Ma retraite décapante avec un moine de la forêt laotien

- par Henry Oudin

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Plongée au cœur d’une retraite theravada du monastère Bodhinyanarama de Tournon… Ou quand les repères habituels s’effondrent.

Ce n’est pas sans appréhension que je m’inscris à ce week-end de méditation. Sur son site Internet, le Monastère Bodhinyanarama de Tournon, en Ardèche, prévient : « La première observance demandée est l’ADAPTATION pendant toute la durée de la session. Si cette observance est trop dure pour les méditants, le Vénérable peut leur demander de quitter le monastère pour ne pas gêner le groupe ». Adaptation est écrit en rouge et en lettres capitales. Les conseils qui suivent ne sont pas pour me rassurer. « Produit contre les moustiques pour la méditation dans la forêt », « lampe de poche pour circuler dans la nuit »… Et le fin du fin, à mes yeux : la parenthèse dans « Certaines pratiques de méditation peuvent nécessiter un maillot de bain (même en hiver) ». Heureusement nous sommes à la fin du mois de mai.

Clafoutis interdit et nuit blanche

Quand j’arrive sur les lieux, des cerises écarlates brillent sous le ciel d’azur et des roses illuminent les figures bouddhiques disséminées dans le parc. Le cadre est rustique et émouvant. Sexagénaire, le Vénérable Nyanadharo moine de la forêt laotien et abbé du monastère depuis qu’il l’a fondé en 1977, continue à cultiver son jardin, aidé de quelques disciples. C’est lui qui guidera toutes les sessions pour lesquelles je vais découvrir que l’adaptation n’est pas un vain mot.

Pourtant, la matinée commence normalement. Nous sommes une quinzaine à partager un petit-déjeuner classique dans la salle commune. Le Vénérable nous invite à tenir notre cuillère dans la main opposée à celle que nous utilisons d’habitude. Une manière douce de casser nos schémas. Nous passons ensuite dans le temple où, assis près d’une statue du Bouddha, il nous donne quelques conseils de posture, de respiration, de mouvements oculaires et de méditation en marchant. Le temps file, c’est déjà l’heure du déjeuner. Et celle des surprises : « Ce soir il n’y aura pas de dîner. Nous ferons une nuit blanche. Cet après-midi, vous êtes libres. Vous pouvez vous reposer. Rendez-vous à minuit dans le temple. » Je frémis. Sauter un repas a le don de me mettre de mauvaise humeur. Et ne pas dormir de la nuit, c’est l’assurance d’être engourdie le jour suivant. Je tente de ne pas donner suite à toutes ces pensées. Nous occupons tous notre temps différemment. Quelques-uns se sont allongés à l’ombre des arbres. D’autres avancent à pas très lents, concentrés sur leur marche méditative. Nous n’avons pas reçu de consignes de silence, mais rares sont ceux qui parlent. Moi qui ne fais jamais de sieste, je réussis à m’assoupir jusqu’au soir. Premier changement dans mes habitudes ? Malgré tout, je ne peux m’empêcher de jeter un œil dans la cuisine. Un novice y prépare un clafoutis… pour le lendemain midi. Proche de l’hypoglycémie, je sollicite quelques restes du déjeuner. Ce n’est pas aujourd’hui que j’expérimenterai le jeûne.

Conférence au réfectoire 

Peu après minuit, le Vénérable s’installe face à nous dans le temple. Sa voix chantante me maintient éveillée. Sans notes écrites, dans un flot continu de paroles sans structure apparente, il évoque le Dharma, ses maîtres, sa longue expérience. Près de lui, un portrait du très respecté Ajahn Chan, moine de la forêt de la tradition thaïe du bouddhisme Theravada, veille sur nous. C’est lui qui a conseillé à son disciple le Vénérable Nyanadharo de venir enseigner en France.

Lorsqu’arrive la pause entre 2h30 et 3h du matin, je regagne le dortoir pour m’allonger un peu. D’autres en profitent pour explorer le parc avec leur lampe de poche. Je comprends mieux les instructions du site Internet. De retour au temple, nous voici à nouveau assis sur nos coussins de méditation. Le Vénérable reprend son monologue, puis finit par se taire. Autour de moi, les silhouettes s’avachissent peu à peu. Vers 6h du matin, seules deux personnes tiennent encore bien droites. Un coup de gong nous sort de notre torpeur. Une consigne l’accompagne. « Rendez-vous dans la salle à manger à 8h. Nous y resterons jusqu’à midi. Nous prendrons notre petit-déjeuner puis notre déjeuner dans la foulée. » Une matinée entière sans sortir de table ? Déroutée, épuisée, je m’endors à même le sol du temple.

