Vous avez évoqué dans vos ouvrages le parcours du Bouddha. Que vous inspire cette figure historique et spirituelle ?
Il incarne, à mes yeux, un modèle exceptionnel du « devenir soi » par son arrachement à la vie promise pour suivre sa route, changer et devenir « l’Éveillé ». Il existe beaucoup d’autres exemples dans l’histoire, ne serait-ce qu’au moment même où vécut Siddhartha Gautama : Ezar, Socrate, Confucius… tous à peu près contemporains, au Ve siècle avant notre ère, à une époque étrangement charnière. Et tant d’autres ont suivi. Aujourd’hui, le Bouddha qui m’inspire est presque plus cette merveilleuse statue que celui du bouddhisme lui-même, dans sa forme actuelle.
Que lui reprochez-vous ?
D’être devenu essentiellement une idéologie de la résignation, souvent au service du confort des religieux, comme on le voit dans les régions à forte prédominance bouddhiste en Asie. C’est indéniablement une culture intéressante, mais je ne vois rien en elle qui permette aujourd’hui d’améliorer notre monde imparfait. Or, il y a urgence face aux grandes crises qui s’annoncent.
La tradition bouddhiste n’offre-t-elle pas des outils pour changer et être capable de changer le monde, comme la non-violence sur le plan des idées, ou la médiation sur le plan pratique ?
Tout cela n’est pas propre au bouddhisme. Les principes de non-violence sont présents dans le jaïnisme, le christianisme, le judaïsme… Gandhi n’était pas bouddhiste, par exemple. De même, la méditation et le yoga ne sont pas spécifiques au bouddhisme non plus, bien qu’ils soient très présents dans cette tradition. Certains passent par là pour les découvrir, mais le risque est de tomber dans le narcissisme et le bien-être pour soi d’abord. Tout comme l’idéologie dévoyée du capitalisme, cette attitude ne peut que favoriser la montée du populisme.
Cette vision narcissique du bouddhisme n’est-elle pas contradictoire avec l’un des fondements de cette tradition qui consiste à « couper l’ego » bien plus qu’à le cultiver ?
Oui sûrement, mais j’observe beaucoup d’adeptes tomber dans ce travers égoïste. C’est la victoire d’un faux bouddhisme que je trouve inquiétante. Et à la compassion qu’il prône tout de même, je préfère l’altruisme, le souci concret d’autrui. Contre la résignation, je choisis aussi la révolte devant le monde tel qu’il part à la dérive sur le plan social, économique politique et climatique.
Vous méditez beaucoup, cela n’a-t-il pas contribué à faire évoluer votre regard sur le monde pour penser une économie positive plus responsable ?
J’ai toujours défendu un modèle de développement qui prenait en compte le bien-être des générations à venir. Plus personne ne soutient d’ailleurs honnêtement une croissance économique et industrielle effrénée, et je la dénonce depuis longtemps. Je ne peux donc pas dire que la méditation m’ait ouvert les yeux. Toutefois, elle peut indéniablement être un outil d’éveil personnel, sur soi et sur le monde.
« Il faut présenter des exemples de bouddhistes qui ont su œuvrer utilement dans le monde pour un avenir meilleur. Cela aidera beaucoup à passer d’une quête personnelle à des actions pour les autres. »
Dans nos forums, nous la proposons, d’ailleurs, ce qui permet de relier cet exercice intérieur à une réflexion et une action collective. C’est là l’essentiel. Ses nombreux bénéfices sur le plan cognitif pour préserver le cerveau, développer la concentration, la maîtrise de soi et la non-violence, ne sont plus à démontrer. Mais encore une fois, ce qui est utile à soi doit être tourné vers les autres.
Montrer la voie de l’altruisme, du désintéressement pour sauver le monde des crises que vous évoquez, n’est-ce pas aussi le rôle d’un média comme Bouddha News ?
Certainement ! Vous avez une mission pédagogique pour montrer le meilleur du bouddhisme, déconnecté du bien-être autocentré et de la résignation. Il faut présenter des exemples de bouddhistes qui ont su œuvrer utilement dans le monde pour un avenir meilleur. Cela aidera beaucoup à passer d’une quête personnelle à des actions pour les autres