L’Esplanade des religions : un exemple unique en Europe

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Visite guidée d’un carrefour où cohabitent les religions.

Vue de haut, Bussy Saint-Georges est une ville nouvelle qui colonise son territoire à grand renfort d’avenues parallèles et de rues perpendiculaires. La ville est déformée par les travaux, les champs disparaissent sous le béton et les constructions jaillissent de terre d’une année à l’autre. Une cité champignon dynamique à qui les statistiques donnent le tournis : 500 habitants en 1985, 50 000 prévus en 2030, une population qui se multiplie par 100 en 45 ans !

Avec une telle démographie, le brassage culturel était inévitable. La ville en a fait une force. Ici se dressent au milieu des ronds-points des statues d’éléphants hindous, de déesses Shiva ou de dragons pékinois en pierre. À Bussy, le sacré avoisine le profane et la ville se veut multiconfessionnelle. La meilleure preuve se trouve au sud de l’agglomération, en pleine zone verte du Parc du Genitoy. L’allée Madame de Montespan accueille le plus incroyable aréopage d’édifices religieux qui soit : une synagogue, une mosquée, un temple bouddhiste, une pagode laotienne, mais également, en projet, un temple hindou, un autre protestant et une église arménienne ! Le tout à cinq minutes d’une église catholique, Notre Dame du Val. À Bussy, l’étoile de David côtoie le Bouddha qui jouxte la croix du Christ ! Les lieux de culte de plusieurs spiritualités vivent leur foi côte à côte. On appelle cet endroit l’Esplanade des Religions. En fait, c’est un laboratoire interreligieux. Un cas unique en France.

Cette histoire, le Maire, Yves Dubosc, la connaît par cœur. « Dans les années 2000, la mairie a proposé aux responsables des différentes religions de racheter des terrains à des prix avantageux. Un coup de main à condition de respecter une charte du bien vivre ensemble. Après quoi, à chaque culte de financer son propre édifice. » Le Maire est visiblement ravi de parler de l’esplanade. Il enchaîne : « L’essentiel est que personne ne fasse de prosélytisme. Ce serait la mort du modèle. Et c’est pour cela que Bussy Saint-Georges est saluée par l’UNESCO comme « ville pour le dialogue interreligieux ». Il y a de quoi être fier, non ? » Certes.

À la croisée des chemins spirituels

Alors remontons cette fameuse allée Madame de Montespan, désormais beaucoup plus connue sous le nom d’Esplanade des Religions et des Cultures. À droite, le parc d’un vieux château en ruines (dans lequel la favorite de Louis XIV mit au monde l’un de ses fils naturels en 1672) ; à gauche, l’enfilade des édifices religieux. Avec au numéro 1 le préfabriqué bleu de la communauté juive de Bussy. En attente depuis dix ans d’être remplacé par une synagogue, il est toujours là, faute de financement. Mais Claude Windisch est optimiste : « On peut déplacer les montagnes lorsqu’on le souhaite ! » Et de fait, à force d’opiniâtreté, la communauté juive, dont il est le Président, a enfin trouvé de quoi financer le début des travaux de la synagogue. « On commence fin 2020. Le reste suivra quand les murs seront montés. Nous sommes la plus petite des communautés de l’esplanade, mais avouez qu’il est impensable que nous ne soyons pas représentés sur l’esplanade… »  Et comme Bussy n’est pas avare de symboles forts, la synagogue sera bâtie juste à côté de la mosquée. Exprès. La dalle est d’ailleurs coulée. « Une décision qui a fait beaucoup jaser, mais que tout le monde assume désormais tant elle est porteuse d’espoir. »

Sur le même trottoir, au numéro 3, s’élève la structure massive du temple bouddhiste Ch’an Fa Hua de Fo Guang Shan France. Une silhouette tout en cubes, façonnée de béton brut, de verre et de bois. Un geste architectural minimaliste, pour un centre culturel qui s’étend sur plus de 7000 m2. « Nous l’avons attendu pendant vingt ans », soupire Miao Da, l’une des six Vénérables de l’association Fo Guang Shan en France. « Notre pagode précédente, à Vitry-sur-Seine, était devenue bien trop étroite. Désormais, le temple de Bussy est le siège en Europe de notre association créée il y a une cinquantaine d’années par le Vénérable Hsing Yun. » De sa voix douce aux mots choisis, Miao Da souligne que les bouddhistes furent les premiers de l’Esplanade à construire un édifice religieux. « Nous avons été soutenus par tout le monde. Nous donnons à la France un exemple de fraternité en passant outre nos différences… »

À l’intérieur du temple, on peut suivre un enseignement bouddhiste ou des cours de chinois, se recueillir dans les salles de prière ou partager une méditation avec la quarantaine de retraitants venue du monde entier. Un véritable centre culturel et cultuel, sous la protection d’un Bouddha géant en jade blanc, haut de cinq mètres et lourd de huit tonnes. La ville n’ayant pas peur des superlatifs, le temple de Bussy Saint-Georges est donc tout naturellement le plus grand temple bouddhiste d’Europe…

