Le yoga, instrument des nationalistes hindous

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Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le Bharatiya janata party (BJP) a fait de la promotion du yoga l’un des axes de sa politique culturelle. Outil de rayonnement à l’étranger, c’est aussi un instrument de l’idéologie des nationalistes hindous.

D’ordinaire, le Premier ministre indien donne dans le spectaculaire. Mais cette année, lors de la journée internationale du yoga, Narendra Modi a dû jouer la carte de la sobriété et se satisfaire d’un message vidéo. Malgré tout, il en aura profité pour rappeler au monde les prétendus bienfaits du yoga. « Aujourd’hui, le monde réalise d’autant plus l’importance du yoga en raison du coronavirus », a-t-il déclaré face caméra, un drapeau de l’Inde hissé à ses côtés. « Plusieurs postures peuvent renforcer vos défenses immunitaires », a-t-il poursuivi à l’occasion de cette 5e journée internationale du yoga, célébrée le 21 juin. En raison de la pandémie, le Premier ministre indien a appelé ses concitoyens à pratiquer en famille et en intérieur.

Depuis sa création 2015, la journée internationale du yoga s’est exportée à travers le monde, où des séances collectives sont organisées : de New Delhi à Paris, en passant par Tokyo ou encore la Californie. Le chef de l’État indien, lui-même, participe généralement à l’une de ces gigantesques sessions. En 2019, Narendra Modi avait effectué ses asanas (postures) parmi des dizaines de milliers d’adeptes à Ranchi, dans le Jharkhand. En 2018, il s’était mêlé à une foule de 50 000 participants dans une clairière de forêt à Dehradun, dans l’Uttarakhand. Pour la première édition de cet événement en 2015, le nationaliste hindou avait créé la surprise en s’installant sur un tapis de yoga sur le Rajpath, l’avenue reliant le siège de la présidence à l’India Gate à New Delhi.

Le Premier ministre indien, issu des rangs du Bharatiya Janata Party (BJP – parti du peuple indien), est à l’origine cette journée internationale. Dès son arrivée au pouvoir en 2014, il se bat pour que les Nations unies décrètent le 21 juin, le solstice d’été, comme journée internationale du yoga. Lorsqu’il introduit sa proposition de résolution lors de la 69e session de l’Assemblée générale, il souligne que « le yoga symbolise l’union de l’esprit et du corps, de la pensée et de l’action. C’est une approche globale précieuse pour notre santé et notre bien-être ». L’objectif affiché : sensibiliser le public aux nombreux bénéfices du yoga. Cent-soixante-quinze États membres lui apportant leur soutien. Un record et un joli coup diplomatique.

« Le bien public le plus influent de l’Inde »

Le yoga devient l’un des outils de rayonnement culturel de l’Inde à l’étranger. « Le yoga est désormais le bien public le plus influent de l’Inde », estime Gautam Chikermane, le vice-président de l’Observer Research Foundation, dans un essai publié sur le site de ce think tank. « En regardant les images publiées sur les réseaux sociaux sur les six continents, le fait que l’Inde ait réussi à convaincre le monde des bienfaits du yoga pour la santé est désormais incontestable », poursuit le chercheur. Pour lui, la victoire de New Delhi en matière de soft power fut de revendiquer le yoga, pratiqué à travers le monde, comme une idée indienne. En 2016, l’Unesco inscrit même cette pratique au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. « Fondées sur l’harmonie du corps, de l’esprit et de l’âme pour améliorer le bien-être physique, spirituel et mental, les valeurs du yoga font partie de la philosophie de la communauté », fait valoir l’Unesco.

Le Premier ministre ne manque jamais une occasion d’en faire la promotion, notamment sur les réseaux sociaux, comme Twitter. « Yoga with Modi », une chaîne YouTube lancée en 2018, répertorie ainsi des dizaines de vidéos dans lesquelles un avatar en 3D du Premier ministre pratique différentes postures de yoga. Les instructions sont disponibles dans les langues indiennes comme l’hindi, le gujarati ou encore le maharati, mais également en français, en arabe ou encore en coréen !

Le géant sud-asiatique possède même un ministère à part entière dédié au yoga et aux médecines traditionnelles, comme l’ayurvédique. Récemment, ce dernier d’ailleurs publiait des conseils sur la manière de combattre le virus (1) en renforçant son immunité grâce à une série de remèdes traditionnels. Aucune preuve scientifique ne permet néanmoins de confirmer l’efficacité de ces décoctions dans la prévention du Covid-19. L’une des recommandations les plus controversées de ce ministère fut le recours à l’Arsenicum album 30, une dilution homéopathique à base d’arsenic. Des hommes politiques issus des rangs du BJP sont allés jusqu’à conseiller de boire de l’urine de vache, animal sacré de l’hindouisme.

« Le yoga symbolise l’union de l’esprit et du corps, de la pensée et de l’action. C’est une approche globale précieuse pour notre santé et notre bien-être. » Narendra Modi

« Le confinement a été une occasion pour promouvoir encore davantage le yoga, mais aussi l’ayurveda, confirme Nilanjan Mukhopadhyay, analyste politique. Cela s’avère être en parfait accord avec le récit des nationalistes hindous, selon lequel il faut restaurer l’âge d’or de l’Inde et que tout son héritage non-hindou doit être éliminé. » Narendra Modi et le BJP sont critiqués pour leur lecture hindoue de la culture de l’Inde, au détriment de son identité multiconfessionnelle.

Le Premier ministre a beau déclarer publiquement que le yoga ne « discrimine pas », qu’il transcende la « race », la « couleur », la « religion » ou encore les « nations », tout le monde ne le voit pas de cet œil. La promotion de cette discipline a connu son lot de controverses depuis 2015. À l’époque, des détracteurs avaient dénoncé la volonté déguisée de vouloir promouvoir des pratiques religieuses hindoues, à travers le yoga. Yogi Adityanath, un extrémiste hindou aujourd’hui à la tête de l’État de l’Uttar Pradesh, avait alors déclaré que les réfractaires aux « salutations du soleil » feraient mieux de « quitter l’Inde ou de se noyer dans les océans ». Un bel exemple d’harmonie.

« Ces efforts en termes d’images ont certainement valu des honneurs à Modi », jugent Bidisha Biswas et Anish Goel dans une tribune publiée sur le site d’informations Scroll (2). « Mais depuis 2019, ces efforts ont été éclipsés par l’agence d’extrême droite du BJP », poursuivent-ils. Depuis la victoire écrasante du BJP aux élections législatives de 2019, les nationalistes hindous ont accéléré les réformes. Au mois d’août 2019, ils révoquaient brutalement l’autonomie constitutionnelle du Cachemire, la seule région indienne à majorité musulmane. En décembre, le Parlement adoptait la très controversée loi sur la citoyenneté et réprimait brutalement les manifestations des opposants. De quoi susciter l’inquiétude de la communauté internationale. Les Nations unies ont jugé cette loi – qui facilite l’accès à la citoyenneté pour les réfugiés de pays voisins à condition de ne pas être musulman, « fondamentalement discriminatoire ». La Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale s’est inquiétée de la montée de l’intolérance à l’égard des minorités en Inde. « Le soft power d’un pays dépend effectivement de sa capacité à fournir un bien public au monde, rappellent Bidisha Biswas et Anish Goel. Mais seulement s’il est consistant avec la politique intérieure de ce pays ». À méditer.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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