Mathieu Delobel : « Dans un monastère, on se retrouve confronté aux réalités de la nature humaine. »

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Lorsqu’il est arrivé au monastère Bodhinyanarama, Mathieu Delobel n’avait pas le look du bouddhiste modèle. Devenu moine, proche du Vénérable Nyanadharo, le jeune homme a retrouvé des sentiments comme la jalousie et l’hypocrisie dans un lieu qu’il en pensait exempt. Lors de ses deux années de sacerdoce, il s’est confronté à la vénération des moines, à l’accumulation des mérites ou encore à la divinisation du Bouddha. Des réalités loin de ses idéaux. Ces déceptions lui ont néanmoins permis de prendre du recul pour mieux partager son expérience avec les jeunes générations.

Intéressé par le bouddhisme depuis l’adolescence, vous avez rencontré la tradition des moines de la forêt au monastère Bodhinyanarama, en 2012. Mais votre style rasta contrastait avec l’ambiance générale du lieu. Quelles ont été les réactions ?

Des gens allaient voir le Vénérable Nyanadharo pour lui dire qu’il devait se méfier de moi. Ils pensaient que j’influençais le maître dans le mauvais sens. Je n’étais sans doute pas à l’image de ce qu’était, pour eux, l’enseignement du Bouddha. En effet, je suis assez provocateur et rebelle dans ma manière d’être. Je parle naturellement au maître, je ne l’idolâtre pas. Certains considèrent cela comme un manque de respect. Je ne suis pas non plus un grand fan des cérémonies et des prières. Ce qui m’intéresse chez les moines de la forêt, c’est qu’on n’entend parfois même pas le nom de Bouddha. On observe le fonctionnement du corps, on apprend comment le mécanisme du mal-être, du bien-être, de la souffrance et de la joie peuvent apparaître et disparaître, comment les choses se manifestent dans leur globalité. Il s’agit d’être moins dépendant de l’environnement extérieur, de s’y adapter.

Dès le début, vous vous êtes senti très proche du Vénérable Nyanadharo. Une relation que vous n’avez jamais vécu avec aucun autre maître. Comment l’expliquez-vous ?

Si je n’avais pas rencontré le Vénérable, je pense que je n’aurais pas approfondi les enseignements. Nous avons peut-être des similitudes dans le caractère. Quand il a vu la violence que j’avais en moi et mon côté casse-cou, il a peut-être retrouvé des sentiments de sa jeunesse. Notre proximité peut aussi s’expliquer par le fait que je me comporte de manière naturelle avec lui. Je n’essaye pas d’être proche ou d’être tout le temps avec lui. Je laisse faire les choses

Vous avez été surpris de retrouver, au monastère, des comportements identiques à ceux du monde extérieur. Pouvez-vous l’expliquer ?

Je ne pensais pas y être confronté à l’hypocrisie ou à la jalousie. C’est pourtant ce que j’ai vécu, et ça m’a vraiment étonné. On se dit qu’un monastère est isolé de la société, mais on s’y retrouve, au contraire, confronté aux problèmes de la nature humaine qui nous rend insatisfaits. Je peux l’affirmer, car j’ai moi-même ressenti et observé ces sentiments en moi. J’ai pu observer, aussi, que les bouddhistes occidentaux privilégient souvent les règles et la rigidité au détriment de la joie. Il existe aussi des divergences communautaires entre des Asiatiques très attachés aux rituels et aux cérémonies, et des Occidentaux plutôt orientés vers les sessions de méditation. En tout cas, il est certain que, lorsqu’on vit dans une petite communauté, en côtoyant des gens 24 heures sur 24, les tensions ressortent beaucoup plus que lorsqu’on rentre le soir chez soi, pour s’isoler.

Lors de vos séjours en Thaïlande, vous avez également été déçu par les pratiques des populations locales. Aviez-vous trop idéalisé le bouddhisme ?

J’ai été choqué de voir une pratique basée sur la cérémonie et la prière, mais aussi de voir comment sont considérés les moines. Siddhartha Gautama Shakyamuni a créé la communauté des moines pour casser le système de castes qui existait en Inde. Je trouve donc étonnant de voir que de nos jours, le moine est considéré, en Asie, comme un être supérieur. J’ai déjà entendu un maître me dire : « Vous êtes un être supérieur aux laïcs ». Je n’ai pas trop apprécié, car ma démarche de moine consistait à réduire mon ego. Or, lorsqu’à 26 ans, des gens s’inclinaient devant moi ou m’appelaient « Vénérable », je ne voyais pas comment cela allait m’aider en ce sens. Sachant que le monastère vivait de l’aumône des fidèles laïcs, je considérais au contraire que c’était à moi de me prosterner devant les gens. Aussi, les laïcs ne voulaient pas que je lave ma tasse car, selon leurs croyances, nettoyer la tasse d’un moine leur apporte des mérites et peut favoriser une meilleure renaissance. En observant ces réalités, mes idéaux concernant le bouddhisme sont tombés. En Thaïlande, le Bouddha est presque considéré comme un dieu alors qu’en Europe, on insiste sur le fait que Bouddha est un humain. Je n’ai vu que des croyances alors que, pour moi, la base de l’enseignement était de ne pas en avoir.

