« Les gens se forcent trop ! Nous devons retrouver le « mushin », l’esprit sans intention en opposition au « wushin », l’esprit avec intention, et pratiquer la pleine conscience sans conscience ! Dans les arts martiaux, si quelqu’un a une attention, son ennemi le verra, mais s’il n’a aucune intention, alors il gagnera, mais comment vider son esprit sans vouloir le vider ? « Je crois que c’est un grand défi autant qu’une question philosophique profonde », partage Isshô Fujita.
Nous sommes à Hayama, dans la montagne de Kamakura dans le dojo du moine Zen Soto Isshô Fujita. Chercheur, enseignant et directeur international de la Sotoshu (1) au San Francisco Zen Center, Isshô (comme il aime se faire appeler) est un iconoclaste. Fervent pratiquant de la « slack line » (2) en compagnie de ses amis surfeurs, il s’est intéressé ces dernières années au dialogue avec des scientifiques, des artisans, des poètes afin de repousser les limites du bouddhisme en dehors de sa zone de confort. Ses recherches le poussent à se concentrer sur les intentions premières du Bouddha : « Nous devons nous interroger profondément sur pourquoi le Bouddha s’est détourné des pratiques ascétiques pour simplement s’asseoir et comprendre clairement Dôgen, quand il nous dit que shikantaza (ne faire que s’asseoir) est la porte de la joie et de la liberté ».
« Tu dois t’asseoir »
À 65 ans le « kôan de zazen » comme il le nomme, continue toujours de l’habiter. Étudiant à la prestigieuse université de Tokyo, où il prépare un doctorat en psychologie, après s’être brillamment essayé aux sciences et à la philosophie, il devient le disciple d’un maître de médecine chinoise dont les enseignements rassemblent tout ce qui l’anime : la science, la philosophie et la pratique spirituelle. Le sensei le prévient : « Mon enseignement est basé sur zazen, aussi tu dois t’asseoir ». Docile, il s’assoit. Cette expérience l’ébranle au point de remettre en cause une prestigieuse carrière d’enseignant, déjà bien engagée, à la Toddai (université de Tokyo). Il passe alors six années à Antaiji, dans la lignée de Kôdô Sawaki Roshi avec Uchiyama pour maître racine. Celui-ci lui demande ensuite de transmettre zazen aux États-Unis. Il devient ainsi le directeur de la branche Antaiji dans le Vermont durant dix-neuf ans. Ce temps passé en Occident lui permet d’explorer un autre regard sur le bouddhisme et quand il revient, invité par la Sotoshu, pour parler de son expérience devant les 300 moines en formation de Soji-ji en 2005, c’est avec une photo « Magic eye » (3) qu’il démarre sa conférence sur zazen. Aujourd’hui, Isshô partage son temps entre le centre zen de San Francisco et son dojo de Hayama (Kamakura). « Les séminaires que je propose ne sont pas pour que les gens comprennent le bouddhisme, mais pour qu’ils se comprennent eux-mêmes par le bouddhisme. Il semble qu’avec le temps, le bouddhisme soit devenu une connaissance académique. Je l’aborde d’un point de vue somatique, principalement par la posture de zazen. »
« Les séminaires que je propose ne sont pas pour que les gens comprennent le bouddhisme, mais pour qu’ils se comprennent eux-mêmes par le bouddhisme. »
Suivant toujours, cette même inspiration, c’est avec Ryodo Yamashita, un ancien moine d’Antaiji devenu moine Theravada, qu’ils décident en 2013 de secouer l’académisme bouddhiste japonais en lançant le concept provocateur de bouddhisme 3.0. (4) Selon Isshô Fujita : « Le bouddhisme 1.0 est celui des monastères japonais ». Celui du 2.0 est plutôt celui du Theravada et de son expression séculière, la pleine conscience, qui selon Fujita « à des effets thérapeutiques évidents, mais reste un outil pour que les gens aillent mieux. Il diffère du bouddhisme originel, qui montre aux personnes le chemin pour se libérer de soi. » Isshô, lui, enseigne une « pleine conscience sans conscience » et explore la transversalité entre la guérison individuelle et collective.