Matthieu Ricard : engagé pour la planète

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Alors que la 25e conférence internationale sur les changements climatiques (COP 25) se déroulera à Madrid du 2 au 13 décembre, l’urgence climatique est devenue le problème de chacun. De plus en plus de personnes relèvent, chacune à leur manière, le défi de la sauvegarde de l’humanité. Certaines optent pour les actions de masse dans la rue, d’autres pour de petits gestes au quotidien. Matthieu Ricard utilise, quant à lui, un moyen inattendu en matière d’environnement : notre capacité à nous émerveiller.Moine bouddhiste, interprète du Dalaï-Lama, scientifique respecté et photographe à ses heures perdues, Matthieu Ricard publie un album de photos prises au cours de ses nombreux voyages à travers le monde, dans lequel chaque image invite à l’émerveillement de tout, du rien, du simple, à retrouver un regard d’enfant sur la nature infiniment grande ou infiniment petite. Le texte engagé qui les accompagne nous exhorte à passer à l’action sans attendre, car c’est de notre survie et de celle de l’humanité qu’il est question. Rencontre.

Votre livre, Émerveillement, est une ode à la beauté du monde sous toutes ses formes, tout en étant une critique implacable de l’action de l’homme sur la nature.

L’émerveillement devant la nature sauvage ne réglera pas à lui seul la crise écologique, mais peut susciter une prise de conscience et le respect. Si vous pensez à quelque chose qui vous émerveille, que ce soit un paysage, une œuvre d’art, un sage, etc., vous n’allez pas la mépriser, la dénaturer ou la détruire, mais au contraire éprouver naturellement du respect vis-à-vis d’elle. Dans cet ouvrage, mon émerveillement porte sur cette « part sauvage du monde », pour reprendre une formule de la philosophe Virginie Maris, que nous nous devons de préserver pour ce qu’elle est, non comme un instrument dont nous pouvons user et abuser en négligeant totalement les millions d’autres espèces avec qui nous partageons cette planète. Certaines espèces ont développé des facultés particulières et remarquables qui leur permettent de survivre. Les chauves-souris sont dotées d’un sonar qui leur permet de voir dans l’obscurité, ce que je suis personnellement bien incapable de faire ! Des oiseaux migrateurs sont capables de voler d’une traite depuis l’Alaska jusqu’en Nouvelle-Zélande en se guidant seulement à l’aide des étoiles ou de la lumière polarisée du soleil, alors que moi, je me perds tout seul dans Paris (rires)… L’homme n’a donc aucune raison légitime de se croire au-dessus du lot. Ses facultés lui donnent, au contraire, une responsabilité accrue rien que par le pouvoir d’action qui est le sien sur le reste de la biosphère. S’émerveiller, c’est prendre conscience de notre appartenance à la biosphère, et de manière plus vaste encore, de notre appartenance à un univers qui dépasse largement notre seule planète.

La question environnementale serait donc pour vous l’enjeu majeur du XXIe siècle ?

C’est en effet le défi majeur, car les enjeux climatiques impacteront tout le monde ! Bien plus que l’immigration qui, à l’échelle de l’Europe, ne représente que 0,5% de la population ; bien plus que la situation – difficile, il est vrai – des agriculteurs qui seront dans une situation encore plus dure lorsque les températures atteindront des sommets. Quand les scientifiques du GIEC préconisent de réduire de 80% les productions industrielles de viande, ce n’est pas une recommandation faite par des fanatiques vegans, c’est tout simplement lié à une réalité : 15% des émissions de gaz à effet de serre sont produits par ces élevages industriels…

« Des oiseaux migrateurs sont capables de voler d’une traite depuis l’Alaska jusqu’en Nouvelle-Zélande en se guidant seulement à l’aide des étoiles ou de la lumière polarisée du soleil, alors que moi, je me perds tout seul dans Paris (rires)… L’homme n’a donc aucune raison légitime de se croire au-dessus du lot. »

Aujourd’hui, plus de la moitié de la population vit en ville, c’est aussi la conséquence de l’importance placée sur des pseudo-valeurs telles que le consumérisme, le matérialisme, etc. Elles ont certes mené à une croissance matérielle, mais au détriment d’une croissance qualitative : meilleure qualité de vie, plus de satisfactions dans l’existence… Un Américain émet 200 fois plus de CO2 qu’un Zambien, et jusqu’à 2000 fois plus qu’un Afghan ! Ces données sont connues, il ne s’agit pas ici de condamner qui que ce soit ou, ce que l’on a plutôt tendance à faire, de demander aux pays en voie de développement de limiter leur croissance. Il faudrait plutôt les aider à acquérir davantage de sources d’énergies renouvelables pour accompagner leurs besoins énergétiques tout à fait légitimes, tout en réduisant en parallèle la consommation effrénée des pays développés. Il y a encore un équilibre à trouver entre la manière d’aider les personnes qui se trouvent sous le seuil de pauvreté à acquérir le minimum pour mener une vie décente tout en cessant de subventionner les énergies fossiles, et la façon de rediriger nos efforts sur les énergies renouvelables, notamment en finançant la recherche. Si rien n’est fait, au final, c’est toute l’humanité qui y perdra.