Un laboratoire interreligieux

Encore quelques mètres, et nous voici au numéro 5 de l’allée, au monastère bouddhiste laotien Wat Velouvanaram. Une pagode, avec cette fois les signes extérieurs d’une pratique s’inscrivant dans la tradition Theravada, un courant d’origine sri lankaise. La pagode Lao, avec ses toits superposés en épi et sa statue de la Miséricorde propose, elle aussi, cours de méditation et enseignement bouddhique. Rien de surprenant à ce que les deux temples cohabitent dans l’allée : 40% de la population de Bussy Saint-Georges est originaire d’Asie !

« La foi donne des ailes. Cette idée de souder toutes les religions en un seul lieu est extraordinaire. Nous sommes la vitrine de Bussy. » Farid Chaoui

Si les bouddhistes n’ont pas eu de mal à bâtir leurs temples, les musulmans ont eu plus de difficultés. Le financement est un sujet que Farid Chaoui connaît par cœur. « Pendant six ans, de 2008 à 2014, nous avons couru dans tous les sens », reconnaît-il avec un sourire amusé. « Nous avons finalement reçu des dons de partout, de France comme de l’étranger. » À la tête de l’Association Twaba (le repentir), il gère le culte musulman tout en assurant la présidence tournante de l’Association de l’Esplanade des Religions et des Cultures. « La foi donne des ailes. Cette idée de souder toutes les religions en un seul lieu est extraordinaire. Nous sommes la vitrine de Bussy. »

Tout au fond de l’esplanade, au numéro 11, le minaret de la mosquée perce le ciel de son croissant de lune. Toit incliné vers la Mecque, l’édifice est à la foi lieu de culte et centre culturel. Une double fonction essentielle pour Farid Chaoui. Il insiste : « Le centre culturel musulman est là pour élever les consciences. Chez les musulmans, mais aussi chez tous nos concitoyens. On y trouve une bibliothèque, des ateliers d’art plastique et des salles de cours pour apprendre l’arabe ou suivre des cours de rattrapage scolaire… » Une formule qui connaît un vrai succès puisqu’il a fallu tripler la surface du centre en creusant des salles de cours en sous-sol !

Et quid de la présence des catholiques sur l’Esplanade ? Pour le moment, s’ils sont un peu à l’écart géographiquement parlant, ils sont tout aussi actifs que les autres courants spirituels dans l’association. Le Père Dominique Fontaine, curé de l’église Notre Dame du Val, située à quelques minutes de l’allée Madame de Montespan, l’assure : « Nous voulons nous installer nous aussi sur l’Esplanade. Nous n’allons évidemment pas construire une église, nous en avons déjà deux, dont une vieille de plusieurs centaines d’années ! En revanche, nous comptons construire une « Maison Saint-François d’Assise » en collaboration avec les Apprentis d’Auteuil et le Secours Catholique pour venir en aide aux mères fragiles et isolées. »

Bouddhistes, juifs, catholiques, musulmans, et bientôt hindous et Arméniens, tous s’accordent sur rôle pédagogique inégalable de l’Esplanade et de son ouverture au multiconfessionnalisme. « La connaissance évite la haine », insiste Yves Dubosc. Les écoles de la ville ont fait de l’Esplanade et de ses différents cultes une sortie régulière. Les enfants de toutes origines y trouvent une partie de leur histoire et de leur identité. Tout le monde salue l’initiative prise il y a vingt ans par le maire de l’époque, Hugues Rondeau. Il a créé un laboratoire interreligieux et inscrit la ville dans une dynamique de tolérance.

Il n’y aurait donc aucun problème dans cette cohabitation spirituelle ? Pas à en croire ses promoteurs. La clef, insistent-ils tous, c’est de surveiller qu’aucun courant ne cherche à faire de prosélytisme. Les membres de l’association sont très vigilants sur ce point. Et ils mettent un point d’honneur à laisser à la porte de l’Esplanade tout sujet de l’actualité internationale qui pourrait perturber la fraternité entre les religions. Un art d’équilibriste.

La semaine de notre venue, en pleine crise de Coronavirus, le curé de notre Dame du Val donna une messe. Arrivé au moment de l’eucharistie, il pria chacun de ne pas se serrer la main comme c’est de tradition. En revanche, il proposa à ses fidèles d’adopter le signe de révérence des bouddhistes. Une mudra, en réalité. Les mains jointes devant la poitrine en guise de respect. Anjali Mudra. Si même les catholiques en arrivent à s’approprier, ne serait-ce que provisoirement, le rituel des bouddhistes, c’est que le vent qui souffle sur Bussy Saint-Georges est bien celui de la tolérance.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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