddhistes. »

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Fondateur et président de l’Institut français de Shiatsu, auteur à succès (1), Michel Odoul est devenu l’une des principales voix, en France, pour promouvoir cette thérapie importée du Japon. Une méthode qui a directement à voir avec la réflexion bouddhiste : nous l’avons rencontré pour en discuter.

Qu’est-ce que le shiatsu précisément ?

C’est une technique de travail sur le corps qui vient du Japon, « shiatsu » veut dire « pression des doigts ». Elle a une visée de détente dans le champ biomécanique – on agit sur les muscles, les articulations ou les vertèbres – mais également une visée rééquilibrante dans le champ énergétique, en travaillant sur des points d’acupuncture. C’est une forme d’ostéopathie orientale qui va s’intéresser aux flux vitaux qui peuvent être momentanément déséquilibrés.

À titre personnel, j’ai découvert le shiatsu dès les années 70 avec le maître japonais Nakazono. À cette époque, personne ne connaissait cette méthode ! Mais cela m’a immédiatement permis de trouver des réponses à des situations de conflit que je rencontrais dans le monde du travail. Le shiatsu, comme la réflexologie, est ce qu’on appelle une médecine alternative complémentaire. Au Japon, c’est une méthode qui est intégrée au Ministère de la Santé depuis 1950. Son principe fondamental est très simple : mieux vaut se maintenir en bonne santé plutôt que de lutter, ensuite, contre la maladie.

En filigrane, il y a cette idée, que vous défendez dans votre dernier livre, qu’il faut entretenir un autre rapport au soin et à la santé.

L’axe central, c’est de considérer que toute maladie est la signature d’un déséquilibre. Toute manifestation physiologique, qu’elle soit traumatique ou pathologique, est le résultat d’une tension ou d’une fragilité. Et par conséquent, plutôt que de soigner la conséquence, traitons la cause ! Attention, il ne s’agit pas de s’opposer à la maladie, qui est par elle-même une force de vie : plus quelqu’un a de la vitalité, plus la fièvre est importante. Il ne sert à rien de la castrer, toute opposition à la circulation de la vie génère toujours une réaction ou un blocage. Mais il faut essayer de mieux faire circuler cette vitalité. Les flux de vie circulent d’autant mieux quand ils s’inscrivent à l’intérieur d’eux-mêmes !

Ce qui est intéressant dans cette vision, c’est que la maladie n’est pas une fatalité. Au contraire, elle est de la responsabilité de chacun. Tout le monde peut avoir un comportement qui le maintienne en bonne santé. C’est quelque chose d’essentiel, qui n’est pas forcément très audible dans nos sociétés contemporaines : il en va de la responsabilité de chacun de gérer son biotope microcosmique, qui est lui-même en symbiose avec le macrocosmique, tout autour.

En quoi cela a-t-il une histoire commune avec le bouddhisme ?

Le shiatsu s’est constitué autour des bases fondamentales de la médecine traditionnelle japonaise qu’on appelle le « Kampo », qui est elle-même la rencontre de la médecine traditionnelle chinoise avec les médecines animistes et chamaniques qui préexistaient dans la culture japonaise, notamment à travers le shinto. Or ces approches sont arrivées en même temps que le bouddhisme, autour du VIe siècle après J.-C. Ce fut un moment de bouillonnement très important, où beaucoup de ponts culturels sont été érigés. Jusqu’alors, au Japon, cette forme d’animisme n’avait pas besoin d’être nommée : le shinto ne s’est ainsi constitué sous ce nom que lorsque le bouddhisme est arrivé, parce qu’il y a eu dès lors un besoin de différenciation. Pour autant, il n’y a jamais eu de conflits, car le shinto est une sorte de philosophie spirituelle, un art de vie très animiste, qui est articulé autour des « Kami », ces entités divines présentes en toute chose. Au Japon, on distingue les temples bouddhistes des sanctuaires shintoïstes.

« L’axe central du shiatsu, c’est de considérer que toute maladie est la signature d’un déséquilibre. Toute manifestation physiologique, qu’elle soit traumatique ou pathologique, est le résultat d’une tension ou d’une fragilité. Et par conséquent, plutôt que de soigner la conséquence, traitons la cause ! »

Il y a donc eu une véritable fusion culturelle dont découle cette vision médicale cherchant à rééquilibrer cet état d’harmonie, qui s’appuie simultanément sur le shinto et le bouddhisme comme racines spirituelles. Le shiatsu est, historiquement, imprégné des références bouddhistes. Et c’est aussi la raison pour laquelle, dans beaucoup d’approches médicales japonaises, on retrouve des codes qui sont ceux des arts martiaux. Dans le shiatsu, on s’appuie par exemple sur le code du Bushido, que les samouraïs étaient tenus d’observer, qui stipule notamment qu’il est nécessaire de respecter toute vie respectable.

