Sur son t-shirt, les pictogrammes japonais sont traduits en lettres romaines, juste en dessous – deep zen – avec les écritures blanches sur fond noir. Comme un symbole : le noir, c’est pour les profondeurs sous-marines que Loïc Vuillemin parcourt régulièrement et où il découvre un monde plus opaque encore que n’importe laquelle des nuits les plus sombres qu’il ait pu connaître. Le blanc, pour le sens de ce voyage et pour le sourire qu’il en tire, une fois remonté à la surface : « L’apnée est l’une des expériences les plus libératrices qu’il me soit donné de vivre », résume-t-il, simplement.
Pas faute, pourtant, d’en connaître un rayon dans la quête de l’Éveil et dans la recherche de soi-même. Car, au quotidien, Loïc Vuillemin est Maître Kosho, depuis 2013. Ce qui ne l’empêche pas, une fois sous l’eau, de devenir un véritable champion, l’un des meilleurs de sa catégorie. Aux championnats du monde qui se disputaient à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritime), en septembre 2019, Loïc Vuillemin concourrait avec l’équipe nationale de Suisse, où il a grandi dans les années 1980. Résultat, une 9e place au concours du sans-palme, plus qu’honorable pour une première participation. Il détient également toujours plusieurs records nationaux, en poids constant, monopalme et bipalme, et en immersion libre, où il a atteint 84 mètres. De quoi lui faire dire, avec humour, qu’il est « le moine le plus profond » !
« Si tu en as marre de perdre ton souffle, apprends à le retenir. »
Une façon, pour Loïc Vuillemin, de rappeler que bouddhisme et apnée, sont deux pratiques intimement liées. D’ailleurs, les 84 mètres de son record ne doivent rien au hasard : 84, c’est aussi son rang dans la lignée Deshimaru, dont il se revendique. Avec un père moine zen – maître Keisen Vuillemin – et une mère taoïste, sa destinée bouddhiste s’écrit dès l’enfance, expérimentant samu et sangha dès le plus jeune âge. C’est donc assez logiquement qu’il reçoit l’ordination de moine, à tout juste vingt ans. L’apnée, quant à elle, se révèle à lui bien plus tard. En 2012, précisément, lorsque, souffrant de la chaleur sur une plage de Thaïlande, il est interpellé par un prospectus au message ravageur, « si tu en as marre de perdre ton souffle, apprends à le retenir ». Cette invitation à découvrir l’apnée est un déclic qui réveille en réalité un vieux rêve, en sommeil depuis bien plus longtemps : Loïc Vuillemin reste marqué par le film Le Grand Bleu, avec ces scènes où Jean-Marc Barr (jouant Jacques Mayol) s’entraîne au monopalme… « Je trouvais ça merveilleux de pouvoir nager comme un dauphin. Mais j’ai longtemps cru que ce n’était pas accessible au commun des mortels, qu’il fallait des prédispositions ! » se remémore Loïc Vuillemin.
« Retenir sa respiration, c’est un moment d’intimité avec soi qui permet de mieux se connaître. C’est l’incarnation de la pratique du corps-esprit. »
Depuis, il a changé d’avis et le répète tel un mantra : on ne naît pas apnéiste, on le devient. Il s’en est convaincu dès ses premières plongées, où de drôles de sentiment s’entrechoquent : s’il dit avoir tout de suite chopé le « virus » en vivant une expérience quasi mystique – « On plonge dans un horizon insaisissable, on ne voit rien, mais on a l’impression d’être en présence du cosmos tout entier, c’est une sensation très particulière » -, Loïc Vuillemin reconnaît aussi sans détour avoir eu besoin d’affronter des craintes profondes et inattendues, au moment se jeter à l’eau : « Cela m’a bousculé, j’estimais que ce n’était pas normal d’avoir des peurs archétypales générant ce sentiment de limite, il faut justement savoir les transcender en tant que moine… Cela exige une grande implication de soi ». Riche, donc, s’avère la confrontation de cette nouvelle pratique avec ses enseignements de moine : « L’apnée implique une paix mentale qui en fait une forme profonde de méditation », écrivent Nik Linder et Phil Simha, auteurs d’un ouvrage de référence sur la question (1). Le légendaire Umberto Pelizzari dit aussi : « La plongée bouteille est faite pour regarder à l’extérieur, la plongée en apnée est faite pour regarder à l’intérieur ».
Aujourd’hui, la révélation de l’apnée est devenue certitude : « C’est une évidence », dit-il, persuadé que la maîtrise de la respiration ouvre à de grandes découvertes. « On connaît encore trop peu la physiologie du corps humain en de telles circonstances, mais je pense que l’apnée peut devenir une véritable hygiène de vie et une très bonne thérapie. » Au temple zen du Caroux où il vit alors, près de Montpellier, Loïc Vuillemin s’attache un temps à former les moines à différents pranayamas, ces exercices de respiration qu’il rapproche directement de l’anapanasati, une technique de méditation bouddhiste : « Redresser la posture, contrôler le diaphragme, tout cela permet de mieux comprendre le principe vital qui réside dans le souffle. Et ce que signifie vraiment respirer ».
« L’apnée, c’est fusionner avec l’eau, le plus puissant de tous les éléments. »
Parfois, son engouement pour l’apnée détonne un peu dans les milieux plus traditionnels du bouddhisme. Mais Loïc Vuillemin aime ça. Et il l’assume pleinement : de moine bouddhiste, il faut dire que le colosse (1,98m pour 93 kg), chauve et la barbichette grisonnante, n’en a pas tout à fait le look, avec ses lunettes de soleil sport et son blouson noir et jaune aux couleurs des Lakers, la fameuse franchise de basket-ball de Los Angeles. Marié et père d’une fille de onze ans, il ne se prive pas de pourfendre un « clergé » parfois trop austère à son goût, ainsi que « les édulcorants qu’on a ajoutés à la vie du Bouddha pour en faire une nouvelle mode » : « Toutes les formes de religion organisée comportent ces risques de dérives », résume celui qui se définit volontiers comme un électron libre « post-moderne ».
Pour autant, les enseignements du « Shakyamuni » restent bien sa première boussole, et Loïc Vuillemin loue aujourd’hui la sagesse de Matthieu Ricard, « probablement l’un des êtres les plus altruistes de cette planète ». Pour Loïc Vuillemin, son cheminement dans le bouddhisme s’est tout simplement augmenté de la pratique de l’apnée : « Retenir sa respiration, c’est un moment d’intimité avec soi qui permet de mieux se connaître. C’est l’incarnation de la pratique du corps-esprit », résume-t-il. Une approche qui a plus à voir avec la méditation qu’avec le sport, à l’en croire : ça tombe bien, à quarante-trois ans aujourd’hui, il n’envisageait pas forcément une carrière au plus haut niveau… Ce n’est pas la compétition qu’il est venu chercher dans la pratique de l’apnée : « L’univers des apnéistes est une communauté remplie de douceur, de délicatesse, d’émotions et de partage (…) Pratiquer l’apnée, c’est fusionner avec l’eau, le plus puissant de tous les éléments. L’apnée, c’est un hymne à la joie de vivre pleinement », écrivent Nik Linder et Phil Simha en conclusion de leur livre. Une définition qui convient parfaitement à Loïc Vuillemin.