Vous dites que l’on peut se sentir quelque peu dépassé par l’ampleur de ces enjeux climatiques. Ce livre est-il un peu pour vous comme ce colibri qui lutte avec ses moyens contre le feu qui ravage sa forêt ?

Quand on voit tous ceux qui, aujourd’hui, se mobilisent contre le réchauffement climatique, je pense que l’on a aujourd’hui dépassé le niveau du colibri, on en est plutôt au niveau du vol d’étourneaux (rires)… J’ai eu la chance de pouvoir avoir accès à des endroits extraordinaires : Patagonie, parc du Yellowstone, Islande… L’émerveillement qui, chaque fois, est né en ces lieux m’est apparu comme un thème particulièrement porteur sur lequel je pouvais écrire un texte, dans lequel je pourrais parler de mes convictions. J’ai aujourd’hui 73 ans, je ne peux pas être Greta Thunberg, mais je peux contribuer à la lutte avec mes propres armes : de jolies photos accompagnées d’un texte engagé qui se base sur des travaux scientifiques irréprochables. Ce livre est ma modeste contribution à un mouvement plus grand, comme ce que font les membres d’Extincton Rebellion, les jeunes comme Greta Thunberg, etc.

Le photographe Olivier Föllmi dit que « le regard positif, ça se cultive. » Qu’en pensez-vous ?

Il a raison. Voir ce que j’appelle la « banalité du bien » se cultive et protège de la vision qui considère que « la nature humaine est mauvaise ». Cette perception distordue de la réalité naît du fait que nous sommes constamment submergés de mauvaises nouvelles, et qu’on ne nous rapporte jamais les bonnes, les positives… La plupart des sept milliards d’êtres humains se comportent généralement bien. Cultiver le regard positif consisterait à mettre l’accent sur les prédispositions positives des êtres plutôt que sur leurs déviances, sans les occulter pour autant, il va sans dire… On pourrait parler ici de la psychologie positive. Toutes les recherches scientifiques démontrent que la joie n’est pas simplement l’absence de tristesse, la bienveillance n’est pas simplement l’absence de malveillance. Bien au contraire, les « émotions positives » comme l’enthousiasme, l’admiration, l’émerveillement, être dans la joie, la célébration, plutôt que dans la jalousie, etc., ont des effets extrêmement régénérant chez l’être humain et favorables à son épanouissement. On est bien loin ici de la « méthode Coué ».

On reproche souvent aux discours sur l’environnement de ne le faire que sous un angle catastrophique ou culpabilisateur. Votre livre opte plutôt pour une approche positive en les abordant sous l’angle du « beau ». Pensez-vous qu’il soit nécessaire de changer l’approche des problématiques environnementales pour que le message passe ?

Mon ami Johan Rockström du Stockholm Resilient Centre estime en effet que la façon de communiquer n’a probablement pas été adéquate. On sait aujourd’hui que pour inciter les gens à s’investir dans quelque projet que ce soit, il faut non seulement leur montrer les conséquences s’ils ne le font pas, mais aussi leur présenter les avantages de s’y engager. On pourrait également parler des avantages de la sobriété heureuse. Ici, il n’est pas question de se priver de quoi que ce soit, mais de savoir se contenter de ce que l’on a, de se simplifier la vie. Présenter aux gens des solutions inspirantes sans les accabler de reproches serait une approche constructive sans pour autant faire l’autruche. Les probabilités que les températures augmentent sont tout à fait crédibles. Il faut bien comprendre que cela risque d’entraîner des souffrances sans commune mesure ! Les risques de voir la population de sept milliards d’habitants chuter à un milliard ne relèvent pas d’un catastrophisme, ce sont les scientifiques qui le disent ! Mais tout espoir n’est pas perdu, il y a des solutions, seulement cela exige de changer notre mode de vie. Et là, nous faisons malheureusement face à une inertie incroyable des décideurs, et comme le disait Greta Thunberg aux Nations Unies, c’est une trahison des générations futures !

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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