Votre visite à Bodhgaya, lieu de l’Éveil du Bouddha, en Inde, symbolise ce contraste entre vos attentes et la réalité…

Je m’attendais à trouver un endroit préservé dans la forêt, avec l’arbre de la Bodhi tant réputé. Mais je me suis retrouvé dans un lieu bétonné avec plein de constructions, un mégaphone hurlant des prières, des affiches réclamant des dons. J’avais l’impression d’être au marché. Je voyais énormément de gens en posture de méditation, espérant atteindre l’Éveil sur place. J’ai pensé que si Bouddha les voyait, il serait certainement surpris. Il n’est pas interdit de rendre hommage à l’endroit, mais ce qui est important est en nous, peu importe où l’on se trouve.

Ces déceptions ont-elles changé votre pratique ?

Cela m’a permis de constater que pendant des années, j’étais trop focalisé sur l’extérieur, à m’énerver à cause de certains comportements. Ces expériences m’ont obligé à revenir sur moi-même et à prendre de la distance. Je peux désormais aller au monastère sans essayer de changer les choses. Je me contente d’observer. Si on vient me demander mon avis, je vais y répondre mais j’essaye d’être plutôt un exemple dans ma pratique. Que ce soit dans la musique, le sport ou la spiritualité, le plus important, c’est la régularité. Et cette dernière est difficile. On a souvent tendance à faire une semaine de stage de méditation à fond et à rentrer chez soi où l’on arrête complètement. Je n’ai pas encore réussi à être dans cette régularité, dans cette voie du Milieu, même si j’essaie à la fois de pas trop forcer et de ne pas trop me laisser aller.

« Siddhartha Gautama Shakyamuni a créé la communauté des moines pour casser le système de castes qui existait en Inde. Je trouve donc étonnant de voir que de nos jours, le moine est considéré, en Asie, comme un être supérieur. »

Comment votre parcours vous donne-t-il des clés pour partager vos expériences de vie avec les jeunes générations ?

Selon le milieu social, je vais utiliser un langage différent. À des jeunes de milieu favorisé ayant fait des études, je vais montrer qu’avoir arrêté l’école très tôt ne m’a pas empêché d’être heureux et de vivre des expériences extraordinaires aujourd’hui. En échangeant avec des jeunes tombés dans les addictions, comme le cannabis, je vais expliquer que ma consommation n’a pas eu que des conséquences négatives, mais que, à force d’arrêter et de recommencer à fumer, j’ai pu voir l’impact néfaste de cette dépendance sur mon corps et mon esprit. Plutôt qu’arrêter d’un coup, je leur conseille d’arrêter une journée. Je fais en sorte que les jeunes voient par eux-mêmes et puissent prendre de la distance.

Beaucoup de jeunes sont bloqués par l’image véhiculée par les religions. Comment leur en parlez-vous ?

Quand on parle de religion à des jeunes, ils pensent que je vais essayer de les convertir. Lorsque je raconte que j’ai été moine bouddhiste, ils me demandent souvent s’il ne s’agit pas d’une secte. Je vais plutôt casser l’idée qu’ils s’en font. Quelqu’un ayant un parcours atypique comme moi peut rendre les enseignements accessibles à tout le monde. J’aborde la question avec mon vocabulaire. Quand je dis à des jeunes de 15 ou 20 ans que, malgré mon expérience, j’écoute même PNL ou Jul, avec des paroles parfois très vulgaires, ils me regardent avec des yeux écarquillés. Ça crée une curiosité qui peut éveiller leur intérêt. Je veux leur montrer qu’il y a dans l’enseignement quelque chose d’humain, qui nous relie tous. Les religieux et maîtres spirituels gagneraient à accueillir les questionnements des jeunes avec une grande ouverture d’esprit, à l’instar du yogi indien Sadhguru. Ils doivent aller à leur contact et utiliser les outils numériques d’aujourd’hui, s’adapter au monde actuel, pour inspirer et aider toutes les générations, sans barrière.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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