« Dans l’enseignement du Bouddha, nous sommes là pour apprendre notre humanité. Tout ce qui se manifeste en nous, notre colère, notre désir, notre peur, même à l’adolescence notre réveil sexuel, ce n’est pas malsain, non, tout est naturel. C’est sur notre chemin, il faut faire avec. Voilà l’enseignement. » Le Vénérable Nyanadharo

Dans le réfectoire, assis en bout de table, le Vénérable nous scrute de ses yeux vifs. Il raconte comment il a tenu dix jours en méditation sans dormir, en prenant un seul repas par jour. Les 1500 personnes qui pratiquaient avec lui ont flanché avant lui. « C’est le résultat d’années d’entraînement… Il faut être humble, accorder moins d’attention à notre intelligence, à nos certitudes. » Nous l’écoutons en buvant un thé ou un café, l’air un peu endormi. Il ajoute : « Vous êtes venus en touriste. Ne tournez pas la tête à droite, à gauche, mais développez votre vision périphérique. Ralentissez. Et posez-vous les bonnes questions : pourquoi écoutez-vous les informations en boucle à la radio ? Vous mangez, vous dormez, quel est le sens de la vie ? Le bavardage (mental) est une fuite d’énergie ». Une bénévole asiatique apporte alors les plats du déjeuner. Attentifs à nos gestes, nous nous levons pour nous servir de pommes de terre, de saucisses et de clafoutis. Le Vénérable poursuit : « La peur, la colère, votre amour, votre désir, votre intention de faire quelque chose, tout ça vous mène en bateau. Vous n’êtes plus lucide pour prendre une bonne décision ». Les mots fusent, je me demande comment je pourrais restituer tout ce qu’il nous dit. « Dans l’enseignement du Bouddha, nous sommes là pour apprendre notre humanité. Tout ce qui se manifeste en nous, notre colère, notre désir, notre peur, même à l’adolescence notre réveil sexuel, ce n’est pas malsain, non, tout est naturel. C’est sur notre chemin, il faut faire avec. Voilà l’enseignement. »

Tournon, l’écho adouci d’une vie spirituelle sans concession

Vers midi, le Vénérable nous donne la parole. Le tour de table révèle les doutes de chacun. Johan a un « chef très agressif ». Viviane aimerait « apprendre à lâcher prise ». Nicolas ne sait pas s’il doit « quitter son travail ». Annabelle se met à pleurer. Le Vénérable répond de manière précise, parfois clairvoyante. « Je n’ai plus beaucoup de temps, je ne suis pas médecin, pas astrologue, mais si je peux vous aider… »

Il est 16h, nous sommes sur le départ. Retour au temple pour quelques ultimes conseils. Aude, 56 ans, en est à son troisième séjour. « C’est très éprouvant, mais à chaque fois, je repars beaucoup plus légère. Quelque chose pétille à nouveau en moi. » Virginie, 24 ans, qui vient pour la première fois, sourit aux anges : « J’avais de l’eczéma depuis toute petite et il a disparu ! », s’enthousiasme-t-elle. En revanche, Célia, la trentaine, confie être « très fatiguée et un peu fragile. »

Moi-même, je suis perplexe. Je me demande si ce Vénérable ne nous a pas poussés un peu trop loin. Pour en avoir le cœur net, je me plonge dans des textes évoquant Ajahn Chah et la tradition des moines de la forêt. Ce que j’ai vécu dans le monastère de Tournon m’apparaît alors comme l’écho adouci d’une vie spirituelle sans concession, entièrement dédiée à la pratique des enseignements du Bouddha. Dans un texte intitulé Hommage à Ajahn Chah, son disciple Ajahn Jayasaro se souvient : « L’apprentissage de la patience et de l’endurance était un élément majeur de son enseignement. Il modifiait sans cesse la routine du monastère, de sorte que nous ne puissions pas nous enliser dans l’ornière des habitudes – le résultat étant que nous ne savions jamais ce que l’instant suivant nous réservait ! Il était toujours là à nous observer, si bien que nous ne pouvions pas rester inattentifs ». Un autre étudiant, Ajahn Amaro, raconte : « La plupart des enseignements d’Ajahn Chah ont été dispensés de manière informelle, tout à fait spontanée et imprévisible. (…) Il disait : « S’il n’est pas vivant à l’instant présent, ce n’est pas le Dhamma ». (1) C’est cette rigueur que le Vénérable Nyanadharo transmet.

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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