Au premier abord, ce disciple de l’école japonaise de Soto respire la sérénité. Peu de gestes inutiles ou brouillons, un léger sourire dont il semble ne jamais se départir, une voix fluette s’élevant à peine lorsqu’il s’enthousiasme. Bref, le bouddhiste tel qu’on peut l’imaginer, crâne rasé de surcroît, aux antipodes de l’entrepreneur vif et pressé. Mais cet air affable masque un hyperactif, car ce Parisien de 58 ans est aussi un homme aux mille vies : tour à tour chef cuisinier, administrateur et producteur de cinéma, membre actif de groupes de travail sur la justice et l’hôpital, fondateur d’associations et collectifs promouvant le bouddhisme en France… Le tout en parallèle de ses activités d’écrivain, enseignant, conférencier, de son implication dans les instances nationales et internationales du bouddhisme et, plus récemment, dans des groupes favorisant le dialogue interreligieux. Sa dernière idée ? Créer un refuge pour les pratiquants et amateurs de spiritualité. Il vient d’acquérir le terrain au Plessis, en Île-de-France ; tout reste à faire, mais après tout ce n’est qu’un nouveau chantier après tant d’autres.
Bénévolat du Bodhisattva
« Cela fait quinze ans que je rêve de ce lieu, c’est l’aboutissement de tous mes projets », confie-t-il. Ses initiatives ont pour point commun l’engagement et le goût du concret. Car il y a urgence aux yeux de celui qui diagnostique avec gravité « l’effondrement de notre société ». Face à des familles qui peinent à boucler les fins de mois, comme à un écosystème menacé de disparaître en même temps que l’humanité, il ne peut plus se contenter d’un « bouddhisme de confort », dit-il, centré sur la méditation et la spiritualité.
Face à des familles qui peinent à boucler les fins de mois, comme à un écosystème menacé de disparaître en même temps que l’humanité, il ne peut plus se contenter d’un « bouddhisme de confort ».
Le déclic se produit en 1997, lorsqu’il participe par curiosité à deux retraites à Auschwitz, conduites par l’enseignant zen américain Bernie Glassman – également connu pour son action en faveur de SDF à New York. « J’ai compris qu’on pouvait inventer un apprentissage permettant d’incarner le bouddhisme dans la vie quotidienne. » Par petits groupes de travail, il importe ce modèle en France, multiplie les expériences et les initiatives pour retrouver le goût d’agir dans un monde en crise. « Consacrer une demi-journée par semaine à une association est aussi une façon de se transformer et de renouer avec la figure du Bodhisattva », assure-t-il.
Dharma dynamique
Car Éric Rommeluère conteste toute rupture avec un traditionalisme, qui a d’ailleurs marqué sa formation. « On respecte son maître sans discuter tant que l’on suit son enseignement. Mais dès que l’on est reconnu comme successeur, on devient libre et digne de tracer sa propre voie. » Pour lui comme pour l’érudit zen David Loy – autre référence majeure à ses yeux –, être bouddhiste revient avant tout à œuvrer pour abroger la souffrance sous toutes ses formes. Les militantismes vegan et écologique, par exemple, restent en ce sens une variante du renoncement traditionnel, prêché par les bouddhistes depuis des milliers d’années, au « poison de l’avidité ». « L’environnement et la justice sont les deux thèmes qui me tiennent le plus à cœur », résume-t-il, encore fier d’avoir participé à la création des premières aumôneries bouddhistes en prison. Contre une vision « très occidentale » de la religion comme dogme absolu, et du bouddhisme comme représentation figée du monde, lui défend l’idée que le dharma – ou la spiritualité – est un dispositif dynamique dédié au changement, à l’amélioration perpétuelle de soi et de ce qui nous entoure