Jacques Castermane : « Un chemin qui a pour seul but le calme intérieur, la sérénité et la confiance. »

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Jacques Castermane a reçu de 1966 à 1988 l’enseignement de Karlfried Graf Dürckheim qui propose à l’homme occidental une voie de transformation plongeant ses racines dans la tradition du Zen. Depuis 1981, il anime le Centre Dürckheim et s’emploie à transmettre la Voie tracée par son maître : un chemin d’expérience et d’exercice pour « devenir celui ou celle que l’on est déjà au plus profond de soi-même ».

La rencontre avec Karlfried Graf Dürckheim, dans les années 1960, écrivez-vous dans votre livre La sagesse exercée, a changé votre vie. Qui était-il ?

Karlfried Graf Durckheim (1896-1988) est issu d’une famille aristocratique allemande connue depuis le XIIIe siècle. Son grand-père était chambellan du roi de Bavière. Professeur de philosophie, il s’était spécialisé dans la phénoménologie. Il était aussi docteur en psychologie. En 1933, après avoir été interdit d’enseignement à l’université par les lois promulguées par le parti national socialiste au pouvoir – sa grand-mère, apparentée à la famille Rothschild, était juive -, il est parti au Japon. Son intérêt pour les enseignements du Bouddha et de Lao Tseu date de ses études universitaires. Aussi, dès son arrivée au Japon, il s’est intéressé au Zen. Il s’est mis à pratiquer le Zen après avoir rencontré le grand connaisseur de cette tradition, Daisetz Teitaro Suzuki, qui lui a dit : « Si vous essayez d’approcher le Zen en vous appuyant sur votre entendement de philosophe et de psychologue, vous ne saurez jamais véritablement ce que c’est. Il ne faut pas chercher à comprendre ce qu’est le Zen. Pour faire l’expérience qui est le fondement du Zen, il faut pratiquer un exercice ». Pendant une dizaine d’années, il a pratiqué le zazen et le tir à l’arc. Son expérience l’a tellement bouleversé qu’en rentrant du Japon, en 1947, il a décidé de consacrer le reste de sa vie à proposer, à l’homme occidental, une voie de transformation de soi-même qui a ses racines dans la tradition du Zen.

L’enseignement du Zen qu’il proposait, et que vous perpétuez depuis 1981, ne serait pas proprement bouddhiste, mais universel ?

Il n’est pas bouddhiste pour la bonne raison que le Bouddha n’était pas bouddhiste. Karlfried Graf Dürckheim a toujours dit que ce qui l’intéressait dans la tradition zen est ce qu’elle recèle d’universellement humain. C’est cela qu’il a pratiqué et enseigné pendant une quarantaine d’années et que je propose sur son invitation, en son nom.

Comment définiriez-vous le Zen ? 

Kanji zen peut être traduit par le mot calme. Zazen signifie trouver le calme en étant assis. On peut aussi le trouver quand on est allongé, ou quand on est debout et que l’on marche. C’est un chemin qui a pour seul but l’état de santé fondamental de tout être humain, qu’il soit né en Orient ou en Occident, et qui se manifeste par le calme intérieur, la sérénité et la confiance, ces qualités d’être qui manquent le plus à l’homme d’aujourd’hui.

Qu’est-ce que la Voie de la technique que Dürckheim proposait ?

Ce chemin n’a aucun lien avec le développement de notre conscience habituelle, avec la pensée discursive et avec les dogmes. C’est un chemin d’expérience et d’exercice. Le mot technique est, ici, synonyme d’exercice. C’est en renouvelant sans cesse le même exercice, que, tout à coup, celui qui s’exerce parvient à une autre approche de lui-même et de la vie.

Qu’apporte zazen, cœur de la pratique, à celui qui le pratique quotidiennement ?

Je préfère laisser à celui qui pratique le soin de découvrir à quoi sert le Zen. C’est pour cela que l’on parle d’une méditation sans but. On ne pratique pas zazen en s’appuyant sur une préméditation. Le maître zen Ryôkan dit que « zazen n’est pas une cause, mais une preuve ».

Zazen permet-il de transformer la personne qui le pratique ?

Le zazen est plutôt un chemin de maturation. Il s’agit de devenir celui ou celle que l’on est déjà au plus profond de soi-même.

Qu’avez-vous appris d’essentiel en pratiquant l’art du tic à l’arc ?