La notion d’interdépendance, qui semble essentielle dans le shiatsu, est également omniprésente dans la pensée bouddhiste.

Elle est très présente dans toute la pensée humaine, en réalité. Sur cette question, j’ai d’abord été intimement touché par les travaux de Jung, notamment dans la manière dont il reconnecte l’individuel avec le collectif, avec les concepts de projection, d’inconscient collectif, etc. Jung, d’ailleurs, a été très marqué par le Tibet et les mandalas, par le taoïsme et le fameux secret de la Fleur d’or, qu’il a commenté et lui a permis de transformer les concepts du Ying et du Yang. Tout cela débouche sur cette idée essentielle : la façon dont nous pensons le monde nous permet d’entrer en résonance avec lui et de le nourrir. Parce qu’à chaque instant, nous alimentons l’inconscient collectif et participons à ce qui est.

Cela fait directement écho à la vision bouddhiste et animiste, qui nous présente un peu comme des cellules dans un corps : nous sommes directement liés. Pour que le cancer gangrène le corps humain, il ne suffit que d’une seule cellule qui refuse de mourir, qui ensuite se démultiplie… Au niveau individuel, c’est un peu la même chose : il me semble trivial de croire que la conscience individuelle peut exister, se concevoir et se comprendre en dehors de quelque chose de collectif, en dehors d’un environnement qui le façonne et le nourrit, mais qu’elle nourrit également ! On est dans un échange bilatéral, tout s’interpénètre. Et ça aussi, c’est une grande responsabilité.

Comment avez-vous rencontré les réflexions bouddhistes ?

Par différents canaux. J’ai découvert les premières bribes dans la pratique de l’aïkido et du shiatsu, puis au travers d’amis qui suivaient des retraites avec Kalou Rinpoché. Je suis donc allé à Karma Ling et à Kagyu Ling. Je me suis aussi intéressé à la façon dont Alexandra David-Neel avait rencontré ce monde-là. J’y ai trouvé une vision du monde très cohérente, en phase avec ce que j’avais rencontré au Japon, appuyée sur cette même idée d’un caractère assez animiste, avec la présence d’une animation et d’une étincelle de vie en toute chose.

C’est pour cette raison que le bouddhisme tibétain m’a été plus immédiat, par rapport au bouddhisme zen et japonais. Dans un premier temps, j’avais trouvé l’enseignement de Deshimaru un peu trop rigoriste et strict. Le bouddhisme tibétain m’a semblé plus intéressant, avec cette pensée selon laquelle l’essence même de vie est un flux qui circule partout. Bouddha n’est plus alors qu’un artefact d’expression ou de manifestation de cette pensée qui est là, présente partout.

Aujourd’hui, quel rapport entretenez-vous au bouddhisme ?

Je suis dans un processus de compagnonnage. Je suis d’origine chrétienne, mais je n’ai jamais voulu rentrer dans des dogmes ; je suis plutôt à la recherche d’une pensée qui me semble saine et cohérente. Au fond, les religions dites « organisées » racontent toutes un peu la même chose, et le bouddhisme m’a aidé à comprendre qu’il y a sans doute une pensée un peu plus universelle, qui est consubstantielle à l’humain et qui appartient à ce champ particulier qu’on peut appeler « le corps causal » ou « l’inconscient collectif ».

J’interviens par exemple dans un DU de médecine, à Strasbourg, qui s’appelle « Médecine, méditation et neuroscience », qui a été monté par le rhumatologue Jean-Gérard Bloch, qui est lui-même bouddhiste. Jon Kabat-Zinn, qui a développé la méditation de pleine conscience, est également bouddhiste, mais il a eu l’intelligence de comprendre que si on voulait que cet outil et cette pensée soient largement accueillis, il fallait « épurer » et ne pas nécessairement le présenter comme bouddhiste.

Pour le praticien que je suis, des notions comme le non-jugement ou la bienveillance sont essentiels dans mon activité. Parce qu’on soigne l’être, on ne traite pas ce qu’il a fait. Donc le bouddhisme reste une source d’inspiration importante.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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