J’ai pratiqué le tir à l’arc avec le maître japonais Satoshi Sagino, que Graf Dürckheim avait connu au cours de son séjour au Japon. Le tir à l’arc est une séquence de huit gestes répétés jour après jour et d’année en année. Le but extérieur est d’encocher une flèche que l’on décochera ensuite. Mais l’exercice permet en fait une rencontre avec soi-même lors de chaque tir. Je n’oublierai jamais cette remarque faite par le maître Satoshi Sagino, quand il me voyait désespéré de ne pas atteindre la cible : « C’est de votre faute, car le centre de la cible est la vocation de chaque flèche. Quand vous tirez, vous le faites avec l’obsession de réussir à tout prix. Et cette obsession s’accompagne nécessairement de la crainte d’échouer. C’est pour cela que vous manquez l’objectif ». Le tir à l’arc devenait pour moi l’occasion de me libérer de ce désir de l’ego de réussir à tout prix et de la crainte d’échouer. Ainsi, l’exercice vous ouvre sur une autre manière d’être au monde.

Pourquoi opérez-vous une distinction, dans la voie tracée par Dürckheim qui est à la fois une voie spirituelle et une thérapie, entre le corps qu’on EST et le corps que l’on A ?

La langue allemande est, en la matière, plus riche que la nôtre. Les Allemands ont deux mots pour exprimer le mot corps : « körper », proche phonétiquement du mot latin corpus qui veut dire objet. Et « Leib », issu du verbe Leben, vivre. « Leib » est le corps vivant, le corps que l’on EST. Pour nous, le corps est la somme de tous les éléments qui le composent. « Leib » est autre chose. C’est cette réalité globale que je SUIS, le corps vivant dans sa globalité et son unité.

Qu’est-ce que la leibthérapie que vous pratiquez au Centre Dürckheim ?

Lorsqu’il utilise le mot de la langue allemande « thérapie », Dürckheim envisage l’accompagnement d’une personne sur le chemin de son devenir. « Leib » est notre manière d’être en tant que corps.

Qu’apporte la leibthérapie ?

Ce que Dürckheim propose sous le terme de leibthérapie, c’est un exercice qui tend à nous libérer de notre inquiétude latente, de notre peur souterraine, de l’angoisse. Le mental est le domaine de l’angoisse et des états qui l’accompagnent, et ce qu’on devrait apprendre aujourd’hui, c’est que ce corps vivant que nous sommes est le domaine de la sérénité, de la paix intérieure, du calme intérieur. Avec la leibthérapie, on ne fait qu’enlever les pierres qui empêchent l’eau du ruisseau de couler. Après une séance de leibthérapie, il n’est pas rare que les gens me disent : « C’est incroyable comme la vie coule en moi, en ce moment ». Cette pratique permet de nous désencombrer, de nous libérer de notre identification à l’ego.

« Le maître zen Ryôkan dit que « zazen n’est pas une cause, mais une preuve ». »

Quelle est l’importance de la relation avec la nature sur la voie qui est la vôtre ?

L’être humain vit avec l’idée qu’il vit dans la nature et qu’il peut en faire ce qu’il veut. C’est ce qui a conduit à la catastrophe écologique que nous connaissons. L’animal, lui, vit de la nature, et non dans la nature. De même, lorsque l’on pratique ces exercices qui ont leurs racines en Extrême-Orient, on découvre que nous sommes DE la nature et que l’on ne peut pas faire ce que l’on veut des lois de la nature. Cette prise de conscience n’est, en général, pas collective, mais individuelle. Nous pouvons espérer que lorsqu’une masse critique d’individus fera cette prise de conscience, la relation du collectif humain à la nature pourra peut-être changer.

Pratiquez-vous aujourd’hui zazen de la même façon qu’à l’âge de 50 ans ou de 60 ans ?

Au début, j’ai pratiqué comme tout le monde. J’ai dû apprendre zazen. Maintenant, quand je m’assieds, c’est zazen qui m’apprend qui je suis. C’est cela la bascule. Zazen est vraiment un chemin de découverte à travers les expériences intérieures.

Le Zen apporte-t-il des clés pour bien vivre sa vieillesse ?

Bien vivre sa vieillesse, c’est accepter ce qu’est la vieillesse et les sensations que vous ressentez. Celui qui pratique zazen a la chance d’être confronté à l’impermanence : tout ce qui est vivant n’est pas définitivement là, mais change sans arrêt. Nous ne cessons de changer comme les fruits sur leurs branches jusqu’au moment où ils tombent de l’arbre. Il n’y a pas d’obsession de la mort qui puisse rester accrochée dans le fonctionnement mental de celui qui pratique zazen. Ce n’est pas qu’on la nie ou qu’on la fuit. Le plus important, c’est de faire et de renouveler l’expérience qu’en ce moment, je vis.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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